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gastronomie française et tauromachie espagnole

Publié le par Cositas de toros

Cuisine...  

     Les journalistes gastronomes de Paris-Presse, Henri Gault et Christian Millau traquent dans les années 60, les bons plans pour agrémenter les week-ends de leurs lecteurs avides de nouveautés. Les Français découvrent le farniente, les week-ends et les loisirs. La faim de l’après-guerre n’est plus qu’un mauvais souvenir. Les classes populaires se régalent de « gueuletons » interminables et, les classes plus aisées qui fréquentent les restaurants gastronomiques, sont dans l’attente d’autre chose. Le goût s’affine. Et voici dans les années 70, la naissance de la Nouvelle Cuisine, mouvement révolutionnaire dans la cuisine française.

F. Gault et C. Millau


     La grande cuisine s’est figée. Les chefs trois-étoiles du Guide Michelin, garants du patrimoine culinaire régional et de la tradition fondée sur les principes d’Escoffier, se sont assoupis dans la routine. Nous somme dans le copieusement garni, aux sauces riches, au décor cossu ou à la fausse auberge rustique. Le magazine lancé en 1969, le Nouveau Gault-Millau, se transforme en guide. Et très vite, les Bocuse, Senderens, Guérard, les frères Troisgros, Chapel… se convertissent à la nouvelle éthique culinaire et les pères spirituels de cette Nouvelle Cuisine décident en 1975 de transformer "La grande cuisine française" en "Nouvelle grande cuisine française".

Auguste Escoffier


     Après la Nouvelle Vague au cinéma – François Truffaut, Jean-Luc Godard –, après le Nouveau Roman – Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet – voici la Nouvelle Cuisine avec ses chefs libérés des dogmes de la cuisine bourgeoise codifiée.
Mais des assiettes trop chargées servies par le passé, les clients voient trop souvent arriver sur la table de restaurants à prétention gastronomique, des assiettes quasi vides… et la Nouvelle Cuisine rime avec des prix (g)astronomiques.
Et puis la concurrence se développe et si l’art culinaire à la française demeure pleinement reconnu, l’excellence venue d’ailleurs remet en question sa suprématie.

 


     Dans la jungle des nombreux guides, le Michelin demeure le premier juge. Or ses exigences en matière de service et d’accueil pour justifier les 3 étoiles participent à une inflation galopante des coûts.
     Dans les années 90, une autre révolution est en marche, celle de la simplicité du décor. Stop à la frime et au tape-à-l’œil, y compris dans les cuisines. Retour aux plaisirs simples. Un critique baptise ce nouveau concept "bistronomie". Pas très heureux comme qualificatif, Yves Camdeborde n’apprécie pas : il est cuisinier, pas bistrotier ! Il ne vend pas d’œufs durs au comptoir.
Mais les codes reviennent au galop et le décor se fait plus chic et la table design fait grimper les prix ! Le restaurant rime avec concept, design et architecture.
Au fond, la cuisine ne fait que reproduire ce que la France fait à chaque révolution : rejeter et retrouver, même si, entre temps, les choses ont changé. Un fait, cependant, demeure intangible : l’amour passionné des Français pour la cuisine et pour ses grands chefs.

… et corrida

     Vous trouverez des points communs, des similitudes, quelques rapprochements avec la tauromachie : de la passion – beaucoup – , des prix prohibitifs – à profusion –, des aménagements et mini révolutions, des lourdeurs, des tâtonnements, des critiques – à foison –, des intellectuels – pas toujours de gauche –, des opportuns – moult dans le mundillo –, des déceptions – quelques fois à table, souvent sur les tendidos –, de bons bouquins pour tromper l’ennui…, des artistes mais aussi des gargotiers.

     Nous ne remonterons guère dans le temps.
Avant les années 45, la corrida était le reflet de la condition humaine. Pour Montherlant, le combat de l’homme était l’occasion de se mettre en péril pour prouver sa maîtrise du destin. Auparavant, dans la décennie 1930, García Lorca donne la priorité à la fusion avec le peuple.
Dans la première moitié du XXe siècle, un nouveau toreo se développe, fondé sur l’immobilité du torero, les passes se multiplient maîtrisant la course du toro. Antérieurement, existaient l’esquive, la défense, la mobilité formant le mode traditionnel. 
C’est la révolution dans le toreo par Juan Belmonte qui mit de côté toutes les règles fondamentales. C’était le "nouveau toreo" basé sur les qualité du toro où la muleta glissait au rythme de la charge. Belmonte réduit les déplacements. Il attend, immobile, le toro, le déviant et le plaçant dans un terrain impossible. Il ramène la bête sur lui en "templant" sa charge. C’est lui le créateur du toreo moderne avec parar, templar y mandar : les trois canons. Il est bientôt rejoint par Joselito et son art orthodoxe et ses qualités exceptionnelles. C'est la competencia entre les deux hommes mais les toros ont perdu le trapío et les armures de ceux de la fin du XIXe siècle combattus par Lagartijo ou Frascuelo.
Cette période, celle de l’avènement de la "corrida esthétique", fut la plus meurtrière de l’époque contemporaine.
Après "l’Âge d’or" du toreo des années 20, les vedettes avaient pour nom : Gaona, Granero, Chicuelo, Lalanda, Armillita, Vicente Barrera, Domingo Ortega ou Manolo Bienvenida.
Puis après cette période assassine, c’est un nouveau combat après la guerre (1945), ce nouveau toreo-"nouvelle corrida" qui amplifia les manipulations génétiques et les fraudes voulant permettre la sécurité et produisant des toros prévisibles aux cornes courtoises, plus petits, plus jeunes mais sévèrement châtiés sous le fer.

