GUERRE CIVILE, FRANQUISME ET TAUROMACHIE III
Un peu d’histoire
Nous avons abordé le déroulement de cette période en Espagne. Qu’en est-il en France ?
Le début des années 1930 fut un temps de grande agitation politique. Manifestations et affrontements se succédaient. L’épisode le plus marquant reste le 6 février 1934 avec la manifestation sanglante des "ligues", mouvements d’extrême-droite surtout, parmi lesquels se firent remarquer les Croix-de-Feu et les Jeunesses patriotes. Bilan : 16 morts et 2 000 blessés. S’ensuivit le 12 février une grève générale organisée par la gauche. En juillet, une grande manifestation de la gauche unie – cela a existé… – à Paris, verra l’alliance des partis communiste (Maurice Thorez) et socialiste (Léon Blum élu à la tête de la SFIO), que rapproche leur refus du fascisme qui monte en Europe. L’année suivante, le parti radical-socialiste les rejoindra. D’où, en avril 1939, la victoire électorale du Front Populaire dont Léon Blum sera le président.
…
Le 20 juillet 1936, il n’y a aucun doute dans l’esprit de Léon Blum : le Front populaire français doit soutenir le Frente popular au pouvoir à Madrid, menacé par un soulèvement militaire déclenché au Maroc espagnol le soir du 17 juillet et le lendemain dans la Péninsule. Rien ne se passera comme prévu. Les trois grandes démocraties occidentales – la France, le Royaume-Uni et les États-Unis – vont refuser d’aider la République espagnole, en adoptant une funeste stratégie de "non-intervention". Une faute politique gravissime qui allait coûter cher au peuple espagnol.
...
Pour en revenir à la tauromachie, la presse de l’époque propose une liste interminable de chroniques sur la déchirure que les combats ont causé dans le milieu taurin comme dans toute l’Espagne. La guerre a marqué très tôt la vie des toreros, des éleveurs et des hommes d’affaires. Festivals, corridas aux services des causes respectives se sont multipliés dans tout le territoire. La différence se remarquait dans les ruedos par les paseillos qui se faisaient, soit avec le poing fermé, soit avec le bras levé !
Dans les plazas républicaines, les toreros – nous en avons cités quelques uns auparavant – Chicuelo, Cagancho, El Gallo, Niño de la Palma, père d'Antonio Ordoñez, El Estudiano, Maravilla, Juan Ruiz de la Rosa, Guerrita chico, Enrique Torres, Manolo Martínez se sont battus ainsi que Vicente Barrera, Jaime Noain et d’autres.
Quelques grands matadors surpris par le début des hostilités en territoire républicain – nous l’avons quelque peu abordé – comme Marcial Lalanda, Domingo Ortega ou les frères Bienvenida se sont ensuite battus pour la cause nationaliste, comme Manolete, Machaquito, Platerito, Juan Belmonte et son fils Juanito, Victoriano de la Serna ou Antonio Márquez.
Les éleveurs ont été la cible de la répression dans la zone républicaine.
On peut citer les meurtres entre autres de Cristóbal Colón y Aguilera, 15e duc de Veragua, de Tomás Murube, d’Argimiro Pérez Tabernero et ses fils Fernando, Juan et Eloy ainsi qu’une douzaine d’éleveurs, tous considérés comme fascistes.
La répression avait aussi pour cible les toreros – épisode évoqué précédemment – . Valencia II assassiné à Madrid le 18 décembre 1936 à 38 ans. Plus dramatique encore, le sort des neuf proches de Marcial Lalanda assassinés dans la zone républicaine en août 1936, ainsi que les banderilleros anarchistes de Grenade Francisco Galadí Melgar et Joaquín Arcollas Cabezas "Magarza" exécutés le 18 août à Viznar avec le poète Federico García Lorca par des rebelles anti-républicains.
Dans les rangs franquistes, Marcial Lalanda et les frères Manolo et Pepe Bienvenida se sont battus, incorporés dans la colonne du Colonel Sáenz de Buruaga ; Manolete en tant que soldat d’artillerie sur le front de Cordoue – déjà évoqué –, et Domingo Dominguín, père de Luis Miguel, qui a été blessé.
El Algabeño, le banderillero Fernando Gracia et le torero Félix García sont tombés au combat. El Algabeño, agent de liaison du général Queipo de Llano - nous l'avons vu précédemment - tué le 30 décembre 1936, interrompit sa carrière en 1929 à la suite d'une grave blessure subie dans les arènes de Bayonne, le 28 septembre. Il reparaît en 1933 pour une courte carrière d'un an en tant que rejoneador.
Du côté de la République, les toreros Cayetano de la Torre, Morateño et Ramón Torres, décédé en tant que pilote, sont eux aussi morts au combat ; également les banderilleros Pedro Gómez "Quinin", Francisco Ardura "Paquillo" et José Duarte Acuña, le picador Julio Grases "Jirula". Nous avons déjà évoqué le cas dramatique de Saturio Torón, le torero de Tafalla surnommé "El León navarro" ainsi que Litri II qui commandait l’unité de milice à laquelle appartenait Torón.
A cela se rajoute les exécutions sommaires et les meurtres perpétrés lors des sinistres "promenades" qui se répandaient à la fois d’un côté et de l’autre.
…
Deux camps se livrèrent de terribles luttes fratricides. Comme pour l’ensemble du peuple espagnol, le mundillo paya le prix fort : hommes et bétail. L’objet ici n’est certainement pas de prendre partie pour les uns ou pour les autres.
Si la tauromachie est un art – nous sommes nombreux à le concevoir –, il faut défendre l’autonomie de cet art tout éphémère soit-il et estimer qu’on ne doit pas juger une œuvre en fonction de la morale, de l’attitude de son auteur.
Tout comme en littérature, par exemple, il faut savoir tracer une frontière étanche entre le Louis-Ferdinand Céline génial de Voyage au bout de la nuit, et celui, abject des pamphlets antisémites. Sachons dissocier l’œuvre de l’artiste, le toreo du torero.
...
Aujourd'hui, solstice d'hiver, jour le plus court, mais c'est le début du rallongement de nos journées à venir. Courage !
Gilbert Lamarque