N'en jetez plus !
Parmi les nombreux après-midi de triomphe, Paco Camino en a écrit un en lettres pourpre et or. C’était à Madrid, à Las Ventas, le 4 juin 1970, un jeudi.
Calculez : 51 comme le Pastis, mais déjà 51 ans, hélas. Paco Camino qui a marqué ma jeunesse d’aficionado naissant, 51 ans ne peuvent faire que du mal… bref, passons promptement. Ce 4 juin, jour de sainte Clotilde, l’épouse de Clovis, ce jour bienvenu car Clotilde est issue du germanique hlod, gloire et hild, combat : et quel jour de gloire pour un combattant !
Ce 4 juin, était donnée une corrida caritative et notre torero de Camas se coltina sept toros et remplit son cabas de huit oreilles ! Un véritable triomphe qui vous marque une carrière, toute figura que vous êtes. Car Paco, dans cette seconde moitié de XXe siècle, était au firmament, un haut perché dans l’escalafón.
« L’écho romantique de Paco Camino. », voila comment était titrée la chronique dans ABC, signée Antonio Díaz Cañabate. Lequel Antonio accusant souvent le diestro sévillan d’adocenamiento, de vulgarité, s’est offert sans rémission pour cette tarde magique.
Camino n’a pas été présent cette année-là à Séville et il n’y a pas eu d’accord pour la San Isidro. Mais, bien que Cañabate l’ait défini au début de sa reseña comme « un homme d’aujourd’hui, qui n’a probablement aucune idée de ce qu’était le romantisme. », il reconnaît le geste. « Il propose de tuer la Corrida de Beneficiencia. De l’argent ? L’inquiétude romantique prévaut. Pas d’argent. Gratuit. Taureaux ? Des ganaderias de plus grande ascendance, ceux de plus grande ancienneté. Combattez six taureaux à Madrid. C’est un geste d’hier, du temps où les toreros étaient romantiques. Combattez six taureaux, pas pour le public, pour vous, pour votre satisfaction de torero. »
La Feria de San Isidro venait de s’achever sur les triomphes retentissants des principales vedettes. El Cordobés a coupé huit oreilles en deux après-midi, El Viti cinq, Diego Puerta, Gregorio Sánchez, Palomo Linares sont sortis eux aussi a hombros… Donc, on attendait le geste de Paco.
Ce 4 juin, le général de Gaulle arrive en Espagne pour passer avec tante Yvonne quelques vacances. Mais Charles se fout des toros et l’intérêt des Espagnols se porte sur Madrid et plus précisément sur le sable de Las Ventas. Tout est donc en ordre, chacun est prêt. Quiconque peut y assister mais c’est aussi retransmis sur le petit écran, encore bien petit à cette époque. Plus un billet. Une grande ovation accueille le torero, vêtu de pourpre et d’or, c’est la grande clameur romantique.
Il coupe une oreille au premier Juan Pedro Domecq – ne comparons pas les Domecq cru 70 avec les piquettes actuelles –, les deux au deuxième d’Urquijo, nada devant le troisième, un Miura – ah, tiens un Miura ! – deux autres trophées au quatrième, un sobrero de Juan Pedro, avec le Buendia suivant rien, mais deux oreilles au sixième d’Arranz et le Buendía de regaló offrit un dernier pavillon. Huit oreilles pour une tarde inoubliable.
« Après-midi de sérénité, traduite en régularité » bien que le revistero souligne deux moments forts, l’estocade au premier et la faena au sixième, les deux moments « qui ont atteint l’extraordinaire » écrit-il, « la pureté et la beauté de l’art de la tauromachie. » Il est conquis l’Antonio.
Et il résume : « La chose la plus marquante de la corrida était que Paco Camino a combattu chacun des sept toros selon leur condition. Et ça, pour moi, et je pense pour tout le monde, c’est la tauromachie. Ni l’épanouissement intempestif, ni le classicisme sec, ni le faux spectaculaire, ni la concession à un public non taurin, ni, encore moins, les passes mécaniques et routinières. A chaque toro, sa lidia. »
Et à la fin de sa chronique, la reconnaissance, l’importance d’une tarde unique. « Il y avait un torero dans le ruedo. Il n’en fallait pas plus. Pour cette raison, ceux d’entre-nous qui ont rêvé d’une fête authentique ont longtemps soupiré. Paco Camino nous a fait soupirer profondément. Nous avons été si à l’aise. L’écho romantique de Paco Camino a résonné dans toute l’Espagne taurine. En avant avec les lumières du véritable art de la tauromachie ! » Et c’est Cañabate qui l’écrit !
Paco Camino, "el niño sabio", reçut la médaille des Beaux-Arts, trente-cinq ans après son historique tarde madrilène.
18h, 24 juillet 2021, le Plumaçon, Mont-de-Marsan.
Que diront les Cañabate d’aujourd’hui à la sortie de l’encerrona d’Antonio Ferrera après le combat des six tontons d’Adolphe ? S’ils sont du cru Madeleine 2017, aïe ! et d’un âge avancé, ouille !
Gilbert Lamarque