VERITES, MENSONGES ET DUPERIES. Partie II
C’est ici, avec le culte de Mithra que l’on a voulu voir avec parfois insistance, une sorte d’embryon de la corrida et donc, les lettres de noblesse de l’art tauromachique.
Il est fréquent de confondre le taureau et le Dieu. Non, le dieu Mithra n’a jamais été un dieu à figure de taureau et le sacrifice de ce dernier n’est pas non plus une immolation par substitution de l’animal au dieu comme cela s’est souvent pratiqué, y compris dans le symbolisme de l’agneau mystique des chrétiens. « Il n’est trace nulle part d’une interprétation de ce genre, pas un texte ne l’autorise. » A. Gasquet, Essai sur le culte et les mystères de Mithra.
Mais qu’est-ce que ce culte de Mithra qui ne paraît pas correspondre à l’un des dieux de la mythologie classique des Romains tels Jupiter, Junon, Vénus…, ou appartenir à la religion de l’État personnifié par l’Empereur qu’Auguste introduisit dans l’Empire ?
C’est qu’au début de notre ère, les Romains adoptèrent un certain nombre de cultes orientaux. Cybèle, Isis, Serapis, Mithra, avaient de nombreux disciples à Rome, à la veille du triomphe du Christianisme.
Sans nous étendre sur cette religion, tenons seulement pour acquis que l’une de ses cérémonies était constituée par le taurobole, c’est-à-dire l’immolation d’un taureau par un sacrificateur qui incarnait la personne du jeune dieu solaire Mithra tel que les bas-reliefs nous le représentent le plus souvent : coiffé du bonnet phrygien, le manteau flottant au vent, l’épée en main et donnant l’estocade à l’animal dans une grotte décorée des signes du zodiaque.
Ainsi donc, dans le Mithriacisme, le rôle actif et souverain est dévolu au prêtre ou au dieu seul, le taureau faisant seulement figure de victime propitiatoire, chargé de souillures et des péchés des hommes, offerte en holocauste pour le rachat des fidèles et dont le sang, conformément à une doctrine solidement établie dans la majorité des religions antiques, devait, par son aspersion ou lustration, laver toute faute et tout crime.
Le poète ibérique Prudence a décrit la cérémonie assez répugnante de ce baptême sanglant qui se recevait dans une fosse à claire-voie, une pluie de sang ruisselant de l’animal égorgé sur le catéchumène qui était ainsi renouvelé et rétabli dans sa pureté primitive, au moins pendant cinq lustres.
C’est ainsi que parmi les nombreuses inscriptions tauroboliques trouvées dans le sanctuaire de Cybèle, au Vatican, Agorius Praetextatus et sa femme déclarent avoir reçu le bénéfice de l’oblation taurobolique.
Précisons que le taurobole, comme le fameux "consolamentum" des Cathares était un évènement assez exceptionnel et que le culte de Mithra comportait d’autres mystères, épreuves ou sacrements telle la purification par l’eau lustrale, qu’enfin le sacrifice de taureau était souvent remplacé par celui d’un bélier.
Tel est schématisé et réduit à ses éléments les plus simples le rôle du taureau dans le culte de Mithra. Il faut surtout en retenir que l’animal n’était nullement assimilé au dieu, qu’il ne faisait l’objet d’aucun culte ou adoration et qu’il n’était, au fond, qu’un des figurants de la liturgie.
Mais il est déjà bien beau que le geste du matador entrant a matar, se retrouve dans l’acte d’un dieu tel, ou a peu près, que nous le restitue l’admirable bas-relief du Musée du Capitole à Rome. Et, qui sait, si sur les gradins de l’arène, le public moderne n’éprouve pas, quand la bête s’écroule, l’obscur sentiment que vient de s’accomplir un rite millénaire ? Peut-être se glisse, alors insidieusement, en chaque spectateur, l’allégresse de l’homme initié, lavé de ses souillures ? Peut-être que la mort du taureau libère en chacun de nous d’obsédants refoulements et nous délivre, un moment, du poids d’un complexe atavique de culpabilité ?
Là, nous passons du sable du ruedo aux sables mouvants de la psychanalyse !
Lisez Le Taureau. Une histoire culturelle aux éditions du Seuil, un livre luxueux à la belle iconographie (19,90 euros). Notre animal vedette en pleine lumière dans ces sombres moments. Mais un historien revendiqué doit éviter de prendre parti. Il avance un jugement radical qui ne repose sur aucune démonstration valable, une démarche propre aux anti-corrida.
FIN
¡ Quédate en tu casa !
Gilbert Lamarque