DE LA DICTATURE DU PARAÎTRE A…
Par Patrick SOUX
Il ne vous aura pas échappé que nous vivons dans une société où le paraître est quelque chose de primordial, d’indispensable, j’allais dire de vital, il faut paraître.
Paraître intelligent, paraître riche, paraître jeune et beau, paraître le meilleur en tout et en toute circonstance, et surtout, paraître meilleur que les autres pour paraître encore d’avantage. J’assimilerai cela à un nouvel état. Cette "mode" surfe sur la vague du manque flagrant de modestie dont font preuve ses adeptes dépourvus de ce qui faisait la force des générations précédentes : le bon sens.
Paraître plus intelligent : en cinquante ans le nombre de bacheliers a été multiplié par 8.5 avec un pourcentage de réussite de 86.8% ceci par le truchement de la diminution de l’exigence des contrôles diplômants. Nos enfants sont-ils plus intelligents que nos parents ? En tout état de cause nous avons plus de chômeurs, mais certes, plus diplômés.
Paraître plus riche : en facilitant l’accès du plus grand nombre aux produits "de luxe", 93% des français mangent du foie gras et 80% boivent du champagne, ce n’est certes pas leur pouvoir d’achat qui a augmenté, mais la diminution de la qualité liée à l’industrialisation qui a permis d’en baisser le prix.
Paraître plus jeune : l’explosion des salles de sport et de moving (je crois que nous les appelons comme ça non ?) en est une preuve flagrante. Il est de bon ton de se montrer dans ces endroits où l’on transpire, même trois minutes et même si l’on n’y transpire pas !
Paraître meilleur que les autres : là, toute la panoplie de possibilités est utilisée pour y parvenir, tricher, mentir, embellir, bien emballer le paquet quitte à se faire contrôler ou arbitrer par ses amis : à charge de revanche bien sûr !
Euh… oui, mais la tauromachie me direz vous dans tout çà ? Et bien la tauromachie et tout son cortège "mundillesque" ne déroge malheureusement pas à la règle. A tous les niveaux on essaye de tirer la couverture à soi, chacun dans son domaine bien entendu. Le paraître est quelque chose d’omniprésent entrainant une dérive dangereusement artistique de ce qui ne devrait rester qu’un Combat.
Depuis un quarteron de figuras qui imposent leurs exigences, en passant par :
-Les éleveurs de toros qui se rendent complices au nom d’une notoriété accrue et d’une manne financière.
-Les organisateurs qui pensent ne pas pouvoir se passer de ces figuras et de ces élevages pour monter leur feria ou leur spectacle annuel et qui réfléchissent en financiers plus qu’en aficionados.
-Les présidences (choisies par les organisateurs !) jouant la plus part du temps le jeu de leurs amis qui les ont placés à cet endroit.
-Les harmonies ou autres orphéons qui certes, sont aux ordres de la présidence (voir ci-dessus) mais qui ont la responsabilité de leur répertoire, répertoire qui dérive de plus en plus vers celui de "la Grande Musique" et qui s’asseyant sur leur modestie oublient qu’ils sont là pour accompagner et non pas pour prendre la vedette !!! Je comprends que l’on puisse être adepte de la "Grande Musique", mais pour cela, il existe des salles de concert.
-Le public… On dit souvent que l’on a la chance que l’on mérite ou les amis que l’on mérite, le public n’aurait-il pas la corrida qu’il mérite ? Les manifestations d’enthousiasme collectif auxquelles nous sommes confrontés lors de spectacles qui ne sont rien de plus que ce devrait être "une corrida normale" tendent à le prouver. Au cours de ces "spectacles", l’aficionado, contrairement au public, ne se reconnait plus dans ces manifestations, il se sent perdu, incompris, voire rejeté. Le fossé se creuse à tel point que nous avons l’impression d’un autre monde se mettant en place. La phrase de Coluche trouve ici tout son sens:
« Quand on pense qu’il suffirait que personne ne l’achète pour que ça ne se vende pas » !!! A méditer.
Enfin, tout ceci mis bout à bout entraîne cette dérive artistico-artistique où tout le monde s’auto-congratule, s’auto-satisfait, où tout le monde est très heureux de paraître important, où tout le monde est content de sa réussite. Cette dictature du paraître pousse le milieu taurin à transformer le Toro qui devrait être un adversaire, en un animal collaborateur. Ce sont des faits auxquels nous assistons de plus en plus fréquemment dans nos arènes. Pour preuve, je m’appuierai sur une publication de Florent Moreau parue en mars 2014 sur son blog "al toro rey" avec pour titre, l’histoire des indultos en France. Depuis le premier datant du 11 novembre 1986 à Saint-Sever (Landes) sur un novillo de Marcel LINES par Juan VILLANUEVA lors d’une fiesta campera, jusqu’au dernier de 2013, le 20 octobre à Manduel (Gard) sur un eral de GALLON par Frédéric LEAL lors d’un festival, il y en a eu 46. Plus que le nombre scandaleusement élevé, c’est la répartition qui interpelle, 8 en NSP et 10 en festival ou fiesta campera !, cela se passe de commentaires mais reste tristement significatif quant à l’importance que l’on donne au premier tiers, leur noblesse phénoménale à la muleta leur aura permis de sauver leur vie. L’évolution du règlement taurin sur ces indultos a certes permis leur augmentation puisque avant, il n’était possible que dans une arène de première catégorie, lors d’une corrida concours. L’indulto est devenu une ligne valorisante sur un CV, une recherche de publicité tant pour le ganadero que pour l’organisateur. Nous pourrions également parler des vueltas al ruedo distribuées, et que dire de l’apparition et de l’utilisation de la puya de tienta y compris dans les corridas ou novilladas concours !!!
Chaque fois que le paraître arrive avec sa dictature, l’être se banalise avant de disparaître.
N’oublions pas dans toute cette histoire que la sauvagerie, la caste et la bravoure du Toro de combat, le vrai, sont les seuls remparts au maintien de notre tradition, c’est la seule chose qui puisse cautionner la mort du Toro. Avec un taureau collaborateur, le spectacle devient du "dressage", permettant un art taurin n’ayant plus rien à voir avec la tauromachie et ne justifiant en aucun cas la mort de ce dernier à la fin du spectacle. On ne tue pas les chiens savants à la fin de leur numéro de cirque !!!
Quant à ces Messieurs qui gèrent, cautionnent et organisent ce genre de spectacles, il serait de bon ton qu’ils fassent leur, la pensée de Blaise PASCAL : « Si haut que soit placé ton trône, tu n’es jamais assis que sur ton séant », sans compter qu’avec l’évolution de la technologie, ce trône peut aussi avoir une version éjectable.
Pour conclure mon propos, il est, comme je disais en préambule, urgent que nous retrouvions le bon sens de nos ainés, au risque de voir disparaître la corrida.
Si beau soit le paquet cadeau que l’on vous offre, si beau soit le ruban qui le ceint, si la boîte n’est remplie que de fèces, ça restera toujours un cadeau "étronesque" !
Mais toujours et encore dans le paraître…
Patrick SOUX