L'épée ou la plume
« Le novillero Jean-Baptiste Lucq raccroche le costume de lumière ».
Tel était le titre de l’article paru dans Sud Ouest Dimanche du 17 octobre.
L’annonce étant donc officialisée, Cositas va accompagner Jean-Baptiste pour sa despedida et cet ultime paseo dans ces lignes. Information que l’intéressé m’avait communiquée le 28 septembre souhaitant informer directement celles et ceux qui l’ont soutenu et accompagné plus particulièrement : un geste torero !
Un parcours atypique
Intégrant en 2018, l’école Adour Aficion de Richard Milian, il est déjà "vieux"… Le brillant étudiant en faculté puis à l’École des Chartes a retrouvé le gusanillo à Paris, ce vers qui était déjà en lui à l’âge de 10 ans quand il fréquentait l’école taurine d’Hagetmau, ce vers le titillait encore. En fait, le gusanillo ne l’avait jamais quitté. J.B. s’entraîne dur, travaille comme un forçat pour rattraper le retard, bien aidé dans son apprentissage par Baptiste Cissé ou El Santo. L’envie demeure, le mental aussi. « Être torero, disait-il, implique bravoure, noblesse et dignité ». […] « Parfois, il est plus dur de lutter contre soi-même que contre un toro ».
Il débute en public pour la première fois au Sambuc, en Camargue, le 31 mars 2019 (voir Cositas du 5 avril 2019). Il coupe l’oreille du becerro de Colombeau, un castaño claro, noble et "encasté".
Il se vêt de lumières, le 22 avril de la même année, le Lundi de Pâques, chez lui, à Mugron aux arènes de Condrette où, par le passé, ses aïeux se sont illustrés en pantalon blanc et boléro. Ce matin-là, devant une belle chambrée encourageant l’enfant du pays, le trac qui transpirait chez le Landais déterminé ne l’empêcha pas de couper sa première oreille, habillé de lumières. L’eral provenait des voisins d’Alma Serena, intéressant et quelque peu exigeant. Il sortira a hombros après avoir reçu l’oreille du second eral offert au vainqueur (en compétition avec Nino Julian).
2020, année noire, il coupe une oreille à Magescq en février puis le rideau tombe. Il pouvait prétendre alors à une quinzaine de paseos. La nuit qui a glissé sur les ruedos lui permet de vivre des études plus sereines, parachevées – pour le moment – pour le diplômé de master, par l’obtention d’une excellente note lors de la soutenance de sa thèse consacrée à un autre manipulateur d’estocs et autres rapières, Blaise de Monluc, lieutenant du roi et chef des catholiques de Guyenne durant les premières guerres de religion (1560-1570). Autre gascon né dans le Gers à Saint-Puy. Il reprendra la ville de Mont-de-Marsan aux protestants en 1569.
Jean-Baptiste Lucq est un récidiviste tant il se montra précoce dans les études et sa passion pour l’Histoire. À 16 ans, Le Figaro du 1er novembre 2012 publia une lettre écrite par ses soins, alors élève de Terminale L au lycée Saint Jacques de Compostelle. Dans cette lettre, il témoignait de la façon dont est, aujourd’hui, enseignée l’Histoire à l’école !
2021, lors de cette année fructueuse malgré les annulations et les non programmations de certains spectacles, il défila le 20 juin à Mugron obtenant l’oreille d’un Alma Serena, puis nous le verrons à l’occasion de la Madeleine montoise, ensuite à Tarascon, Béziers et Bayonne. Le festival taurin donné dans la préfecture landaise le 26 septembre, sera sa dernière sortie. À l’occasion, il combattit un novillo d’Alma Serena en piquée (oreille).
En route pour l’agrégation
Avec l’arrêt d’un an et demi provoqué par la pandémie, il est privé d’une « temporada cruciale et m’a fait perdre un temps précieux, alors même que mon arrivée tardive dans les toros m’obligeait à avancer plus vite. Je me retrouve donc bloqué et sans projection ; je ne peux pas rester en sans picador et j’ai encore énormément de travail technique à fournir pour me mettre au niveau requis aujourd’hui en novillada piquée. Or, du fait du concours exigeant qu’il me faut passer cette année, je n’aurai plus le temps nécessaire pour me préparer convenablement. La petite fenêtre de tir que j’avais encore au début de l’année dernière s’est refermée. […] J’ai donc choisi de me retirer, non pas à cause du regard du toro, mais par manque de temps et impossibilité de continuer sérieusement à m’entraîner. Le costume de lumière n’est pas un déguisement. Le peu que j’ai fait, je l’ai toujours fait avec sérieux et je ne veux pas vivre dans l’illusion du dilettantisme ». […]
Entré à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, institution des plus prestigieuses, il se consacre désormais à la préparation de l’agrégation d’histoire. Toujours plus haut ! Les épreuves de l’écrit se dessinent pour février ; J.B. a quitté l’épée pour prendre la plume. Difficile mais sage décision au demeurant.
Sûr que nous te reverrons venir hanter les arènes du Sud-Ouest et venir encourager le petit frère, Adrien, élève d’Adour Aficion. Mais aussi, pourquoi pas, reprendre les trastos en privé !
Suerte pour la suite de tes brillantes études.
Quant au signataire de ces lignes, il ne lui reste plus qu’à "toréer en chargeant la suerte", durant les longs mois d’hiver, cette fameuse thèse, un pavé de 850 pages que tu m’as si gentiment fait parvenir.
Merci, Jean-Baptiste, pour ce que tu es : un Chalossais con casta.
Gilbert Lamarque