Antonio Ordoñez

     Ce furent les années Manolete, l’orgueilleux Dominguín le champion racé, Ordoñez le beau-frère, le challenger aux trente blessures, et après l’apparition du guarismo en 1969, el terremoto El Cordobès incarnant l’Espagne des sixties qui fit la une de Life.

     Voila ce qu'écrivait Jean Cistac "Juan Leal" à propos de L.M. Dominguín dans Corridas (Péchade éditeur à Bordeaux, 1950) : " Cette journée que, débutant en France, l'été 1948, ce Luis Miguel Dominguín s'exhiba à Dax devant des bestiaux de poche et peut-être purgés, en tout cas impotents, paralytiques même, devant lesquels il émerveilla des milliers de jobards, amateurs de plastique, endoctrinés par la propagande..."

Paco Ojeda

     Plus près de nous encore, Paco Ojeda, architecte impassible, à la tauromachie compacte, privant d’espace son adversaire dans une orgie de passes. José Tomás rentrant dans le gotha très réduit des toreros de légende ( Belmonte, Joselito Gallito, Manolete…) par son engagement total, sa prise de risque maximale dans une tauromachie mystique. Enrique Ponce – dans une autre vie – gestionnaire n°1 des toros et le phénoménal El Juli – dans une autre vie, lui aussi – le surdoué explosif à la technique éprouvée.
     Aujourd’hui, la critique de la tauromachie sous un angle animaliste (dès le XIXe siècle) est reprise par les anti taurins. La question des limites entre humanité et animalité doit, pour ses défenseurs, être repensée, en dépassant le cadre du courant "romantique". L’évolution des rapports de l’homme à l’animal et à la mort dans la société occidentale remettent en cause la perpétuation de la corrida espagnole.
Avant la volonté de la supprimer, on veut l’édulcorer – même chez certains au sein  du mundillo – comme par exemple, en parallèle avec les revendications antispécistes, éradiquer l’estocade, estocade qui donne tout son sens au combat ! Alléger l’assiette, faire de la tauromachie "minceur" !
La sauvegarde de la culture taurine comme résistance à la globalisation, comme promotion de la diversité culturelle et comme système de développement durable – tout ceci fort à la mode –, est  enfin défendue par une mobilisation – timide – des aficionados, récente mais cohérente. La réponse à l’adversité est plus concrète, argumentée et unitaire. Mais hélas, nous ne pouvons que déplorer l’amateurisme du monde taurin lorsqu’il s’agit de défendre la cause face aux militants anti taurins bien structurés, s’introduisant dans les milieux du pouvoir.

Quelques autres points communs entre Cuisine et Corrida.

     Les écoles de cuisine fleurissent, participant à l’exception tricolore : le Cordon bleu à deux pas de la Tour Eiffel, créé en 1895, l’école Ferrandi, et celles créées par les chefs eux-mêmes : Vatel, Ducasse Éducation, l’institut Paul Bocuse, etc. Il est loin le temps où les écoles de cuisine recevaient des apprentis âgés de 12, 13 ans pour des ateliers sur les métiers de la charcuterie, poissonnerie… Révolue, l’époque où la filière n’accueillait que des élèves en difficulté. L’ancienne voie de garage attire un public bien plus large, séduit par une image où les chefs deviennent des stars, les émissions télévisées à grand succès métamorphosent l’image du métier auprès du grand public. C’est l’explosion sur les réseaux sociaux et les livres se multiplient en librairie.
     Côté toros, la première école de tauromachie est créée en 1830 par le roi Ferdinand VII dont Pedro Romero prendra rapidement la direction. Aujourd’hui en Espagne comme en France, les écoles sont nombreuses : Madrid, Valence, Salamanque, Valladolid, Cáceres, Badajoz…, Nîmes, Arles, Béziers, Adour Afición… Il en ressort souvent des futurs sans lendemain, des carrières mort-nées, beaucoup d’apprentis et très peu d’élus, un retour dans l’anonymat, mais ces structures ont le mérite d’exister. Fini les coups de muleta au clair de lune et les roustes qui en découlaient. Les élus ambitionnant de ressembler à leurs aînés mais pas à eux-mêmes : un plat servi souvent froid et sans saveur.

