LA DER
Après Bayonne durant l’occupation, abordons les toros aux arènes de Lachepaillet juste avant le conflit.
La dernière corrida programmée et qui se déroula, fut celle du 13 août 1939 avec au cartel des toros de Carmen de Federico pour Vicente Barrera, Domingo Ortega et Juanito Belmonte.
Voici la narration qu’en fit Claude Pelletier dans son Histoire de la Tauromachie à Bayonne (UBTF, 1982), texte repris dans Bayonne, sept siècles de premières, du même auteur, édité à compte d’auteurs en 1993.
« 1939, 3 septembre, 17 heures…
Le 13 août, la plaza enregistre un plein absolu. Le "no hay billetes" ne sortait pas souvent sur le plateau de Maledaille en ce temps-là.
Les Carmen de Federico, inégaux mais jolis, prennent trente piques et occasionnent six chutes. Le dernier toro qui franchira la porte du toril avant la deuxième guerre mondiale, sera un grand toro puissant et brave. Il s’élance six fois sur le bastion, l’écroule à trois reprises et tue un cheval. Il déborde et annule Juanito Belmonte limité par sa verdeur technique. Barrera est mauvais et rate même trois descabellos. On aura tout vu. Ortega fait un petit effort désinvolte et obtient quelques bravos distraits.
La grande corrida de clôture est annoncée pour le dimanche 3 septembre. Juan Belmonte est attendu dans sa nouvelle vocation de rejoneador. Son fils, La Serna et "El Estudiante" doivent tuer six toros de Mora Figueroa.
Mais le dimanche 3 septembre 1939, à l’heure du paseo, l’arène de Lachepaillet reste déserte. La France entre en guerre à cet instant précis : à cinq heures de l’après-midi. C’était le délai fixé pour la réponse de Berlin à l’ultimatum français. Cinq heures de l’après-midi… l’Europe bascule dans l’horreur.
Un silence écrasant règne sur les gradins vides, noyés dans le crachin. La foule est énorme, mais à l’autre bout de la ville. Sur le quai de la gare, les hommes partent dans le calme et la tristesse. Ils sont loin les chants et les bouquets de l’août 1914.
Un vieux monsieur passe la soirée à la terrasse d’un café place Grammont. Le couvre-feu avance l’heure de la fermeture. Le garçon s’approche, se fait payer et s’en retourne. Le vieux monsieur est seul désormais. Des discours embrouillés qu’il a tenus à qui voulait les entendre, des témoins diront plus tard à la police ce qu’ils en ont retenu : il s’agit d’un retraité, originaire de Lille et retiré à Dax, ancien combattant, médaille militaire…
Le vieux monsieur tire maintenant un revolver de sa poche et, calmement, dignement, se fait sauter la cervelle. »
De 1939 à 1946, il n’y aura pas de fêtes de Bayonne en raison de cette maudite guerre.
Ci-dessous, le dernier programme avant le conflit.
La terna du dernier jour :
- Vicente Barrera Cambra, né à Valence le 3 décembre 1907, décédé dans sa ville natale le 11 décembre 1956, prit l’alternative à Valence, le 17 septembre 1927, Juan Belmonte étant le parrain, le toro de la cérémonie de Concha y Sierra. Il toréa durant dix-huit ans, instruit et intelligent, il se consacra aux affaires, une fois retiré. Torero puissant et dominateur, il a combattu jusqu’en 1942, et réapparu en 1944 prenant sa retraite, l’année suivante, le 3 mai après une corrida à Barcelone, alternant avec le mexicain Silverio Pérez et Luis Miguel Dominguín.
Il était le grand-père du torero du même nom, Vicente Barrera Simón, licencié en droit qui décida de se retirer en 2011.
- Domingo Ortega, fils de petits paysans de Borox, village de la province de Tolède où il naît le 25 février 1908, voit Domingo Dominguín, l’ex-matador, lancer sa carrière. Il prend l’alternative le 8 mars 1931 à Barcelone, parrain Gitanillo de Triana, témoin Vicente Barrera, toros de Juliana Calvo. Premier de l’escalafón en 1931, 1932, 1933, 1934, 1936, 1937 et 1940. Ganadero, il vit le massacre de son élevage par les "rouges" au début de la Guerre civile. Il meurt à Madrid, le 8 mai 1988.
- Juan Belmonte Campoy, "Juanito Belmonte", est né à Madrid le 28 novembre 1918, il meurt à Fontarrabie, le 20 juillet 1975. Il est le fils naturel de Juan Belmonte García qui le reconnaît légalement en 1935. Il prend l’alternative à Salamanque en pleine Guerre civile, le 12 septembre 1938. Marcial Lalanda et Domingo Ortega complètent la terna. Le toro de la cérémonie, "Ligurino" appartient à la ganaderia d’Antonio Pérez Tabernero. Son père intervint comme rejoneador lors de sa confirmation d’alternative à Madrid, le 12 octobre 1939. Les années 1942 et 1943 furent les meilleures de sa carrière. Il se retire le 29 août 1947, le lendemain de la mort de Manolete.
Gilbert Lamarque