LA SOLITUDE DE L' AFICIONADO
Je livre une nouvelle fois à votre lecture attentive ainsi qu'à votre réflexion d'aficionado un article paru dans les Chroniques du temps de la revue Toros N° 2038-39 du 16 décembre 2016 sous la plume de Manolillo.
Patrick.S
LA SOLITUDE DE L' AFICIONADO
Curieuse évolution. Ce n'est pas nouveau, l'aficionado a toujours été minoritaire dans les enceintes. Mais il était respecté, voire admiré. Ne serait-ce qu'en raison de ses connaissances, présumées supérieures à celles du commun des mortels, le spectateur ordinaire. L'aficionado était, pour ce dernier, un référent, une autorité, qu'il se flattait de connaître quand, un jour, par hasard, le sujet taurin venait dans la conversation. Vous aimez les toros? Alors vous connaissez peut-être Monsieur un tel, un ami qui fréquente toutes les arènes de France et de Navarre, et même d'Espagne ! Stop. Les aficionados n'ont plus d'amis. Les goûts des toros ayant acquis, à l'air du temps, mauvaise réputation, il est interdit d'en parler à la légère. Il vaut mieux éviter de l'évoquer dans une conversation. La matière paraît-il, n'est pas neutre. Et comme, selon le philosophe Michel Foucault, il est impossible de penser en dehors du "discours" de son époque, la chose se présente mal pour l'aficionado qui, à bon droit, ose persister à vouloir raisonner comme avant, une époque heureuse où la neutralité du sujet taurin était vécue et partagée avec tous comme un signe de tolérance et de paix sociale. Ce qui n'est manifestement plus les cas aujourd'hui où règne l'intolérance et la lutte idéologique. Voilà le pauvre aficionado, ce paria, éloigné des salons et des conversations. Au fond, ce n'est pas bien grave, mais tout de même.
Plus ennuyeux, face à cet isolement vis-à-vis du monde extérieur, est celui de l'aficionado à l'égard du monde intérieur, celui de son aficion. Il est hélas, de moins en moins reconnu, ou simplement entendu, engendrant perplexité de sa part. Nous trouvant en fin de saison européenne, regardons du côté des statistiques.
Le Top 25 des éleveurs de la saison 2016, en France et Espagne, fait apparaître une victoire écrasante de l'élevage Nuñez del Cuvillo/N. de Tarifa, avec 205 animaux "lidiés", tous en corrida de toros, des bestiaux auxquels il a été coupé pas moins de 169 oreilles, soit 1,2 oreille pas toro. Ne faut-il pas voir là, l'apothéose d'un produit d'excellence devant laquelle il convient de tous s'incliner, ainsi que devant son créateur ? Certes il s'agit d'une belle réussite, issue d'un savant mélange de Marques de Domecq, Nuñez et Atanasio auquel a été ajouté un lot de Torrealta à partir de l'origine Osborne Domecq, mais elle sonne un peu comme les résultats actuels du baccalauréat. A récompenser tout le monde, la récompense ne veut plus rien dire , et ce sont sur d'autres critères que se fait la véritable sélection. Non, n'en déplaise aux contemplateurs de tout poil, l'élevage de Nuñez del Cuvillo, ou celui de Garcigrande/D.Hernandez, très recherché par le Gotha des piétons et qui arrive juste après avec 142 bestiaux et 97 oreilles coupées, ne représentent pas, pour l'aficionado, la panacée, ni ce qu'il attend de meilleur du toro de combat.
Que l'on se rassure, la solitude de l'aficionado n'entame pas la solidité de ses convictions. C'est peut-être, après tout, sa vocation principale, seul contre tous, de maintenir le cap dans l'époque troublée que nous traversons. Ce n'est pas la première fois que le combat de toros est attaqué. Y compris sérieusement comme aujourd'hui. Depuis la bulle du pape Pie V, jusqu'à la traversée des deux guerres mondiales malmenant le bétail brave au cours du XXe siècle, le cheminement de l'Histoire est là pour le démontrer. La corrida si elle repose sur des toros et des hommes différents à chaque époque, repose surtout sur des valeurs intemporelles qui constituent le véritable secret de la pérennité du spectacle taurin pour le siècle en cours. Spectateur éclairé, l'aficionado sait distinguer dans l'arène le faux du vrai, l'artificiel de l'authentique, le superficiel du profond. Il le fait naturellement non pas comme un gendarme ou un inspecteur, certains disent un gêneur, un empêcheur de tourner en rond, et même à tort suprême, un passéiste. Il n'en est rien. L'aficionado agit tout simplement pour son propre plaisir, qui ne serait pas le même s'il se portait sur un spectacle déficient, ou qui plus est frelaté. Et aussi pour prendre la parole, et parler haut et fort, quoi qu'il arrive. Par exemple pour dire que le toro bonbon ou la tauromachie bobo n'ont rien à voir avec l'animal roi des ruedos et le toreo grande. L'aficionado étant un sermoneur impénitent, il ne lui déplait pas, si besoin, de prêcher dans le désert.
Faisons le bilan : l'aficionado était minoritaire ; il est maintenant, en plus, isolé. Les temps sont durs, sans être dramatiques, la plus forte hémorragie ne se situe pas dans ses rangs : les clubs taurins au sein desquels il peut se regrouper sont toujours aussi nombreux. La foi tauromachique continue d'exister. Un fort exemple, la foi des éleveurs français de taureaux de combat. Ils restent enthousiastes en dépit des difficultés quotidiennes et des chiffres du Top 25. Voilà de vrais aficionados, minoritaires, isolés, mais actifs et convaincus. Une occasion pour dire qu'ils mériteraient plus de considérations de la part des organisateurs.
MANOLILLO