La clé des champs...
… passe par la ville.
Diego Mazquiarán "Fortuna" était connu déjà depuis plusieurs années ayant acquis une certaine notoriété comme novillero. D. Mazquiarán Torrontegui est né en Vizcaye, à Sestao en 1895 et dès l’âge de quinze ans, il débute comme espontaneo lors des corridas à Bilbao… terminant l’après-midi en prison. Après 1933, il fut admis dans diverses cliniques spécialisées en raison de problèmes de santé mentale dont il mourra à Lima, le 2 juin 1940.
On avait craint pour sa santé après avoir été encorné en 1915 puis acclamé pour son excellent travail en 1924, mais son "œuvre" la plus célèbre, Fortuna ne l’a pas signée dans le ruedo, mais sur la Gran Vía de Madrid devant les passants effrayés.
C’était le 23 janvier 1928 par une froide matinée comme Madrid nous en offre l’hiver. Un toro bravo s’échappa alors qu’il était mené par une vache le long de la route d’Estrémadure vers l’abattoir. Selon les chroniques, il était « noir, grand et le frontal développé », il causa la panique du pont Segovia à la Gran Vía.
Bien que le vacher ait essayé par tous les moyens d’arrêter l’animal, il n’a pu l’empêcher de parcourir la pente de San Vicente pour déboucher sur la Plaza de España où quelques espontaneos essayèrent de le gérer tandis que la foule s’enfuyait précipitamment.
De la Plaza de España, il passa à celle de El Conde de Toreno et de là, à la rue de Leganitos où Juana López, une femme de 63 ans, ne trouvant pas d’abris, fut blessée gravement ayant été soulevée plusieurs fois par le toro. En tentant d’arracher cette femme aux cornes, l’infirmier Anastasio Martín a également été blessé et un autre passant, Andrés Domínguez, 67 ans, a dû être évacué par les services d’urgence avec pronostic réservé.
Panique au marché.
Après ces volteretas, la bête qui appartenait à l’éleveur Luis Hernández, continua à travers la Corredera Alta de San Pablo et entra dans le marché de San Ildefonso, au moment de la grande affluence, bien sûr. Tous se planquèrent derrière les étals, le cornu renversant quelques étals, brisa quelques supports d’auvents, goûta quelques bananes et apprécia l’excellence des choux et autres légumes… Rassasié, les emplettes terminées, il contempla calmement la foule effrayée.
Puis il repartit dans la rue Corredera, et de là, il emprunta la Gran Vía où les scènes de terreur se répétèrent. Les passants disparurent dans les rues adjacentes et les plus courageux, quand ils se trouvèrent à proximité, changèrent d’avis et confièrent leur salut à leurs jambes !
Heureusement, le populaire torero Diego Mazquiarán qui accompagnait sa femme chez sa belle-famille – il faut toujours accompagner sa femme chez les beaux-parents – passait par la Gran Vía. Le diestro ôta son manteau – comment fait-on en plein été ? –, et essaya de l’intéresser. Depuis le casino militaire, on lui envoya un sabre mais il fut d’aucune utilité. Alors Fortuna envoya un garçon en voiture, chez lui, au 40 rue Valverde, pour lui rapporter son épée. Durant les minutes suivantes, il continua à combattre au milieu des ovations d’une foule grandissante, les balcons alentour bien garnis. La scène se déroulait devant le n°13 de la rue, et les forces de sécurité, à pied, à cheval, appelées en renfort, n’ont pas pu contenir l’avalanche de curieux. Une ovation annonça l’arrivée de l’arpète avec l’épée. Fortuna procéda selon les règles classiques, dixit la chronique. Après avoir effectué une faena "de abrigo" – une faena au manteau –, il entra a matar, croisant les bras et sans dévier, donna une demie plutôt acceptable, recevant les applaudissements chaleureux du public.
Le diestro effectua deux ou trois autres passes avant de s’élancer une nouvelle fois avec la rapière. Le toro roula sur le pavé. La foule agita les mouchoirs demandant l’oreille, tandis que Fortuna saluait, ému. Plusieurs hommes le portèrent sur les épaules dans un café de la rue Alcalá pour célébrer son actuación.
La vache accompagnatrice qui s’était fait "la belle", elle aussi, avait été bien vite immobilisée, une corde nouée autour son cou.
Quelques jours plus tard, à la demande des commerçants de la Gran Vía et des témoins, Fortuna reçut la Croix de la Charité des mains de Nicanor Villalta durant la corrida de l’Association de la presse…
… Quarante cinq ans plus tard, la scène se répéta sur la Plaza de España. Le matador, Luis Segura tua un toro qui s’était échappé lorsqu’il a été transporté par camion vers Vista Alegre… même si, à cette occasion, l’apparition immédiate du torero, équipé d’une muleta et d’une épée, éveilla les soupçons.
Diego Mazquiarán, un jour de grand froid vers les 11h, inaugura la temporada 1928 sur la Gran Vía de Madrid !
Gilbert Lamarque