VERITES, MENSONGES ET DUPERIES. Partie I
La lecture de certains livres a, parfois, de quoi vous laisser rêveurs, et dans celle du dernier ouvrage de Michel Pastoureau, Le Taureau. Une histoire culturelle, de quoi perturber l’aficionado.
Le taureau, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait l’objet depuis déjà longtemps d’extravagantes explications historico-doctrinales. De la Préhistoire à nos jours, des cavernes du Magdalénien à la corrida contemporaine, certains ont bâti peu à peu tout un système, une mise en scène qui tendent à représenter le taureau comme à l’origine de tous les cultes.
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Cnossos, Scène de voltige avec un taureau, Peinture murale, -1800 ou -1700 av.J-C.
On l’affirme avoir été adoré à Cnossos en Crète, plusieurs millénaires avant notre ère, on parle des mystères de Cybèle, du taureau Apis des Égyptiens, des taureaux ailés chaldéo-Assyriens, du culte de Mithra, on transforme en taureau le bœuf de saint Mathieu l’évangéliste, on évoque celui qui, dans les pâturages en bord de Garonne, fut l’instrument du martyre de saint Sernin, sans oublier, bien entendu, l’enlèvement d’Europe et les signes du zodiaque.
Tout cela présente, à première vue, une construction séduisante, mais, il faut bien dire que ce corps de doctrine est parfois marqué de la plus douce des fantaisies et certains en ont fait leur commerce – je sens le vent du boulet effleurer ma crinière, aujourd’hui moins abondante ! – J’ai bien voulu, au fil de mes lectures sur le sujet et ceci me réconfortant, croire en cette aimable musique, mais l’âge de la maturité atteint – je n’ai pas dit plénitude –, me fit comprendre que tout n’était pas si simple, si évident.
Dans l’intérêt même, et le sérieux de la tauromachie, qui n’est pas un art frivole, on en conviendra, il est de notre devoir de donner quelques précisions en une matière aussi obscure que délicate, vu les années qui nous séparent.
Cette lecture de l’ouvrage de Michel Pastoureau m’en apporte encore la preuve aujourd’hui. Beaucoup de non spécialistes ont écrit sur le sujet. Ici nous abordons les chevauchées du taureau européen avec un historien reconnu des animaux avec les publications sur l’ours, le loup, les bestiaires du Moyen Âge. Nous apprenons que cet archiviste paléographe n’est pas un partisan de la corrida mais pouvons-nous être suspicieux sur ses compétences ?
Le voici qui s’insurge : « La bibliographie sur le sujet est immense mais encombrée de mauvais livres, simplistes ou mal informés, parfois de mauvaise fois, voire tout simplement malhonnêtes. », poursuivant, « Les travaux les plus sérieux sont récents et vont tous dans le même sens : il n’existe absolument aucun lien ni aucune continuité entre les rituels tauromachiques de l’Antiquité et la corrida moderne telle qu’elle définit ses règles dans l’Espagne de la fin du XVIIIe siècle. » La liste des critiques formulées par les adversaires est longue tout comme celle énoncée par ses soutiens dont l’auteur balaie « les arguments dérisoires, sinon fallacieux... »
Ni les Slaves, ni les Germains, ni les Celtes, ni les Hébreux, pour ne parler que d’eux seuls, n’ont voué un culte au taureau, encore moins les Grecs malgré la civilisation mycénienne et les Romains malgré Mithra. Les cultes taurins dont nous sommes à peu près certains se rencontrent surtout dans les civilisations agricoles sémitiques et sont généralement associés à un culte de divinité tel celui de Cybèle, la grande déesse de Phrygie, Déesse mère ou du Dieu Teshub chez les Hitites, le Roi des dieux. Si l’Indra, le roi des dieux dans la mythologie védique de l’Inde ancienne, le Mardouk de Babylone, l’Apis égyptien ou le Bacchus des mystères sont figurés par un taureau, il faut les considérer comme symbolisant la force génératrice, le signe équinoxial incarné qui marque le réveil de la nature plutôt que comme des divinités intrinsèques.
Pour la Crète, l’abondante iconographie des courses "libres" que nous donnent les vases des époques minoennes retrouvés dans les fouilles, ne nous autorise pas à en déduire l’existence d’un culte taurin caractérisé avec sacrifice sanglant. En tant que symboles religieux, le serpent, le poulpe ont, dans cette civilisation, une importance bien plus grande que le taureau dont il est très hasardeux d’affirmer, en l’état des connaissances présentes, qu’il faisait l’objet d’un culte ou était le centre d’un ensemble religieux.
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Les taureaux gardiens de la porte. Musée du Louvre
Les divinités assyro-chaldéennes sont bien connues. La plupart des dieux y sont des représentations astrales ou météorologiques, les fameux taureaux ailés (voir Cositas du 15 janvier 2019 : Apotropaïque) dont l’utilisation est parfois purement décorative, sont considérés comme incarnant des esprits bienfaisants. Ces génies protecteurs appelés Lamassu, dont la tête humaine souligne le caractère de génies secondaires. Ici encore on ne saurait décemment parler de culte du taureau sans forcer la réalité des choses.
Pour l’Égypte, la question est beaucoup plus complexe. Il est fréquent de voir des représentations des rois des dynasties archaïques (environ 3 300 ans avant J.-C., une queue de taureau pendre derrière le pagne du roi. Ramsès II a le titre de "Taureau puissant". Ce sont certainement là, des survivances totémiques exactement comme celle qui fait appeler "Lion", le Négus d’Abyssinie ou décerner le titre de "Buffle" ou de "Corbeau" à tel chef Sioux ou Dakota.
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Apis
Reste, c’est vrai, les trois taureaux égyptiens bien connus Boukhis, Mnévis et Apis ou Hâpi, surtout ce dernier qui, à Memphis, avait encore sous l’Empire romain une importance extraordinaire. Incontestablement le taureau Apis était l’objet d’un véritable culte, la mort de l’un de ces taureaux était un deuil public. Mais dire que vraiment il était Dieu, qu’il était la base et le moteur d’une religion, ce serait, je crois, aller au-delà de la vérité en dépit du texte des hymnes ou chants qui le célébraient comme tel. Ce que nous savons des grands dieux égyptiens et de l’ensemble de cette religion multiforme nous permet de le penser.
Nous verrons par la suite arrivant à Mithra, après avoir sauté quelques siècles et civilisations, que le taureau et son culte ont été magnifiés par l’imagination de l’homme.
Fin de la 1ère partie.
Gilbert Lamarque