VICISSITUDES "TAUROMACHIQUES" : LES MOJIGANGAS
A côté des despeños, dont il fut question dans la dernière chronique, où le taureau joue le souffre-douleur, naquit un autre genre de spectacle où ce triste rôle est échu aux hommes : les mojigangas. Ce sont des courses bouffonnes où l’acteur emploie tout son "art" à recevoir des coups de la façon la plus grotesque.
L’origine des mojigangas remonte au XIe siècle. A cette époque l’on avait coutume, dans un grand nombre de villes, de lâcher sur place, les jours de fêtes, un… cochon. Deux hommes, les yeux bandés et armés d’un bâton, devaient lui courir après et le frapper pour avoir le prix.
Plus tard, on remplaça le cochon par une petite génisse portant une clochette et une bourse. La clochette servait à guider les joueurs et la bourse contenait une récompense pour celui qui réussissait à arrêter la génisse comme font aujourd’hui encore au Portugal, les forcados – los mozos de forcado.
L’on s’ingénia ensuite à varier cet amusement et l’on combattit successivement des loups, des renards, des chiens furieux, voire même des sangliers (le cochon était retourné à l’état sauvage !). Ce n’était pas assez : la curiosité malsaine de quelques brutes s’éleva au niveau de la cruauté inspirée des joutes romaines. Néron avait inventé l’ "homme flambeau", ils inventèrent le singe "feu d’artifice". Voici comment ils procédaient. L’on amenait dans l’arène un certain nombre de quadrumanes et on les attachait avec des chaînes en différents points du redondel. Puis on lâchait un taureau. Pour éviter son atteinte, les singes exécutaient d’affolantes cabrioles et bonds qui mettaient les spectateurs en joie. Quelques uns de ces singes étaient habillés avec des "vêtements explosifs", c’est à dire que dans la doublure de ces vêtements, l’on mettait de la poudre à canon. Au moment propice, quand le taureau abordait le singe, un employé mettait le feu aux vêtements de ce dernier, lequel partait en fusée au mufle du cornu, on s’en doute, ahuri.
Un heureux dérivatif à ces "amusements" stupides et pitoyables fut apporté vers la fin du 18e siècle par une pléiade de toreros singulièrement héroïques. Ces hommes inventèrent un toreo spécial qui leur permettait d’épancher leur fantaisie débordante et de mettre en relief leur invraisemblable témérité.
Mais ce fut peu d’art et beaucoup de brutalité !
Voici un passage emprunté à l’hispanisant Georges Desdevises du Dézert (1854-1942) dans "L’Espagne de l’Ancien Régime" où est décrit le travail de ces diestros :
"Un indien, le fameux Ramon de la Rosa, posait les banderilles et tuait le taureau sans descendre de cheval ; il attendait le taureau à la porte du toril, sautait sur son dos, jouait de la guitare et forçait la bête à marcher en mesure ; il se plaçait sur une table en face du taureau, les pieds enchaînés, et sautait par dessus l’animal quand il venait pour se jeter sur lui…"
J’aurais été, pour ma part, curieux de voir le taureau "marcher en mesure" !
Mariano Ceballos, autre indien, faisait mieux encore. Monté sur un taureau qu’il éperonnait et guidait ainsi qu’un cheval, il posait des banderilles à un autre taureau.
Ces intermèdes "comiques", voire bouffons ne sont que de douces mojigangas !
Les mojigangas proprement dites, oubliées fort heureusement, étaient d’une toute autre sauvagerie. Peut-être les aborderons-nous prochainement.
Mais ici, point de tauromachie, sinon une barbarie bien délibérée par la perversion des hommes.
Aujourd’hui nos corridas sont plaisantes et gracieuses en comparaison !
Définition du Cossío : "Mojigangas : representación pantomímica y ridícula que se hacía en las novilladas y terminaba con la salida del novillo, que solía poner en dispersión la cuadrilla que la representaba.
Le mojiganguero : el diestro que toma parte en mojigangas. Respectivament se aplica al toreo de poco fundamento y chabacano*".
*chabacano : de mauvais goût.
Pedro Calderón de la Barca (1600-1681), l’auteur de La vie est un songe, drame métaphysique écrit en 1634, fut l’auteur de mojigangas. Ici se traduisant par : farces en vers.
Et pour conclure, c’est aussi en Amérique Latine, au Mexique notamment, à San Pancho ou San Miguel de Allende, par exemple, une farce représentée par des défilés conjuguant musique, danses, déguisements, masques et géants typiques (Les gigantes que nous croisons en Espagne).
Cette farce consiste en un texte bref en vers, de caractère comico-burlesque et musical lors du Carnaval mais aussi durant le Carême, la Nativité, etc.
Gilbert LAMARQUE