LES CHARTREUX
Non, pas les minous…
… mais ces religieux de l’ordre monastique contemplatif fondé par saint Bruno en 1804 à Saint-Pierre-de-Chartreux en Isère !
Emblème (le fer… )
Monastère de la Cartuja de Jerez
Ces chartreux qui se livraient à l’agriculture, sélectionnèrent divers animaux utiles, cherchèrent à améliorer leur race et obtinrent à partir d’une jument de souche orientale, les fameux chevaux cartujanos ou jerezanos, lignée maintenue jusqu’ici grâce aux efforts de la famille Domecq.
Dès 1476 probablement, les frères Chartreux de Jerez constituent une ganaderia avec du bétail bravo andalou, d’origines diverses y compris les plus prestigieuses, qu’ils obtiennent grâce au prélèvement de la dîme sur les grands propriétaires terriens. Si l’on se réfère à un document de 1623 conservé dans les Archives de la Municipalité de Jerez, les religieux demandaient l’augmentation de leur cheptel bovin au roi. Il est curieux de noter que dans ce texte, il est fait mention non seulement de bétail destiné à être couru et mis à mort, mais également destiné à la reproduction !
Les taureaux ont de tout temps vécu dans la marisma, le delta du Guadalquivir, comme en Camargue, le delta du Rhône.
Un fait dit bien la grande réputation de ces toros. Dès le XVe siècle, ceux-ci sont réquisitionnés par les autorités pour donner des fêtes. Les moines ganaderos s’en plaignent en 1614 auprès du roi Felipe III, grand amateur de fêtes taurines et créateur de la Plaza Mayor de Madrid : on leur prend les meilleurs mâles, et encore à un prix inférieur à leur vraie valeur ; il s’en suit pour eux un double préjudice.
Leur renom est tel, que ces toros fournissent des encierros à Séville, Cadix, El Puerto de Santa Maria.
Une anecdote pittoresque est à mettre au compte des Frères Chartreux : le 20 décembre 1637 un cornu poussé par quelque foi dévote entra dans l’église de San Dionésio de Jerez au moment des vêpres et fit chuter au sol la vasque de marbre utilisée pour les baptêmes ; ce bicho destiné aux réjouissances publiques, sema l’effroi parmi les dévots venus prier ! Le supérieur du couvent paya la casse en kilos de viandes…
Au début du XVIIIe siècle, les Dominicains de la Cartuja Santo Domingo de Jerez cédèrent la moitié du bétail à ceux du couvent (cartuja) de Séville (devise blanche et Jaune) : ce qui vient confirmer son crédit.
Cartuja de Séville du XIIIe siècle
Ces taureaux sont réputés solides et rugueux : « grands, forts, bien armés, de pelages variés mais broncos et avisés ».
Les Chartreux de Jerez présentèrent leurs toros à Madrid le 4 mai 1792, la devise était de couleur verte. En 1798, ils fournirent 10 toros de six ans à la Maestranza de Séville.
En 1803, les couleurs de la devise étaient modifiées. Elle devint noire.
La ganaderia fut dispersée lorsqu’en 1835 parut le Décret de Mendizabal, décret qui ordonnait l’expulsion des religieux.
D’autres ordres religieux se livrèrent à l’élevage bravo : le Couvent de San Isidor de Séville (devise noire et blanche), le Couvent de San Augustin de Séville (devise rouge et noire), les Pères de la Compagnie de Jésus, le Monastère de San Jeronimo de Séville.
… Dominicains de Jerez et Séville, Chartreux de Jerez se trouvèrent à la tête d’importants troupeaux et furent à l’origine de nombreux élevages… même si le Pape avait interdit la corrida !
Ainsi au cours de ce XVIIIe siècle, quelques élevages, quatre surtout ont marqué très fortement la génétique taurine : Cabrera, Gallardo, Vasquez et Vistahermosa.
Toro réalisé à partir d'un dessin du XVIe siècle. Il est du type Cabrera
- En 1740, Luis Antonio Cabrera de Utrera forme son élevage à partir du bétail acheté aux Chartreux de Jerez, aux pères Augustins de la Santissima Trinidad de Carmona et autres communautés religieuses. Cette race se retrouve aujourd’hui chez Miura.
- Le curé de Rota, Bernaldo de Quiros, en 1760, croise des vaches andalouses (cartujanas) avec des sementales de Navarre. En 1792, les frères Gallardo du Puerto de Santa Maria récupèrent le troupeau. Cet élevage, après apport de sang Vasquez, Jijon et Cabrera, est à l’origine de Pablo Romero, aujourd'hui Partido de Resina.
- En 1755, Gregorio Vásquez d’Utrera fonde sa souche importante (vazqueña) de taureaux braves à l’aide d’animaux de provenance monastique. Le fils Vicente José rajouta des vaches de la ganaderia de Bécquer, de Cabrera et de Raso de Portillo. Ce cheptel passa dans les mains des ducs de Veragua, dont le blason est maintenant le fer de Juan Perdo Domecq.
- Enfin, en 1775, Pedro Luis de Ulloa, Conde de Vistahermosa, lui aussi d’Utrera, forme son élevage à partir de celui des frères Rivas qui avaient fondé le leur en 1733 avec des achats provenant de diverses congrégations religieuses. Puis l’élevage fut vendu en 1825 en cinq lots. Deux de ces lots, celui de Juan Dominguez Ortiz dit « El Barbero de Utrera » et celui de Salvador Varea prospérèrent parfaitement : ils sont à l’origine de 95% des élevages actuels !
Frères Chartreux, Dominicains et autres Augustins, soyez bénis !
Gilbert LAMARQUE