Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LE TAUREAU DANS TOUS SES ÉTATS BESTIAIRE MÉDIÉVAL

Publié le par Cositas de toros

Deuxième partie.

 

Egyptiens fêtant le dieu Apis. Vincent de Beauvais, Miroir historial. 1463. BnF

   

     Image vivante du dieu égyptien Ptah vénéré à Memphis, le taureau fût plus tard associé à Osiris. Figuré dans la division zodiacale où se trouve l’équinoxe du printemps, ce signe est le symbole du soleil qui, à cette époque de l’année, féconde la nature. Aussi attribuait-on la fécondité au taureau Apis et le pouvoir d’en communiquer la faculté aux femmes. Quand un taureau Apis mourait, les prêtres lui cherchaient un successeur. Il devait être né d’une vache fécondée par un rayon du soleil, ce que déterminaient certaines taches noire dans le pelage qui se devait par ailleurs d’être blanc. Une magnifique étable, tournée du côté du soleil levant, était alors construite au lieu même où l’on avait trouvé le nouveau dieu. Là, pendant quatre mois, il était abreuvé de lait. Une procession de prêtres le conduisait ensuite au bord du Nil et l’embarquait sur un vaisseau richement décoré pour l’amener à Nicopolis. Pendant quarante jours, les femmes venaient adorer le nouveau dieu. Il partait ensuite pour Memphis où un temple magnifique lui servait d’étable.

 

Adoration des idoles. Guiard des Moulins, Bible historiale. XIVe siècle. BnF

 

    Le taureau est présent à des degrés divers dans nombre de religions, les cultes d’Apis et de Mithra notamment. Divinité d’origine perse, Mithra est le dieu Sauveur, le Vainqueur invincible que les armées romaines ont célébré dans l’empire jusqu’à l’avènement du christianisme. Mithra est né d’un rocher, après le solstice d’hiver, un 25 décembre, quand le soleil renaît et que les jours recommencent à grandir. C’est sur l’ordre du Soleil que Mithra égorge le taureau impérieux après l’avoir dompté. De son sang versé et de sa moelle naîtront végétaux et animaux. Ce culte marque l’alternance cyclique de la mort et de la résurrection ainsi que l’unité permanente du principe de vie. Le christianisme pour s’imposer devra lutter contre ces cultes païens et éliminera progressivement le taureau du bestiaire médiéval pour lui préférer le bœuf docile de la crèche.

 

Moïse et le taureau du sacrifice. Guiard des Moulins, Bible historiale. XVe siècle. BnF

 

    Yahvé parla à Moïse et dit : "Si quelqu’un pèche par inadvertance contre l’un des commandements de Yahvé et commet une de ces actions défendues, si c’est le prêtre consacré par l’onction qui pèche et rend ainsi le peuple coupable, il offrira à Yahvé pour le péché qu’il a commis un taureau, pièce de gros bétail sans défaut, à titre de sacrifice pour le péché. Il amènera ce taureau devant Yahvé à l’entrée de la Tente du Rendez-vous, lui posera la main sur la tête et l’immolera devant Yahvé.

 

Loi mosaïque. Guiard des Moulins, Bible historiale. XIVe siècle. BnF

 

Puis le prêtre consacré par l’onction, prendra un peu de sang de ce taureau et le portera dans la Tente du Rendez-vous. Il trempera son doigt dans le sang et en fera sept aspersions devant le rideau du sanctuaire. Le prêtre déposera un peu de sang sur les cornes de l’autel des parfums qui fument devant Yahvé, et il versera tout le sang du Taureau à la base de l’autel des holocaustes qui se trouve à l’entrée de la Tente du Rendez-vous[…] " Lévitique. Chap 1 et 4.

 

Vision d'Ezechiel : le char de Dieu. Guiard des Moulins, Bible historiale. Début du XVe siècle. BnF

 

    Le prophète Ezéchiel eut la vision : quatre êtres qui paraissaient avoir une forme humaine. Chacun avait quatre visages, chacun avait quatre ailes. Droites étaient leurs jambes dont les sabots semblables à des sabots de taureau, étincelaient comme du bronze poli. Ils avaient tous quatre un visage humain par devant, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de taureau à gauche, et tous quatre une face d’aigle. A terre, à côté de chacun des quatre êtres, une roue et dominant la scène l’image du Seigneur.

