Des hommes d'argent
La ville de Lorca (Murcie) qui fêtera en 2022, le 130e anniversaire de ses arènes de Sutullena – toujours en réfection* –, a clôturé, il y a une quinzaine de jours, sa VIe édition du cycle culturel taurin. Et à cette occasion, ce sont des peones, subalternes – une fois n’est pas coutume – qui ont été invités pour cette conférence.
Voici une présentation succincte des hommes "d’argent" :
- José Manuel Montoliú, banderillero, ancien novillero, le Valencien est le fils de Manolo Montoliú (José Manuel Calvo Bonichón) qui trouva la mort le 1er mai 1992 à Séville lors de la treizième corrida de la Feria d’Avril, banderillero dans la cuadrilla de José Mari Manzanares père. "Cabatisto" d’Atanasio Fernández lui transperça le cœur. Avant de porter le costume de plata, il avait été matador pour une seule temporada, 1986. José Manuel, le fils, vient de terminer sa vingt troisième saison sous l’habit d’argent sous les ordres depuis sept ans d’Antonio Ferrera. Il a commencé avec Rafael de Julia, puis Juan Bautista, avec Miguel Abellan (trois ans) et Curro Díaz durant six ans. Mais il a aussi combattu occasionnellement avec El Soro, Enrique Ponce, El Juli, Iván Fandiño, Rafaelillo… Son frère Antonio Calvo Capilla "Montoliú", picador, s’est retiré en 1996. Il est depuis, vétérinaire, professeur doyen de la Faculté Vétérinaire de l’Université catholique de Valence.
- Pascual Mellinas de Calasparra est banderillero. Il torée depuis 2019 dans la cuadrilla de Pablo Aguado au côté d’un ténor des bâtonnets, Iván García. Il est entré dans le cycle des corridas dès 1999, dans les cuadrillas de Rafaelillo, au début, en alternant chez Miguel Abellan, puis avec Luis Francisco Esplá, sept saisons avec Morenito de Aranda, deux avec Pepe Moral.
- Domingo García "Domingin", était un torero prometteur de la région de Murcie au début des années 1980. Le Lorquino prit l’alternative à Yecla (Murcie) en septembre 1991 avec Emilio Muñoz pour parrain et César Rincón comme témoin. Il décida quelques années plus tard, de rejoindre les rangs des hommes "d’argent" et le 26 septembre de cette année, il s’est coupé la coleta, 30 ans après avoir pris l’alternative dans ces mêmes arènes de Yecla. Il fit sa présentation en France, novillero, le 20 août à Parentis.
Trois hommes de terrain à l’immense savoir faire.
Pour ouvrir la soirée, les trois banderilleros ont avoué communément : « Dans ce métier, il y a beaucoup de peur et le nier, c’est mentir. »
Ils compensent cette peur par la satisfaction de se sentir protecteurs de leur maestro, comme des anges gardiens. « Nous avons cette aptitude professionnelle permettant parfois de protéger les matadors, ils ont besoin d’un homme de plata pour parler. »
José Manuel Montoliú se souvient de son père et a exprimé les avantages de porter son apodo : « Être le fils de Manolo Montoliú m’a aidé plus que cela m’a desservi ; plus tard, mon professionnalisme et le soutien de ma famille ont été essentiels. » Le banderillero poursuit : « Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir lui parler sérieusement de mon désir de devenir torero. La seule chose qu’on partage, c’est l’expérience, car j’étais très jeune [il avait quatorze ans, NDLR], et il a toujours insisté pour que j’étudie, on verra plus tard. »
La ressemblance entre le père et le fils s’est reflétée dans l’entretien : « Oui, c’est vrai qu’il y a une composante génétique, mais je voulais me focaliser sur le meilleur, et je devais logiquement me concentrer sur mon père ou des amis. »
Concernant sa technique lors du placement des bâtonnets, le Valencien a commenté : « Le facteur capital pour placer une paire de banderilles est la décision », ajoutant que : « il vaut mieux que le toro vienne rapidement vers les banderilles pour vous attendre car vous ne savez pas comment il va réagir ».
