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Taus e buèus

Publié le par Cositas de toros


            La coutume si chère à Saint-Sever au XVIe siècle.

     Extraits de l’étude historique de Michel Le Grand – Archiviste des Landes – Les Courses de Taureaux dans le Sud-Ouest de la France jusqu’au début du XIXe siècle. Éditions Jean-Lacoste, Mont-de-Marsan. 1934.

            « Dans cette Chalosse où les courses sont de nos jours tellement goûtées, dans une ville où toreros et écarteurs travaillent encore chaque année bétail espagnol et vaches landaises – à Saint-Sever, l’antique Cap-de-Gascogne – voici que nous assistons dès le début du XVIe siècle non pas à une course isolée, mais bien aux manifestations répétées d’une coutume bien établie : la célébration de la fête patronale par des courses de taureaux.

 

Saint-Sever : abbatiale et place du Tour-du-Sol, gravure du 19e siècle


     Cette fête avait lieu, autrefois comme aujourd’hui, à la Saint-Jean d’été, le 21 juin. Ouvrons donc la collection des comptes du trésorier de Saint-Sever, heureusement conservée sans trop de lacunes depuis le XVIe siècle. Dans chaque compte annuel parvenu jusqu’à nous, un ou plusieurs articles du budget des dépenses, inscrits vers la date du 24 juin, font revivre sous nos yeux avec quelques détails l’organisation de ces courses déjà si lointaines.
     Sans trop nous attarder au chiffre des dépenses engagées pour ces courses – chiffre dont il est fort malaisé de donner actuellement une évaluation précise – notons surtout la nature des préparatifs des fêtes. En 1510, un certain Peyrot de Camer est payé pour "barrer les taureaux le jour de la Saint-Jean", autrement dit pour disposer les barrières de l’enceinte où se donnait la course. Le compte de 1513 est plus explicite, car il spécifie que c’est au Tour-du-Sol ( au Tornessor) qu’étaient placées ces barrières ; la course se faisait donc au cœur de la ville de Saint-Sever, sur l’emplacement approximatif de la place qui existe encore aujourd’hui : cette coutume de faire courir sur les places va rester en usage dans maintes localités de Gascogne jusqu’à la fin de l’ancien régime. Nouveaux détails dans les comptes de 1519 et de 1522 : le nommé Bernard de Camée reçoit un salaire pour débarrasser le Tour-du-Sol du bois qui l’encombre et le garnir de barrières.
     Ces documents, rédigés en gascon, puis en français, mentionnent formellement l’organisation de courses de taureaux, taus. L’on faisait probablement courir le jour de la Saint-Jean plusieurs animaux ; c’est ainsi qu’en 1555, divers articles du compte du trésorier (du 18 au 26 juin) concernent plusieurs achats faits à différents vachers : Pierre du Nouguer fournit un taureau pour vingt-deux francs bourdelois ; Arnaud du Brost en livre un second pour dix-huit franc de la même monnaie. Un vacher reçoit un salaire pour avoir conduit un animal de Bayrolle ( métairie encore existante aux environs de Saint-Sever) à Saint-Sever ; un crédit spécial couvre les frais d’un voyage à Renung (canton d’Aire-sur-l’Adour), où deux bouchers sont partis quérir un taureau.
     Cette course de l’année 1555 paraît donc importante ; naturellement le Tour-du-Sol est clôturé, cette fois-ci par deux charpentiers, "per garde que les taureaus ne sortissent fors ledit lieu Tornesor".
     Dépenses analogues en 1557-1558, où nous relevons en outre une coutume curieuse : la ville donne à un vacher, Arnaud de Bousta, le prix de la paire de souliers qu’il a dû chausser pour amener à Saint-Sever le taureau par lui vendu.
     Point n’est besoin d’insister : des courses semblables ont eu lieu en 1561, en 1567 et jusqu’à la fin du XVIe siècle. La formule usitée dans les articles des comptes du trésorier, "pour faire courir les taureaux le jour de Monsieur Saint-Jean, comme de coutume", indique suffisamment qu’il s’agit de la manifestation annuelle d’un usage solidement établi dans les mœurs de ce coin de Chalosse, – usage que nos textes font remonter à 1510, mais dont l’existence est assurément antérieure.
     A prendre les documents à la lettre, ces courses Saint-Séverines sont des courses de taureaux, taus ; mais la mise à mort n’y est sans doute pas plus pratiquée qu’à Moumour (Béarn, près d’Oloron où eut lieu une course au XVe siècle, organisée en 1469 ou au début de 1470, NDLR). En tout cas, les taureaux de Saint-Sever, comme ceux que nous verrons courir à Bazas et à Mont-de-Marsan, sont vraiment sauvages : le chroniqueur bordelais Gaufreteau fera la différence entre ce bétail et celui d’une course donnée à Bordeaux, en 1604, avec des animaux qui "Premièrement, n’étaient pas des plus furieux ni semblables à ceux qu’on fait courre à Bazas le jour et feste de la Saint-Jean, au Mont-de-Marsan à la Magdelaine et à Saint-Sever à la Saint-Jean aussi ; secundo, cette course se faisoit avec les chiens des bouchiers, car en un mot c’estoyent des bœufs…"

