LE CHANT DES PARTISANS
En tauromachie, il y a toujours eu des divergences, des antagonismes curieux.
(Il y a quelques jours, le 19 août, nous vous entretenions sur les partisans du torero ou du toro : torerista ou torista).
Tous ces antagonismes peuvent porter sur le piquero, le caparaçon, les toreros, les toros et sur bien d’autres détails – qui n’en sont pas toujours – et sont un des éléments parmi des milliers de la passion et de l’intransigeance, parfois l’intolérance de nombre d’aficionados.
Nous assistons tous au même spectacle mais, la façon de l’aborder, de le voir, de le ressentir, de le juger, de le concevoir, diffère fortement suivant le goût, le caractère, les idées, la culture tauromachique, le parcourt et parfois même du milieu social de chacun.
Et dans ce monde de sueur et de sang, en principe, chacun tranche dans le vif.
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Qui n’a pas entendu "qu’autrefois", les toros pesaient en toute normalité les fameuses 30 arrobas*. Que les toreros très professionnels préféraient subir la cornada que vivre l’échec. Que les picadors – les mal-aimés aujourd’hui – excellents cavaliers, se seraient crus déshonorés de placer la vara ailleurs qu’en plein garrot. Que les corridas et autres spectacles dits mineurs, se déroulaient dans le respect rigoureux du règlement et des principes le codifiant, et autres considérations incontrôlées mais irrévocables qui constituent l’évidence sacro-sainte de l’art du toreo dont ils sont les irréductibles prêtresses.
En conclusion de ces traditions sacrées et intouchables, sont nées des prises de position étranges dont les plus intransigeantes se sont fixées sur l’élément essentiel, de base de la corrida, à savoir le toro.
Le poids
Il y a les partisans du poids. Ceux pour qui le toro de lidia doit avant tout être un animal grand, lourd, puissant, très armé. Nous les trouvons pour la plupart à Madrid ou Bilbao. Seul le toreo dur, difficile, dangereux contre cet animal imposant les intéresse comme, sans franchir les Pyrénées, à Céret ou à Vic. Ils en espèrent une forte émotion, le frisson violent qui vous parcourt l’échine jusqu’à l’angoisse, tout ceci sont pour ces disciples la quintessence de l’art tauromachique.
Si vous avancez le caractère souvent pénible de ce spectacle, ils éliminent l’élément difficile en vous affirmant qu’ « il y a une lidia adaptée au caractère de chaque toro » - ce que je partage – et ne s’intéressant qu’à l’effort, à la lutte âpre et technique, of course.
La bravoure et la noblesse
L’autre conception a pour nature les qualités de bravoure et de noblesse du toro.
Cette catégorie d’aficionados ne fait pas pour autant, abstraction de la prestance, de l’allure ; mais s’il a à choisir entre la masse et la combativité, ils soustraient sans hésitation quelques arrobas au bénéfice des qualités "morales" du bicho. La notion de masse ne veut pas dire être plus gras ni être plus fort.
Pour eux, la tauromachie est avant tout un art. Vivre le beau, l’esthétique, au diable la bagarre ! Ils optent pour la beauté plastique plutôt que pour l’angoisse du danger.
Le style, le geste pur, l’harmonie et la lenteur des mouvements sont appréciés plus que le corps à corps athlétique.
Leur satisfaction est générée par l’inépuisable bravoure et surtout l’intégrale loyauté du toro, pour ne pas dire parfois, la candeur dans l’attaque.
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L’intermédiaire
Entre ces deux conceptions, il y a la place pour un point de vue intermédiaire.
Le partisan du toro lourd, énorme, regarde avec tristesse l’aficionado qui admet le toro moyen. Il veut des kilos sur la bascule même si par la suite, il en résulte d’amères désillusions.
Quant à l’amateur de la bravoure, il estime avant tout qu’une exécution idéale des suertes vaut bien la peine de se priver de quelques arrobas. Partisan du toro brave, il s’intéresse à tous les tercios même si la puissance est limitée. Pour lui, la corrida est surtout un ensemble qui exige pour sa parfaite réalisation avec ce côté artistique, les qualités de noblesse et de bravoure qui n’amènent pas obligatoirement au toro « sur rails ». Il en tirera des impressions d’esthétique, d’élégance et d’harmonie, tout cela non dénué de danger, d’effort et de tragique.
Conclusion
Elle tient dans cette phrase de Belmonte après avoir abordé cet éternel sujet de discorde entre aficionados : « Un toro n’a jamais fait mal avec ses kilos. Ce sont ses intentions qui comptent et surtout la façon dont il les traduit avec ses cornes. »
Là se situe sans conteste toute la logique du toreo.
Un toro brave, noble et lourd est au goût de chacun, et je crois, sans me tromper, au goût de tous les vrais toreros.
Un toro anovillado, nerveux, dur de pattes, un toro de sentido, sera toujours craint par les matadors de toutes les catégories.
Vous l’aurez compris, cet article n’étant qu’une autre façon d’aborder "torerista y torista" mais dans une position consensuelle. Il y a la place pour chacun avec le "bon" toro, "moderne" ou pas, celui qui devrait toujours nous unir sans pour cela éliminer tout le ganado.
*Arroba, ancienne unité de mesure de masse. En Castille, l’arroba équivaut à 25 livres, soit 11,500 kilos.
Gilbert Lamarque