Une histoire des toreros navarrais
Depuis la fin du XIVe siècle, on note des spectacles tauromachiques dans la capitale, Pampelune, et l’une des origines du toro de combat se retrouve précisément sur les rives de l’Ebre avec les toros élevés en Aragon, en Navarre et dans La Rioja. D’où les milliers de festivités populaires qui ont lieu chaque année dans ces trois communautés.
L’histoire des premiers toreros navarrais remontent au XIVe siècle. Le pionnier se nomme Esquiroz, célèbre pour ses agissements de bandit. Il se cachait dans les Bardenas Reales suite à un meurtre (± 1315). A la fin de ce même siècle, un garçon d’Estella nommé Juan Santander est reconnu pour son intrépidité. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’émergent des jeunes qui se distinguent par leur compétence auprès des toros. Ces toreros annoncés et ayant un contrat sont nombreux. Pedro Pérez de Castro qui torée de 1635 à 1638 ; Juan de Labayen de Estella ; José de Burdeos né à Sangüesa ; Manuel de Berroeta qui torée à pied et à cheval : Antonio Bautista, Sebastián de la Cruz et Julio García ; Baltasar de Prado, Antonio Quintana et José de Urrea ; Mateo, Jacinto González et Bernabé Vicente qui ont toréé à Madrid pour les fêtes de 1659.
Dans la seconde moitié du siècle, les plus célèbres furent, Juan Pérez Carretero, Domingo Barrera et Francisco Milagro, tous trois de Tudela. Ce dernier fut le plus fameux de son époque dès 1650. En ces temps, à Tudela, les toros étaient un spectacle coutumier. Nous savons, grâce aux livres de comptes municipaux qu’il était organisé chaque année les festivités de la San Pedro, San Francisco Javier, la Inmaculada, San Marcos, el Corpus, el dia de la Octava* et la fête de San Fermín.
Mais, c’est au XVIIIe siècle que les Navarrais entrent dans l’histoire de la tauromachie navarraise avec, sans aucun doute, El Licenciado de Falces, de son vrai nom Bernardo Alcalde y Merino né à Falces le 24 mai 1709 (peut-être), et les frères Apiñani de Calahorra, El Tuertillo (ou El Navarrillo) et Juan (Juanito) lequel fut immortalisé par Francisco de Goya ainsi que El Licenciado de Falces dans deux gravures de sa tauromachie universelle.
Le premier sautant le toro "a la garrocha", le second s’enroulant avec la cape. Les frères Apiñani formaient une fameuse paire car on trouve mention de leurs exploits dans les archives de Pampelune, Saragosse et Madrid ! Au cours de ces années, José Legurregui "El Pamplonés" s’est distingué également combattant lors de l’inauguration des arènes madrilènes de la Puerta de Alcalá en 1749. On mentionne aussi son contemporain Joaquin Lapuya natif de Peralta.
Au XVIIIe siècle, dans le Sud de l’Espagne, brillait la famille Romero, de Ronda, et le petit-fils du créateur de la dynastie allait asseoir, avec Costillares, une nouvelle façon de combattre les toros bravos. Ceci eut pour conséquence la disparition du toreo navarrais. Ce toreo s’appuyait sur des qualités physiques des hommes, la force, l’agilité : correr (courir), regatear (feindre), recortar (couper la course du toro), quebrar (embarquer l’animal sur le côté), saltar (sauter). Tout cela, loin des parar (arrêter), templar (calmer, adoucir) et mandar (envoyer, faire sortir) de l’école andalouse. Aujourd’hui on y ajoute recoger (reprendre le toro pour enchaîner).
A la suite de cette tauromachie réglementée, peu de toreros en Navarre ont atteint l’alternative.
Le premier doctorant se nomme Saturio Torón lors des Sanfermines mais nous sommes déjà en 1931 ! Il reçoit les trastos des mains de Marcial Lalanda. Il confirme à Madrid mais piètre matador, il abandonne l’habit de lumières avant de disparaître tragiquement. Il débuta comme boxeur dans la catégorie mi-lourd. Après son aventure de torero sans grandes possibilités mais à la volonté de fer, il se tournera vers le journalisme et trouve la mort en 1936 sous l’uniforme de capitaine de l’armée républicaine (voir Cositas du 21/12/2020, Guerre civile, franquisme et tauromachie III).
Julian Marín a été le diestro le plus connu et le plus populaire que la Navarre ait produit (voir Cositas du 13/05/20, Un encierro tragique à Pamplona et celui du 20/05/20, De l’aîné au cadet, la fratrie de Tudela). Né à Tudela, il prend l’alternative le 7 juillet 1943 à Pampelune avec un cartel de luxe : Pepe Bienvenida et Manolete. Il combat jusqu’au milieu des années 50 et a toujours fait preuve d’un courage et d’une fierté sans compromis. Il a donné l’alternative à Pampelune à son frère cadet Isidro lors de la Feria 1951, mais le plus jeune de la famille a laissé moins de souvenirs aux aficionados de l’époque.
