LACHEPAILLET EN VERT-DE-GRIS
Suite à l’armistice franco-allemande du 22 juin 1940, les troupes allemandes franchissent l’Adour, trois jours plus tard, le 25 juin 1940.
A partir de cette date, le Pays Basque est occupé par la Wehrmacht contrôlant tout le secteur côtier et frontalier.
Les autorités d’occupation instaurent une ligne de démarcation qu’elles feront sauter le 1er mars 1943 envahissant tout le territoire français. Les Basses-Pyrénées sont séparées par cette ligne, les 2/3 du Pays Basque Nord se trouve en "zone occupée" tandis que la Soule est en "zone libre".
Dès la fin de 1940, des femmes et des hommes tentent de résister. Pas tous…
Car, il y eut également des actes de franche collaboration dont les deux novilladas offertes aux officiers et soldats nazis.
Déjà, ils étaient 3 000 sur les gradins des arènes de Lachepaillet à Bayonne pour la course landaise du lundi de Pâques.
Lors de ces deux jours, le samedi 17 et le dimanche 18 mai 1941, des oriflammes à croix gammées flottaient au vent, rincés par la pluie et des batteries anti-aériennes étaient installées sur les toits.
La Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque s’en fait l’écho le 13 mai :
« Voilà deux ans bientôt que les aficionados de notre région sont privés de leur spectacle favori : pas de corridas en France ; impossibilité d’aller en voir en Espagne. Grande a été leur satisfaction en apprenant que nous allions avoir deux corridas à Bayonne le 17 et le 18 mai. Deux corridas si rapprochées ! Nous sommes gâtés…
Ce seront des novilladas, direz-vous. Il y a bien longtemps précisément que nous étions nombreux à réclamer des novilladas en France. Je dirai demain pourquoi, et je ferai connaître l’opinion de mon ami Carlos de V. de Madrid, qui est peut-être l’espagnol qui a vu le plus de corridas, et qui aime tant les novilladas. N’avons-nous pas appris ces jours derniers que celle de la foire de Séville avait rempli les vastes arènes d’une foule enthousiaste ?
Les jeunes veulent se révéler, il y va de leur avenir, je crois bien que dans les arènes de Bayonne, la Séville française, nous verrons aussi de belles choses samedi et dimanche prochain. »
Mais les aficionados vont déchanter.
Voici, extrait du livre Bayonne sept siècles de premières, ce qu’écrivait Claude Pelletier :
« … Ces deux courses seront presque exclusivement réservées aux militaires stationnés dans le secteur. Quelques dizaines de civils se glisseront à grand-peine dans la marée en uniforme. C’était un spectacle étrange et sinistre que ces gradins de "théâtre aux armées".
Avec l’esprit pratique qui les inspire en toutes choses, les organisateurs ont pensé à tout, même aux batteries anti-aériennes postées sur le toit. Mais ils n’ont pas prévu le mauvais temps…
Ce samedi 17 mai, il pleut des cordes. Normalement, la course n’est pas possible. Mais impossible n’est pas teuton, et les toreros sont fermement priés de faire comme s’il ne pleuvait pas. A la guerre comme à la guerre !
A l’heure convenue, les camions déversent leurs cargaisons casquées et bottées tandis que les colonnes pédestres convergent vers Lachepaillet. Les spectateurs se rangent dans un ordre rigoureux devant les portes désignées à chaque chef de détachement. Des plans détaillés de l’arène ont été distribués à profusion. Un ordre claque. Des milliers de fourmis vertes et noires s’ébranlent à l’unisson. En cinq minutes, les gradins sont totalement investis. L’opération s’est déroulée avec une précision absolue et dans un grand silence. C’est ahurissant : pas une erreur, pas la moindre hésitation, et, bien entendu, aucune bousculade... »
La première course eut lieu donc sous la pluie battante, le sol glissant, l’intérêt du spectacle en a souffert. Le dimanche, le temps était plus favorable et l’impression a été meilleure.
Revenons au samedi. José Belmonte est encore loin d’être un rejoneador de la classe de Simeo de Veiga qui plane sur les ruedos. Il se montrera aussi piteux à pied qu’à cheval.
Vicente Vega "Gitanillo de Triana" capable de bien faire dans les passes de cape, est lamentable à la muleta et à l’épée.