 

Symbole des évangélistes. Guiard des Moulins, Bible historiale. XIVe siècle. BnF

 

    L’attribution de quatre symboles différents aux quatre évangélistes a sa source dans la vision d’Ezéchiel (paragraphe précédent) et dans la vision de l’Apocalypse. L’aigle est associé à Jean, l’homme à Matthieu, le lion à Marc et le jeune taureau préfigure Luc.

Au XIIe siècle, les clercs et les lettrés enseignèrent aux infidèles les significations qu’ils attribuaient aux trois animaux : de Jésus on disait qu’il fut homme en naissant, veau (jeune taureau) en mourant, aigle en montant au ciel. De même chaque chrétien se devait d’être à la fois homme, veau, lion et aigle : homme parce qu’il est doué de raison, veau parce qu’il faut pouvoir se sacrifier pour Dieu, lion parce que le juste doit éprouver le courage de ne rien redouter, aigle pour contempler les choses célestes et éternelles…

 

Saint Luc écrivant. Vies des saints. XIVe siècle. Enluminure par le maître de Fauvel. BnF

 

    Le bœuf (veau) est l’un des trois animaux évangélistes qui accompagnent Luc, Marc et Jean. Les enlumineurs du Moyen Âge aimaient peindre Luc, leur saint patron et le représentaient avec son animal évangélique. Le bœuf de saint Luc n’a pas toujours été un bœuf. Les irlandais du haut Moyen Âge lui préféraient un veau, symbole d’innocence, et les Carolingiens, un taureau, symbole de puissance, mais au poil blanc, symbole de pureté. Au temps des carolingiens, le bœuf est l’émanation même de Dieu qui souffle à saint Luc la parole divine.

 

SaintLuc écrivant. Guiard des Moulins, Bible historiale. XVe siècle. BnF

 

    Il apparaît souvent ailé et nimbé comme ci-dessus.

 

Saint Luc

 

    Peu à peu le bœuf se transforme en compagnon du saint lui tenant son livre, lui servant de lutrin et même parfois de repose pied comme sur cette statuette de bois.

 

Le taureau zodiacal. Evrard de Conty, Echecs amoureux. Vers 1496/1498. BnF

 

    Deuxième signe du Zodiaque, le Taureau (21 avril-20 mai) se situe entre l’équinoxe du printemps et le solstice d’été. Symbole d’une grande puissance de travail, il figure aussi tous les instincts, principalement celui de la conversation, de la sensualité et d’une propension exagérée pour les plaisirs. Ce signe est en effet gouverné par Vénus, selon le langage astrologique. C'est-à-dire que la constellation du Taureau se trouve en parfait harmonie avec cette bachique à la gloire de Vénus. C’est un chant de plénitude lunaire dans l’exaltation de la mère-nature.

 

Allégorie : Triomphe de la Mort. Pétrarque, Trionfi. XV-XVIe siècle. BnF

 

    Dans le bestiaire de la mort, le bœuf joue un rôle important : il sert de monture au XVe siècle, à l’allégorie de la mort. Depuis le XIIe siècle et jusqu’alors, elle était montée sur un cheval et, armée d’un arc et d’une flèche, pourchassait les vivants. Elle allait au galop et ne se presse plus, adoptant le pas lourd et sage d’un animal de labours, qui symbolise bien la fatalité d’un évènement inéluctable. Le symbole s’appuie sur des éléments de réalités. Novembre est à la fois le mois des morts et celui où le boucher médiéval tuait le bœuf. Pour des raisons d’hygiène, en milieu urbain, on pratiquait la vente et le sacrifice des bœufs dans les cimetières à l’écart des villes.

 

Nativité. Pierre Lombard, Sentences. XIIe siècle. BM de Troyes

 

    Bien avant la naissance du Christ, Isaïe pouvait écrire : "Le bœuf reconnaît son bouvier et l’âne la crèche de son maître, Israel ne connaît rien, mon peuple ne comprend rien." Rien d’étonnant à ce que le bœuf et l’âne se soient penchés sur la couche de l’enfant Jésus. Pas un mot pourtant à ce sujet dans les évangiles sauf dans les évangiles apocryphes. Cette légende de la crèche envahit toutefois l’iconographie médiévale.

 

Détail. Sentences, un traité de théologie. Il s'agit de l'un des liens les plus importants du Moyen Age.

 

    Nous, vulgaires et méprisables, nous avons transformé la crèche en arène, l’âne en cheval et le bœuf en taureau furieux. Et ce, pour le plus grand ravissement des uns et le plus grand courroux des autres.

Que les foudres de l’Éternel ne s’abattent point sur nos humbles esprits !

Deo gratias.

 

 

Gilbert LAMARQUE

   

Commenter cet article