A titre d’anecdote, les alternatives de Javier Sarasa et de Lalo Moreno. Le premier, un amateur practico, le second le neveu du ganadero César Moreno.
Javier Sarasa Moneo devenu podologue est décédé à Tudela le 15 octobre 2008 à 77 ans. Né dans cette ville, ce fou de toreo ne manquait aucune occasion pour saisir les opportunités offertes dans la région. Ses études l’ont amené à suspendre ses aventures taurines mais quelques années plus tard, bien préparé, il décide à 41ans de prendre l’alternative à Pampelune, le 3 juin 1973, parrain Paco Ceballos, témoin Bartolomé Sánchez Simón, toro de la cérémonie de César Moreno. Après avoir reçu l’oreille du toro du doctorat, il se coupe la coleta comme il l’avait prévu. Il ne porta plus l’habit de lumières, mais il se produisit dans de nombreux festivals.
Lalo Moreno Arocena coupe les deux oreilles à "Hebreo"… et son frère Javier, avant sa sortie en triomphe, lui coupe la coleta. À partir de 1987, il est doblador** à Pampelune durant 18 ans. Né le 12 juillet 1956 à Pampelune, il fait son apprentissage dans l’élevage de son oncle César Moreno et ses débuts avec picadors à Sangüesa. L’alternative eut lieu à Tafalla, parrainée par El Niño de la Capea en présence de Pepín Jiménez, toros d’Antonio Pérez Angoso.
Victoriano de la Serna Ernst né à Pampelune le 1er mai 1939 est le fils de Victoriano de la Serna Gil, figure incontournable des années 30, le diestro de Ségovie, torero et chirurgien pendant la Guerre civile. Il est le deuxième des trois toreros de la dynastie. Alternatives : le père en 1931, lui le fils en 1960 et le petit-fils, autre Victor en 2002. Il y eut aussi des novilleros dans la famille avec ses oncles Pablo, Ramón et Rafael. Quant à son frère José Ignacio, il fut le banderillero, entre autres, de José Fuentes. De quoi parlait-on lors des réunions Familiales ? Il décide de prendre l’alternative à Aranjuez, le 5 septembre 1960. Son parrain est le matador vénézuélien Curro Girón et le témoin Paco Camino. Le toro du doctorat, "Diamante" appartenait à Antonio Pérez de San Fernando (Salamanque). Il offrit solennellement ce toro à son père et connut un après-midi triomphal. Le 15 du même mois, dans le mouvement, il confirme à Madrid devant les toros de Samuel Flores avec Luis Miguel Dominguín et Victoriano Valencia. Il arrête en 1965, reprend en 1968 à Calatayud et raccroche définitivement en 1978. Il décède à Séville le 10 décembre 2016.
Puis vint Sergio Sánchez Chivite né le 12 février à Cintruénigo, ville jumelée avec Mugron. Il entre en 1984 à l’école de tauromachie de Madrid. C’est à Pampelune, le 7 juillet 1990 qu’il prend l’alternative avec Julio Robles comme parrain et Ortega Cano, témoin, toros du marquis de Domecq. Celui de la cérémonie le blesse pendant le tercio de banderilles. Opéré à l’infirmerie,… adieu l’alternative… qu’il prendra le 14 juillet pour sa deuxième présentation contractée pour la Feria. Ce jour-là, le doctorat lui est accordé par José Luis Palomar en présence d’El Fundi et de Pablo Hermoso de Mendoza, toros du comte de la Corte. Le lendemain, tant que c’est chaud, il file à Madrid confirmer l’alternative. Il combat des toros de Moreno de Silva en présence de Raúl Aranda et Juan Antonio Carretero. Il se retire le 29 septembre 1999 à Corella après avoir effectué 141 paseos en corrida. Lui aussi est doblador à Pampelune.
Javier Martínez "Paquiro" né dans la capitale navarraise le 10 juillet 1972, a intégré l’école de tauromachie de Navarre à 12 ans. Il fait ses débuts avec chevaux, le 18 mars 1990 à Arnedo où il devient, l’année suivante, lauréat du "Zapato de oro". L’alternative s’effectue à Pampelune, le 7 juillet 1992 des mains d’El Niño de la Capea en présence de Miguel Báez Litri avec des toros d’Ortega Sánchez. Le 23 septembre 1997, la police découvre son corps sans vie dans son appartement de Pampelune. Il s’est suicidé, il avait 25 ans. Il venait, cette année-là, de débuter une carrière de banderillero pour le compte de l’Aragonais Paulita, alors encore novillero.
