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GUIDE DU TERCIO DE PIQUE, Edité en 1895

Publié le par Cositas de toros

   Pour clore notre dossier sur « l’Art de la Pique », nous vous offrons en lecture ce texte au charme désuet mais très instructif, didactique, précis et plein d’enseignement sur la pratique à la fin du XIXe siècle.

Ces lignes issues d’un ouvrage de 1895, sont l’œuvre de « Gil Drae » et « Mosca », guide imprimé à Nîmes à l’ « Imprimerie Taurine ».

                                                                    

                                                                                       Gilbert LAMARQUE

« Premier Tercio »

...

         «  … incertain. Le Picador ne saurait trouver de salut que dans la force de son bras et dans la précision de sa pique.

  Toutefois il attend avec placidité.

 

  Le cheval est quelquefois sacrifié. Trop souvent au gré de tous il reçoit de déplorables blessures. On doit se résoudre à son sort en le considérant comme une machine de guerre propre seulement à aider au triomphe de l’Homme, partageant ses dangers, jouant jusqu’au bout son rôle de sacrifice, subissant la conséquence d’une alliance fatale ; mais il est du devoir du picador de défendre autant qu’il peut son compagnon de bataille. Sa gloire est complète si, après le combat, le toro vaincu fuyant la pique, il peut, campé en triomphateur sur son cheval indemne, caracoler sous les bravos.

  Le mérite principal de la suerte de vara (combat à la pique) est donc d’empêcher que le toro n’arrive jusqu’au cheval, le blesse ou le tue.

 

  Qualités du picador. - Du coup d’œil et du sang-froid sont indispensables pour mener à bien cette tâche difficile. Le coup d’œil permet de juger le toro, le sang-froid aide à exécuter avec précision la suerte qu’un jugement certain impose et à improviser au besoin une défense appopriée.

  Le picador doit être sûr de son poignet et de ses muscles. Ses forces ne le servent pas seulement contre le toro, elles lui permettent aussi de se délivrer du cheval en cas d’accident. Il doit pouvoir résister à la fréquence des chutes ; ses lourds vêtements ne doivent pas lui causer de gêne.

  Cavalier consommé, le picador doit avoir les jambes puissantes, l’assiette solide et une bonne main gauche pour diriger son cheval.

  Le picador doit être, en outre, respectueux des règles établies. A moins de commettre une faute grave, il ne saurait abandonner sa pique aussi longtemps qu’il en peut faire usage. S’il est désarçonné, la seule ressource qui lui reste, c’est de se garantir de son mieux, en dirigeant sa chute en avant du cheval ; il peut de cette façon, si le toro s’allume au carnage, se faire un bouclier du col de sa monture. Il faillirait gravement en se laissant choir du côté de la croupe la tête en arrière, et serait d’ailleurs, en cette posture, gravement compromis.

  Le picador ne doit avoir recours à la barrière qu’à la dernière extrémité. Il ne doit jamais s’en approcher. Cette règle est d’ailleurs toute à son avantage ; car un toro lancé à fond de train peut éviter la pique et le picador acculé, ne pouvant modifier sa position, serait infailliblement perdu.

 

  De l’état du toro pendant la suerte de vara. - Le succès du picador dépend au premier chef de la sûreté de son coup d’œil. Les toros, en effet, ne chargent pas tous de la même façon.

  Boyantes (vaillants). - Ceux-là, dès leur entrée en lice, fondent sur le premier picador qui s’offre à leur vue ; après plus ou moins d’insistance ils obéissent au fer, et, prenant leur sortie, piquent droit sur un autre cavalier. La défense est avec eux facile et le travail brillant. On dit qu’ils sont durs s’ils poussent au fer, mous s’ils se plaignent du châtiment.

  Pegajosos (acharnés à frapper). - A l’encontre des premiers, les toros pegajosos résistent à la pique, refusent la sortie indiquée et, s’acharnant au centre de la suerte, cherchent le corps avec les cornes. Leur attaque est redoutable au bras trop faible pour les retenir.

  Toros que recargan (qui reviennent à la charge). - Dangereux entre tous sont les toros qui rechargent. Sous la pique, ils bondissent et semblent devoir prendre leur sortie, mais ils reviennent à la charge avec une nouvelle impétuosité et, s’efforçant de passer entre la pique et le cheval (colarse suelto), ils portent avec obstination des coups réitérés.

  Certains toros, après avoir senti la pique, s’élancent à nouveau ; mais au lieu de baisser la tête pour frapper, donnant ainsi prise au fer, ils s’irritent et portent haut. On dit alors qu’ils s’allument au fer. Il n’est pas de bras pour résister à leur choc. Le picador, pour éviter une blessure, n’a plus qu’à se laisser choir entre les cornes ; soulevé dans cette posture, il court la chance de ne pas être blessé.