     Vers le milieu du XVIe siècle, un genre de courses particulier que nous aurons maintes fois l’occasion de signaler jusqu’à la fin de l’ancien régime, se pratiquait déjà dans le Sud-Ouest : nous voulons parler de la "course aux bœufs et aux vaches" délivrés par les bouchers. Avant d’abattre les animaux, les bouchers ou leurs valets, généralement à la demande du public, les lâchaient par les rues des villes et des bourgs et le premier venu pouvait se payer le plaisir d’écarter une bête, à vrai dire assez inoffensive… Naturellement bousculades et accidents s’ensuivaient, qui forcèrent municipalités et corps de villes à condamner de telles pratiques. »  Michel Le Grand.

 

Mais c’est au XVIIe siècle que les interdictions sérieuses apparaissent.
     

   

Gilles Boutault, 1597-1661

     

     La première est d’origine ecclésiastique – une interdiction royale suivra –, elle réside dans la promulgation par le pape Pie V de la bulle De salute gregis, le 1er novembre 1567. « Le texte pontifical porte un interdit général sur les combats de taureaux et de bêtes féroces : les souverains qui les autoriseront dans leurs états se verront frappés d’excommunication ou d’anathème ; sous les mêmes peines, les particuliers devront s’abstenir de lutter contre les taureaux, à pied comme à cheval, et la sépulture ecclésiastique leur sera refusée s’ils succombent en de tels combats. Aux évêques, enfin, le soin de publier et de faire observer dans leurs diocèses les prescriptions de la bulle ».
     Et les évêques de Bazas et d’Aire vont s’appuyer sur elle pour entamer dans leurs diocèses contre les courses, une lutte sévère. À Aire, l’évêque Gilles Boutault, le champion de cette lutte, va prendre à cœur cette question des courses comme une affaire personnelle, et se décide à sévir, probablement au cours de l’année 1634. Outre Aire, cité épiscopale, ce diocèse comprenait deux villes d’importance, Saint-Sever et Mont-de-Marsan, les deux adeptes ferventes des courses de taureaux. Or, à l’interdiction formelle posée par l’évêque, les jurats saint-séverins vont se montrer en principe soumis, le syndic montois au contraire nettement récalcitrant.
     Nous passerons sur les détails, les interdits, les délibérations… toujours est-il que l’évêque Gilles Boutault quitta le siège épiscopal d’Aire pour celui d’Évreux en 1649, s’estimant satisfait. La partie était peut-être gagnée… pour quelque temps. Le silence des textes relatifs aux courses durant le dernier tiers du XVIIe siècle, permet de supposer que les ordonnances épiscopales, appuyées par l’interdiction royale de 1648, finirent par intimider les organisateurs ; toutefois des courses ont fort bien pu se donner à cette époque sans laisser de traces dans les documents parvenus jusqu’à nous. Il suffisait pour les autorités municipales de ne pas les officialiser, les instances locales restant au plus près de leurs citoyens. Lesquels citoyens prompts à se révolter s’ils se voient privés de leurs coutumes. Des courses donc, organisées sous le manteau dupant les hommes en soutane !

 

Bernard d'Audijos. La révolte des invisibles


     Ah, sacrés Landais ! Ils réagiront encore et violemment cette fois-ci, de 1662 jusqu’en 1670, se soulevant contre la stricte application de l’impôt de la gabelle et trouvant un chef en la personne de Bernard d’Audijos, natif de Coudures. La Gascogne et en particulier la Chalosse furent durement secouées. Mais ceci est un autre combat. Irréductibles Landais ! 

                                                           Gilbert Lamarque
 

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