Le 11 octobre 1973, Eduardo Apostúa Gracia vint au monde à Pampelune et prend le nom d’Edu Gracia, élève de l’école de tauromachie de Navarre. Première bête tuée à Corella, le 28 mai 1989, et première novillada piquée à Arnedo, le 21 mars 1993. Sa carrière de novillero est interrompue à de nombreuses fois pour blessures. L’une d’elles le contraint à reporter son alternative annoncée pour la Feria de Tudela en 1996. Il peut accéder an doctorat l’année suivant, le 15 août 1997 à Tafalla, parrainé par Juan Mora en présence de Manolo Sánchez, toros de Flores Albarrán. En 1998, il change l’or pour l’argent et devient banderillero.
À la même époque, apparaît Francisco Marco. F. Marco Oyarzábal est né à Estella le 16 avril 1978. Son penchant tauromachique lui est venu par son père, Felix Marco "Marquito" qui avait été torero au milieu des années 1960. Le fils fut aussi un élève de l’école navarraise. Il débute à Pampelune avec chevaux le 6 juillet 1996. C’est à Santander, le 26 juillet 1999, qu’il prend l’alternative avec des toros de Sánchez Arjona. Le parrain est Curro Romero en présence de José Tomás : quel standing ! Il ne confirme que le 18 juin 2006 à Madrid en présence de Frascuelo et Oscar Higares, toros d’El Serrano.
Quelques années plus tard, émergent Pablo Simón "Chiquilin", Javier Antón puis Javier Marín. Pablo Simón del Rincón est enfant de Tafalla où il est né le 21 août 1981 dans une famille très taurine avec un grand-père qui fut torero dans les années 1950 sous le nom de Cayo Rincón "Chicuelin". Le petit-fils suivra les cours de l’école de tauromachie de Navarre. Sa première sortie avec le castoreño a lieu à Tafalla le 20 août 2002 et c’est dans cette même ville qu’il prend l’alternative, le 20 août 2006 devant des toros portugais de Santa María avec Antonio Ferrera et le "pays", Francisco Marco. Il coupera l’oreille du toro d’alternative et les oreilles et la queue du sixième ! Depuis 2010, lui aussi a échangé l’or contre l’argent, devenant banderillero.
C’est à Murchante, tout près de Tudela, que naquit Javier Antón Aguado le 14 septembre 1984. Il hérite de la passion paternelle. Son père, Vicente Antón, picador natif d’Ablatas (jumelé avec Geaune, Landes), plus connu sous le nom de "Chamaco" de Ablitas, a créé un élevage de bravos, Mis Canasreras avec du bétail de Santafé Martón. Il fait ses débuts avec picadors à Saragosse devant un encierro de Prieto de la Cal. Le 8 septembre 2013, il prend l’alternative en plaza de Cintruénigo, parrain Ángel Teruel et témoin le rejoneador sévillan Luis Valdenebro. La ganaderia est Los Recitales et le nouveau matador coupe les deux oreilles de son second toro.
Javier Igea Sáiz Marín est né le 15 novembre 1992 à Cintruénigo. Il prend l’alternative dans les arènes de Tudela le 29 juillet 2017 avec Francisco Rivera "Paquirri" et Juan Bautista. Les toros de la cérémonie sont de Valdefresno (oreille et deux oreilles). Il avait débuté avec picadors à Tudela le 25 juillet 2013 avec Javier Jiménez et Jesús Duque, bétail de Manuel Ángel Millares.
Mais c’est à cheval que nous trouvons le meilleur torero en la personne de Pablo Hermoso de Mendoza qui a écrit de nombreuses pages en or dans l’histoire de la tauromachie depuis son alternative à Tafalla en 1989, lui l’enfant d’Estella. Son fils Guillermo ne souhaite que le remplacer avantageusement après avoir obtenu son doctorat à Séville lors de la temporada 2019.
Rajoutons à ces références, et la boucle sera bouclée, le cavalier Roberto Armendáriz né à Noáin le 15 juillet 1985 qui a pris l’alternative à la Feria de la San Mateo de Logroño des mains de son idole, Pablo Hermoso de Mendoza.
*El dia de la Octava. La nuit du 24 décembre, on célèbre Noël, puis suivent huit jours appelés Octave de Noël commençant le 25 et se terminant le 1er janvier. On fête le huitième jour après la naissance. Dans le calendrier liturgique existe aussi l’Octave de Pâques. Jésus ressuscite « le jour après le septième jour de la semaine ». (Ancien Testament).
**Doblador : il est apparu dans les années 1930 à Pampelune pour donner plus de sécurité durant le parcours de l’encierro. Très souvent des anciens toreros.
Gilbert Lamarque