 

  La vara, ou pique, longue de 3m 50 environ, est armée à son extrémité d’un fer triangulaire affilé à la lime, dont la longueur varie suivant la saison. Pendant les mois d’avril, mai, juin et octobre, le fer a 25 millimètres de long et 15 millimètres à la base ; dans les mois de juillet, août et septembre, ces dimensions sont de 23 millimètres pour la longueur et 16 millimètres de diamètre à la base. Après ce fer est une boule d’arrêt, dite citron, à cause de sa forme.

  Chaque picador choisit deux piques la veille de la course, et les marque à son nom ; il n’a droit à se servir d’autres piques qu’autant que les premières viennent à se rompre.

  Il doit y avoir en réserve cinq chevaux pour chaque toro, nonobstant ceux que l’autorité peut accorder, sur la demande du public. Le picador a le droit de choisir sa monture et de refuser celle qui ne lui paraîtrait pas offrir des garanties de résistance suffisantes.

  Un picador, dit picador de réserve, armé et en selle, se tient dans le couloir du toril, prêt, en cas d’accident, à prendre dans l’arène la place d’un de ses compagnons.

  Invariablement, dans toute suerte de vara, un torero seconde le cavalier ; c’est à l’espada ou à son sobresaliente que ce soin est dévolu (quite).

  Le cheval s’offrant de face, le terrain du toro est à la gauche du picador ; le torero qui doit faire le quite occupe le terrain que découvre le cavalier, en donnant sa sortie au toro

  Le picador doit piquer en los rubios, c’est-à-dire entre les deux omoplates, au milieu de cette protubérance qui orne le cou du toro et qu’il découvre complètement en humiliant. Toutes les piques placées là avec précision sont bonnes. Le maronazo, qui déchire la peau et fait une large blessure, est défectueux.

 

 

    § II. - DIVERSES SUERTES DE PIQUE

 

  Dans la plupart des suertes de vara, le picador cite le toro. Dressé sur ses étriers, la face changée, il brandit sa pique dans un cri, et l’on ne distingue dans ce visage sombre que le troi noir de la bouche et l’éclat féroce des yeux. Puis, sa pique en arrêt, tous les muscles tendus, il attend le choc. 

 

  Piquer à toro levantado. - Cette pique s’exécute à la sortie du toril, alors que le toro, dépourvu d’expérience, est en possession de toute sa fougue et porte haut.

  Le succès dépend en grande partie de la franchise de l’animal ; aussi, ne l’exécute-t’on qu’avec les toros boyantes ou levantados.

  Le picador se place en face du toril, le flanc droit de son cheval parallèle à la barrière, laissant entre elle et lui un espace de 4 mètres ; le toro surgissant de sa loge ne peut manquer de l’apercevoir et de l’attaquer de prime abord. Arrivé par la gauche, le toro, pour que la suerte soit impeccable, doit incliner vers la droite et prendre sa sortie entre la barrière et le cheval. Cette suerte peut se décomposer ainsi : au moment du choc, le cheval se tient immobile, dans une ligne sensiblement parallèle à la barricade et au toro. Au moment où le picador découvre au toro son terrain de sortie, il place son cheval perpendiculairement à l’axe du corps du fauve maintenu parallèle à la barricade. Voici comment manœuvre le picador : le fer engagé, sans cesser de peser sur la pique pour maintenir le toro immobile et cornes baissées, il déplace son cheval, en laissant pivoter sur ses pieds de devant d’un quart de cercle sur la gauche, dans la direction du centre de la place. Le cheval, qui naguère faisait face au toril regarde maintenant la barrière et le flanc droit du toro. Loin de maintenir le toro comme au début de la collision, alors qu’il le recevait de face poitrail contre garrot, le picador, placé un peu en arrière et perpendiculairement au fauve, l’oblige à prendre sa sortie le long de la barrière, en précipitant sa marche en avant par une pesée plus violente. Si le toro refuse la sortie et se retourne, il trouvera le picador lui présentant le flanc droit de son cheval, en garde prêt à piquer.

  Si, à la deuxième attaque, le cheval est blessé, et s’il y a une chute, le picador peut tomber entre le cheval et la barricade ; sinon, continuant son mouvement, il vient se ranger parallèlement à la barrière, la pique tournée vers le centre de l’arène. Avec des toros pegajosos, le picador doit piquer avec la plus grande violence et charger sur le bois de toute sa vigueur, afin de faire violemment humilier le fauve. C’est le moment qu’il choisit pour croiser son cheval, en sorte qu’au moment où il relève la tête, le toro découvre nettement sa sortie et ne voit pas le cheval.