 

     L’histoire de la gastronomie française a, elle aussi, ses revisteros, ses critiques culinaires : en 1486, Guillaume Tinel, dit Taillevent publie son Viandier. En 1651, sous Louis XIV, François Pierre de la Varenne, Le Cuisinier françois. Sous le règne de Louis XV, Le Cuisinier moderne de Vincent La Chapelle en 1735.

     Sous le Premier Empire, Manuel des amphitryons d’Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière (1808). En 1825, sous la Restauration des Bourbons, Physiologie du goût par Jean Anthelme Brillat-Savarin. Alexandre Dumas publie en 1873 (IIIe République), Le Grand Dictionnaire de cuisine ; en 1902, le Guide culinaire d’Auguste Escoffier… En 1976, La Grande cuisine minceur de Michel Guérard ainsi que La Cuisine de marché de Paul Bocuse, et le catalogue est inépuisable.
     Quant aux critiques taurins, les revisteros, journalistes et romanciers ayant exercé ou exerçant de ce côté-ci des Pyrénées, il est impossible de tous les citer. La littérature taurine est née avec les différentes formes de tauromachie. Les revisteros exercèrent dans la presse taurine ou dans les pages dédiées des quotidiens dès 1887. Certains écrivirent, en dehors des reseñas, des ouvrages toujours d’actualité et incontournables.

 

Auguste Lafront "Paco Tolosa"

      Citons Claude Popelin, Auguste Lafront "Paco Tolosa", Jean-Pierre Darracq "El Tio Pepe", Georges Lestié, Alfred Degeilh "Aguilita", Marius Batalla "Don Cándido", Jean Cistac "Juan Leal", Gilbert Lacroix "Luis de la Cruz", Léonce André "Plumeta"… Vous avez certainement eu entre vos mains un de leurs ouvrages, et la liste se complétant avec tous ceux qui écrivent de nos jours.

 

14 octobre 1933

        Les revues et journaux spécialisés se multiplièrent, parfois pour de courtes durées, parfois pour un unique numéro, L’Aficion (Bordeaux), Biou y Toros (Nîmes), premier numéro le 4 juillet 1925, l’ancêtre de Toros, Lou Ferri (Arles), Midi-Taurin (Nîmes), Le Toril (Toulouse), Toros-Revue (Bordeaux)…  et  les quelques organes imprimés de nos jours. Le plus ancien, le Journal des Arènes né à Marseille en 1887, n’imprima que peu de numéros. 
Dans la bibliothèque taurine, le lecteur-aficionado trouvera livres techniques, reportages, souvenirs et anecdotes, romans, essais, bandes dessinées… nourrissant son afición si malmenée par temps de Covid.

 

   
     L’UBTF, l’Union des Bibliophiles Taurins de France créée le 3 avril 1977 à Saint-Gilles (Gard), compte aujourd’hui environ 160 membres. A ce jour, plus de 72 ouvrages et 68 Gazettes ont été édités. Elle s’inspire de la Unión de Biblióphilos Taurinos d’Espagne.
Vient de paraître un superbe Bordeaux capitale tauromachique, histoire de la Gironde taurine, dont l’auteur n’est autre qu’Antoine Briscadieu, le fils d’Alain, le Vicois, trop tôt disparu. Une somme de 406 pages, d’une lecture passionnante, à la riche iconographie et aux nombreux documents.

UNESCO

     En 2010, le "repas gastronomique français" est inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.
A compter du 22 avril 2011, la tauromachie a été, elle aussi, inscrite par le ministère de la Culture, décision infirmée en juin 2015 par la Cour administrative, malgré la tentative de se pourvoir en cassation de la part de l’ONCT et de l’UVTF, le verdict tombant définitivement le 28 juillet 2016.
Donc, la tauromachie en France ne rejoindra pas, entre autres, le savoir-faire de la dentelle au point d’Alençon ou la tapisserie d’Aubusson… dommage.

………..

     "Nouvelle", moléculaire, "bistronomique"… la cuisine continue de se réinventer. Les courants et les concepts se suivent et se concurrencent, mais les dogmes ne sont-ils pas faits pour être dépassés ?
La gastronomie n’est pas en péril.

     L’aficionado appréciera la bonne chère et, repu et comblé, se dirigera plein d’excitation vers sa querencia, ombre ou soleil, où l’attend le plaisir ou la douleur, la joie ou le dépit, la satisfaction ou l’ennui.
Festin, plaisir des dieux ; corrida, plénitude des aficionados ou aigreur d’estomac amenant à la diète ?
La corrida est en danger, et l’aficionado, lui, demeure inquiet.

     Faire alterner longtemps jansénisme et épicurisme, disette et gloutonnerie… 

                                               Gilbert Lamarque
 

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A
Bonjour<br /> Comme toujours un très bel article. Continuez comme cela l'année ne fait que commencer. <br /> A bientôt gardons l'espoir .<br /> Bises
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