Un marathon taurin à la Monumental
La dernière corrida « monstruo » à Barcelone : douze toros et trois heures et demie de spectacle !
Au cours de plus de cent ans d’histoire, la Monumental catalane a accueilli à cinq reprises une corrida de douze toros, célébrations communément décrites comme des corridas « monstruo » dont la dernière édition a eu lieu en septembre, il y a un peu plus de cinquante ans.
Le 6 septembre 1970, la plaza de Barcelone enregistra une grosse entrée pour assister à un authentique marathon taurin qui se déroula durant trois heures et demie. Aujourd’hui, on parle dans les milieux spécialisés, de réduire le temps du spectacle en proposant de monter une "séance" de quatre toros ou novillos pour lutter contre un déroulement trop long ! Parfois, cela paraît interminable, car souvent ennuyeux et aussi, trop de temps morts entre les tercios, etc. Mais chaussons nos zapatillas de compétition et revenons au marathon.
Douze toros pour six toreros qui menèrent leur carrière du mieux qu’ils purent. Cinq toros de Gerardo Ortega, six du marquis de Domecq et un de Lourdes Martín Pérez Tabernero, de belle prestance, bien armés, qui ont permis aux piétons de briller. L’Aragonais Jesús Gómez "El Alba" a perdu l’oreille à son premier, échouant aux aciers. Dámaso Gómez, oreille et oreille fit quatre fois le tour du rond. Imaginez les minutes qui s’égrènent ! Paquiro, oreille et silence ; José Luis de la Casa, vuelta et palmas ; Santiago López, salut et oreille, et pour José Luis Segura, se fut plus bref, réduit au silence.
Quelques années plus tôt, en mai 1956, la « monstruo » fut une corrida au piètre résultat artistique – quantité ne rimant pas toujours avec qualité – et, remontant à la temporada 1942, on retrouve une autre corrida pour une douzaine de toros qui a été marquée par son caractère historique. Ce 26 juillet, des toros de Buendía et d’Ignacio Sánchez sont combattus par un sextet de luxe. Chicuelo, Nicanor Villalta, Pepe Bienvenida, Manolete, Pepe Luis Vázquez et Antonio Bienvenida. Les triomphes des cinq premiers ont obligé le plus jeune à jouer sa meilleure partition. Antonio Bienvenida débuta muleta repliée main gauche… et le toro n’aimant pas sa composition, l’attrapa de manière dramatique. Une cornada au ventre où il lutta pendant plusieurs jours entre la vie et la mort, pensionnaire de l’hôpital durant un mois. Historique rimant ici avec dramatique.
Un an plus tôt, le 24 septembre 1941, le marathon passait par un combat de douze pupilles de Cobaleda et Vicente Charro, toréés par Marcial Lalanda, N. Villalta, Vicente Barrera, Pepe Bienvenida, Bemonte junior et Pepe Luis Vázquez.
À cela, il faut ajouter deux festivals qui mettaient fin à la temporada barcelonaise avec toujours un grand nombre de cornus combattus. Le 11 décembre 1960, treize toros – les enchères grimpent – en hommage à l’homme d’affaires Pedro Balaña qui avait reçu la Cruz de la Beneficiencia. Il y avait pour fêter ça, Antonio Bienvenida, Luis Miguel Dominguín, Julio Aparicio, Joaquin Bernadó, Gregorio Sánchez, Chamaco, Fermín Murillo, Victorino Valencia, Jaime Ostos, José María Clavel et les frères Ángel et Rafael Peralta, soit douze toreros à pied ou à cheval ; pour qui le treizième toro ? superstitieux s’abstenir.
Mais le record, ce fut le festival au profit des victimes des terribles inondations de 1962. Jusqu’à, dix-neuf toros – le Catalan est généreux – ont été combattus. On démarra le matin, on termina l’après-midi, le 12 octobre. Parmi les matadors présents, Domingo Ortega dirigeait les débats ; El Andaluz, Mario Cabré, Manolo González, Chamaco, Diego Puerta et El Viti, figuraient au cartel.
Telle était la Catalogne taurine en ces temps-là : exubérante, inépuisable et généreuse.
Le 25 septembre 2011, la saison taurine à Barcelone a baissé le rideau devant 18 000 aficionados acclamant les trois toreros qui tuèrent les huit derniers toros combattus à la Monumental : Juan Mora, José Tomás et Serafín Marín, vêtu pour l’occasion, de rouge et or, portant une cape multicolore sur une face, et de l'autre, aux couleurs rouge et jaune de la bannière catalane.
Le 1er janvier 2012, la Catalogne deviendra la deuxième région d'Espagne à interdire la corrida, après les Canaries en 1991. Dès 2004, Barcelone s'était déclarée ville anti-tauromachie. Les motifs étaient politiques, et certains accusent les indépendantistes catalans d'avoir voulu porter un coup à une tradition associée vicéralement à l'Espagne.
La lumière s’éteignit sur la Monumental, et les eaux troubles qui ont toujours coulé dans l’univers taurin catalan, ont tari aussitôt.
De l’orgie, de l’exubérance, on passa illico à la pénurie, à l’abstinence.
Gilbert Lamarque