 

  Piquer le toro en su rectitud (dans son axe). - Cette pique s’effectue avec un toro un peu fatigué (parado). Elle est plus difficile que la précédente, parce que le toro s’attache plus au corps.

  Le picador est placé perpendiculairement à la barrière, lui tournant le dos. Le toro, sur la même ligne, lui fait face, ayant derrière lui le centre de la place.

  Arrivé de face, le toro, pour que cette suerte soit parfaite, doit, sous l’effort de la pique, prendre sa droite et lorsque le picador s’est effacé, accepter sa sortie dans cette direction, entre le cheval et le centre de la place.

  Cette suerte peut se décomposer en deux mouvements principaux :

  1° Au moment du choc, poitrail contre garrot, le picador est placé sur la même ligne que le toro, perpendiculairement à la barrière ;

  2° Au moment où le picador découvre son terrain de sortie au toro, il range son cheval par le flanc gauche, dans une ligne relativement parallèle à la barrière.

  Voici comment manœuvre le picador : il cite le toro ; le fer engagé, contrairement à ce qu’il fit dans la suerte précédente, sans cesser de peser sur la pique, il déplace, en le faisant lentement pivoter sur ses pieds de derrière, l’avant-train de son cheval d’un quart de cercle sur la gauche, dans la direction de l’extérieur de la place. Le cheval, qui naguère faisait face au centre de l’arène, est maintenant parallèle à la barrière. Le toro forçant sur la pique, en même temps que tourne le cheval, s’est complètement déplacé. Le picador d’une pesée continue lui repoussant l’avant-train, lui a fait décrire un quart de cercle à droite, à l’intérieur du centre de la suerte, dans la direction de la tête du cheval. De telle sorte qu’au moment où il lâche prise, cheval et toro se trouvent en quelque sorte flanc à flanc. Dans ce mouvement, le cheval pivote sur ses pieds de derrière, en déplaçant son avant-train d’un quart de cercle vers l’extérieur de la place, tandis que le toro pivote, au contraire, sur ses pieds de devant, en déplaçant son arrière-train de la même quantité, dans la même direction. Cheval et toro sont en quelque sorte liés par un pont de contact immuable : le fer de la pique, sommet d’un angle mobile, dont les côtés se rapprochent de plus en plus. Ce mouvement correctement effectué, la tête du cheval est un peu en arrière de l’avant-train du toro qui, ne voyant plus son adversaire et poussé en avant par la pique, prend la sortie qu’on lui découvre nettement.

 

  Piquer atravesado (par travers). - A une certaine distance, le cheval, placé parallèlement à la barrière, présente le flanc droit au toro. Arrivé de face, le toro doit prendre sa gauche et accepter sa sortie dans cette direction, entre le cheval et le centre de l’arène. Le cheval ne change pas de position ; pour sortir de la suerte, il se défile parallèlement à la barrière.

  Le picador attend, pour placer la pique, que son adversaire le serre de près et qu’il humilie. Le fer engagé, se tournant légèrement et se penchant sur la selle, il s ‘efforce, en lui repoussant l’avant-train d’une pesée continue, de faire décrire au toro un quart de cercle àgauche, à l’intérieurdu centre de la suerte, dans la direction de la queue du cheval. De telle façon qu’au moment où, poussant sa monture, il lâche prise, cheval et toro se trouvent flanc à flanc, mais au contraire de la suerte précédente, tête bêche. Les deux adversaires, emportés par un élan simultané mais inverse, se disjoignent pour fuir dans une direction opposée.

 

  Piquer a caballo levantado (cheval cabré). - Le picador croise son cheval (le place perpendiculairement à l’axe du toro), un peu sur la gauche.

  Arrivé de face, le toro doit, sous l’effort de la pique, conserver sa ligne droite et passer, pour et trouver sa sortie, sous le ventre du cheval.

  Voici comment manœuvre le picador :

  Au moment du choc, il pique fortement et maintient le toro tête basse aussi lontemps que ses forces le lui permettent. Sous la pesée de ce bras, le toro ne peut relever que progressivement la tête. Bientôt les cornes du toro arrivent à la hauteur de l’épaule du cheval. Le picador, à ce moment précis, joue de l’éperon et tire sur le mors du cheval qui se cabre. Penché sur la selle, dans un suprême effort, il pousse en avant le toro et l’oblige, en l’accompagnant de sa pique, à passer sous ce pont de chair vivante. Le cheval pirouette sur ses pieds de derrière et se rétablit. Le picador ne s’occupe plus du toro, qu’un torero retient en l’occupant de sa cape. Luis Chardo et Pablo Cruz excellaient dans cette suerte périlleuse entre toutes. Mais c’étaient là deux maîtres picadores, et les montures dont ils se servaient étaient vigoureuses et de bouche sensible. »

 

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