LE TAUREAU DANS TOUS SES ÉTATS - BESTIAIRE MÉDIÉVAL
Première partie.
La lecture de l’ouvrage de Michel Pastoureau : Le Loup – une histoire culturellle. Éd. Du Seuil, particulièrement jouissive, m’a donné l’idée de divaguer dans les manuscrits et enluminures. Au chapitre 5 intitulé : Ysengrin : un loup pour rire ?, l’auteur nous conduit au cœur du Roman de Renart, souvenez-vous des aventures d’un goupil rusé et querelleur nommé Renart ! les plus anciens écrits sont datés de 1174-1205 formant un noyau cohérent ; les autres plus disparates, ont été composés dans la première partie du XIIIe siècle. C’est donc un "roman" à plusieurs mains dans lequel nous voyons s’affronter Renart et le loup Ysengrin, les deux héros principaux : Renart représentant le petit peuple (un "gilet-jaune" moyenâgeux), Ysengrin, la bourgeoisie lourde et patentée.
Mais pourquoi aborder le roman de Renart ? Révisons nos classiques… Cette œuvre n’est pas un roman, mais un recueil en langue romane, donc en français. C'est un ensemble de récits animaliers, véritable satire avant la lettre. Il existe dans cette longue liste de "personnages" avec Renart, le renard alias Goupil, Ysengrin, le loup éternel ennemi, Noble le lion, Tibert le chat, Baudoin l’âne, Chanteclerc le coq, Blanche l’hermine… un taureau nommé Bruyant. Celui-ci agrémente discrètement les pages de cet ensemble tout comme le taureau dans le bestiaire médiéval où il est beaucoup plus présent.
J’ai donc extrait le document ci-dessus d’un manuscrit provenant de la Bibliothèque nationale de France. Cette enluminure, en haut à gauche, met en scène le roi Noble le lion armé d’un coutelas, Bruyant le taureau et Tardif le limaçon portent l’enseigne à la poursuite de Renart qui s’est réfugié dans son château de Maupertuis.
« Le Roi demanda qu’on lui présentât les ôtages et ne voulut pas faire grace d’un seul. Ysengrin livra pour les siens Brun l’ours, Tybert le chat, Chanteclerc le coq et sire Couard le lièvre. Renart choisit de son côté ceux dont l’expérience étoit le mieux connue : Bruyant le taureau, Baucent le sanglier, Espinart le hérisson et son cousin Grimbert le blaireau. La bataille fut remise à quinze jours ; Grimbert se portant garant que damp Renart se présenteroit à la place et à l’heure dites, pour abattre l’orgueil d’Yssengrin. "Allons, dit le Roi, ne ranimez pas les querelles ; mais que chacun de vous retourne paisiblement à son hôtel."
Renart n’étoit pas assurément de la force d’Ysengrin ; mais il possédoit mieux tous les secrets de l’escrime, et cela l’avoit décidé à accepter la lutte. S’il est moins vigoureux, il sera plus adroit ; il saura tirer partie de l’entre-deux, il se repliera pour découvrir son adversaire au moment favorable ; il connoit à fond le jambet, les tours françois, anglois et bretons, la revenue, les coups secs et inattendus. Pour Ysengrin, il ne croit pas avoir besoin de préparation ; fort de son bon droit et de la faiblesse de Renart, il va tranquillement dormir a son hôtel, en maudissant les ajournemens qui retardent l’appaisement de sa vengeance.
… » (sic)
Partant de cette lecture, j’ai souhaité pousser plus loin la corne en introduisant ci-dessous le bestiaire médiéval en privilégiant le Taureau. Car dans ce bestiaire nous trouvons le lion, l’ours, la colombe, le cerf, le renard, l’agneau, la licorne, le dragon et autres animaux fantastiques et bien sûr, le taureau.
Toutes les iconographies suivantes sont issues de manuscrits du Moyen Âge, généralement du XVe siècle nous contant l’histoire du Taureau dans la mythologie, l’antiquité et les religions.
Vous trouverez les différentes illustrations issues des manuscrits abrités par la BnF à l’exception d’une seule provenant de la Bibliothèque municipale de Troyes et datée du XIIe siècle.
Au Moyen Âge, les bovins sont surtout élevés comme instruments de travail. Le bœuf joue en effet un rôle majeur dans les labours et le transport. Plus lents que les chevaux, les bœufs sont capables de traîner des charges plus lourdes. Le bœuf est donc le symbole de richesse et de force. Il est aussi chargé d’une puissante symbolique christologique : créature douce et paisible, dotée de patience et de bonté, il creuse comme le Christ des sillons fertiles et se sacrifie pour le service des hommes.
On a longtemps imaginé que le Moyen Âge se nourrissait d’herbes et de racines et était privé de viande à l’exception de la charcuterie. Il n’en n’est rien. En dehors des périodes de crises, les derniers siècles du Moyen Âge atteignent des consommations de viande et le bœuf est la viande la plus consommée.
Par rapport au veau, le bœuf est une viande de peu de noblesse, aussi est elle peu représentée dans les livres de cuisine aristocratiques. Elle fait partie des "grosses viandes" en général bouillies.
Dans la tradition grecque, le taureau blanc est l’animal divin par excellence. C’est sous cette forme que Zeus avait enlevé la jeune Europe pour la conduire en Crète où ils s’unirent et eurent trois fils. L’un d’eux, Minos, disputant la royauté à ses frères, demande à Poséidon de lui assurer son soutien en faisant surgir sur les flots un taureau qu’il lui sacrifiera en retour.
Avec une robe blanche éclatante, l’animal est d’une telle beauté que Minos rechigne à tenir sa promesse et en immole un autre. En châtiment, Poséidon rend le taureau furieux et inspire à la reine Pasiphaé un amour monstrueux pour l’animal dont naîtra le terrible Minotaure… Emporté sur le continent par Héraclès, le taureau de Crète sera maîtrisé à Marathon par Thésée (une des premières faenas…), héros athénien qui vaincra aussi le fils, cette créature hybride recluse dans le labyrinthe.
L’enlumineur a-t-il eu méconnaissance du mythe pour représenter un taureau noir ? Ou bien est-ce un choix délibéré marquant une condamnation implicite de l’acte contre nature ?
Selon le mythe grec, Jason, pour recouvrer le pouvoir, devait rapporter la Toison d’Or en son royaume. Avec ses compagnons les Argonautes, ils arrivent en Colchide où Jason doit imposer le joug aux taureaux d’Héphaïstos, le dieu du feu. Réputés indomptables, ces deux bêtes monstrueuses portent des sabots d’airain et soufflent le feu par les naseaux. Cette condition signifiait que le héros devait dompter ses passions avant de conquérir la Toison d’Or, symbole de la perfection. Prise d’une passion pour lui, Médée, la fille du roi, viendra à son secours contre la promesse de l’épouser.
Pendant plusieurs siècles, la religion s’opposa au culte de Mithra, d’autant que c’était aussi une religion monothéiste, croyant en une résurrection. Quand le christianisme l’emporta au IVe siècle, il chercha à éliminer le culte de Mithra et notamment le symbole du taureau tué par Mithra dont le sang avait fécondé la nature et l’avait fait revivre. Le taureau est alors diabolisé ; son sang devient vénéneux, il devient un des attributs de Satan et la tête, les pieds, la queue et surtout les cornes du taureau sont associés au diable. L’Église combattit les symboles cornus qui restèrent cependant associés à une force magique dans les champs de bataille et dans les tournois.
A suivre…
Gilbert LAMARQUE