Séville, pour de nombreuses circonstances, est l’endroit que José Manuel ressent le plus : « Elle a toujours eu un goût spécial ». Pascual Mellinas lui a demandé s’il se souvenait de son père à Séville, répondant : « Je me souviens beaucoup de cette tragédie quand j’arrive aux arènes, puis je me lance dans la corrida et j’essaie d’être professionnel. »
Pascual Mellinas, considéré comme l’un des meilleurs peones d’aujourd’hui, a exprimé le bonheur qu’il ressent de venir dans des plazas importantes et le démontrer. « La vérité est que je ne me souviens pas d’une après-midi spéciale, mais de nombreuses, spécialement les premières tardes où je me suis "vautré" ou alors, celles où j’ai donné un bon puntillazo à Séville, Madrid, ou n’importe quelle plaza importante ».
Le peon de Pablo Aguado a déclaré qu’il se motive les après-midi où il y a une plus grande concurrence entre collègues. « Cela vous motive aussi à tout donner en fonction des compagnons que vous côtoyez. »
Concernant l’importance de jouer un bon rôle dans les tirages au sort, les trois ont souligné : « Il est essentiel de connaître les goûts du matador, de bien faire les lots, et l’autre est une question de chance. »
Concernant la reconnaissance, le respect et l’éducation à la tauromachie, ils ont déclaré :« Respecter les plus âgés que vous, la hiérarchie de la tauromachie, les toreros, c’est quelque chose de fondamental », a déclaré Dominguín. Le nouveau retraité a ajouté : « On inculque beaucoup de choses dans les écoles de tauromachie, mais parfois ce n’est pas compris ».
Pascual Mellinas a fait ressortir trois verbes fondamentaux pour réussir dans le monde de la tauromachie : « Respecter, écouter et apprendre. »
Les protagonistes sont, ensuite, interrogés sur ce qu’ils considèrent comme le pire moment pour un matador le jour de la corrida :
« Chaque matador est un monde », disait le banderillero de Calasparra, alors que Dominguín s’accrochait à la vérité : « J’ai toujours essayé de dire la vérité sur les lots, pour que le matador commence à faire ce qu’il doit. »
Montoliú, qui croit aussi que chaque matador à ses caprices, déclare : « Le pire moment est vécu dans le fourgon avant le paseo et la visite à la chapelle », exprimant plus tard : « Puis vient la fête quand tout s’est bien passé, mais ce n’est pas ce qu’il paraît, car vous ne savez pas ce que vous allez voir le lendemain. »
Dans cette optique, Dominguín a exprimé la dureté et la capacité que l’on doit avoir à endurer dans la profession : « Vous combattez jeudi à Montoro, vendredi à Beaucaire, samedi près de Séville et dimanche à côté de Bilbao. Tu te bats, tu récupères et parfois tu pars avec ta propre voiture et sans rentrer chez toi en 6-7 jours. »
Quant à savoir si vous pouvez vivre comme banderillero toute l’année, Montoliú déclare : « Cela dépend de ce que vous combattez », mettant particulièrement l’accent sur l’importance de réduire les dépenses bureaucratiques plutôt que professionnelles.
Pour terminer, les péons ont fait connaître leurs idées face à une saison à un niveau personnel, même si elle est à un niveau inférieur à un torero : « D’abord, selon l’endroit où vous allez toréer, il faut s’habiller selon la catégorie de l’arène, investir en capes... » « Aussi en habits selon les besoins. »
Domingo García "Dominguín" a rappelé les raisons pour lesquelles il a décidé de mettre un terme à sa carrière : « Ce qui me manque le plus, c’est la présence d’un enfant. » Il a passé en revue sa carrière en notant que : « À Parentis-en-Born, j’ai affronté le toro le plus dangereux de ma carrière, un Prieto de la Cal. C’était un tueur, il me poursuivait même lorsque j’ai sauté la barrière. Le meilleur a été un Pablo Romero à San Agustín de Guadalix. »
La conférence s’est terminé par une traditionnelle remise de cadeaux à ces trois hommes de plata, parfois dans l’ombre sous le soleil mais retrouvant la lumière à l’occasion de cette soirée.
*Lorca a subi un séisme le 11 mai 2011, les arènes comme plusieurs édifices publics, logements, bâtiments du patrimoine historique et culturel ont été endommagés. Les travaux des arènes ne sont toujours pas achevés…
Gilbert Lamarque