Pedro Ramirez "Torerito" qui a déjà de l’expérience, montre sa bonne volonté et abrège sur la piste détrempée. La course est arrêtée après la mort du quatrième novillo de Lamamié de Clairac.
Le dimanche, Belmonte est remplacé par le novillero Pablo Gonzalez "Parrao".
Pour La Gazette, "Parrao" est « celui qui produit la meilleure impression : de jolies pases de capa, variées, surtout serrées, calmes et lentes… Voulez-vous que je vous dise quel a été à mes yeux le héros de ces deux corridas ? C’est un héros inconnu ; aucun spectateur ne sait son nom ; il s’agit d’un modeste banderillero au costume bleu et blanc : samedi, alors que par crainte de glisser, l’on n’osait s’approcher du toro, sous la pluie et dans la boue, aussi bien que dimanche, du commencement à la fin de la corrida, toujours il a été sur la brèche. C’est lui qui calmait la fougue du toro entrant dans l’arène : c’est lui qui a intelligemment secondé les novilleros en difficulté ; Gitanillo peut lui être reconnaissant d’être intervenu à deux reprises pour lui éviter une blessure, et Torerito lui-même a eu besoin de ce banderillero, surtout samedi, quand il était aux prises avec le quatrième toro, puissant et dangereux. Et je n’oublie pas les banderilles "de frente " qu’il a plantées à l’un des toros. Je crois bien que ce jeune percera un jour... »
Le mystère reste entier.
Le bétail était d’Antonio Luis Sanchez, et Gitanillo « … traîne l’estoc devant le dernier, achevant à n’en pas douter d’écœurer les âmes sensibles des "seigneurs de la guerre". » Claude Pelletier.
Quelques mois plus tôt à Madrid, lors de la confirmation d’alternative de Pepe Luis Vazquez, un grand dignitaire nazi, chef de la Gestapo et planificateur de la "solution finale", avait peu apprécié ce spectacle donné en son honneur, dégoûté par notre « barbarie » !! Vous aurez reconnu le doux et caressant Heinrich Himmler.
Âmes sensibles, s’abstenir !
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Quels parcours ont suivis nos jeunes toreros ?
- Vicente Vega "Gitanillo de Triana" (ne pas l’identifier à Francisco Vega de los Reyes, l’autre sévillan surnommé lui aussi Gitanillo de Triana né en 1903 et mort à Madrid le 14 août 1931 après une épouvantable agonie des suites de ses graves blessures à Las Ventas) est né en 1920 à Séville dans le quartier de Triana. Il fut novillero à partir de 1940. Il se retirera en 1950 et deviendra l’apoderado, entre autres de Paco Camino, Litri et Campuzano.
Toréant peu, il prit l’alternative le 10 août 1952 dans la plaza de Vista Alegre du quartier madrilène de Carabanchel. Les toros étaient de Miura. Il se tue en 1976 sur la route revenant d’un festival. Dans le véhicule se trouvait également Antonio Montesinos, torero dont il était l’apoderado. Cet accident lui fut aussi fatal.
- Pedro Ramirez "Torerito de Triana" est né lui aussi à Triana le 16 août 1912. Il prit l’alternative à Séville le 16 juin 1938 durant la corrida du Corpus en pleine guerre civile, des mains de "Rafaelillo", témoin Pascual Márquez, toros de Carmen de Federico.
Après la guerre, il renonce à l’alternative, le revoici novillero. Il meurt à Séville en novembre 1985.
- Pablo Gonzalez "Parrao" a vu le jour à La Carolina, province de Jaen, le 14 janvier 1910 ; il décédera à Madrid le 23 avril 1988.
Il prend l’alternative au Mexique, à Ciudad Juárez, le 1er décembre 1946. Il la reprend à Madrid, le 1er juin 1947, le parrain est "El Estudiante", le témoin Pepe Dominguín, la ganaderia est celle d’Antonio Pérez de San Fernando.
Il se retire en 1949, restant dans les affaires taurines et devient apoderado.
- Quant à José Belmonte García, il était le plus jeune frère de Juan. Il fut novillero à partir de 1924 et prit l'alternative en 1925 au Puerto de Santa Maria. Il se retire en 1930 et se produit en de rares occasions comme rejoneador. Il deviendra par la suite ganadero et hommes d'affaires dans le milieu taurin.
… Et le jeune banderillero au costume bleu et blanc, reste une énigme.
Gilbert Lamarque