La lecture de certains livres a, parfois, de quoi vous laisser rêveurs, et dans celle du dernier ouvrage de Michel Pastoureau, Le Taureau. Une histoire culturelle, de quoi perturber l’aficionado.
Le taureau, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait l’objet depuis déjà longtemps d’extravagantes explications historico-doctrinales. De la Préhistoire à nos jours, des cavernes du Magdalénien à la corrida contemporaine, certains ont bâti peu à peu tout un système, une mise en scène qui tendent à représenter le taureau comme à l’origine de tous les cultes.
Cnossos, Scène de voltige avec un taureau, Peinture murale, -1800 ou -1700 av.J-C.
On l’affirme avoir été adoré à Cnossos en Crète, plusieurs millénaires avant notre ère, on parle des mystères de Cybèle, du taureau Apis des Égyptiens, des taureaux ailés chaldéo-Assyriens, du culte de Mithra, on transforme en taureau le bœuf de saint Mathieu l’évangéliste, on évoque celui qui, dans les pâturages en bord de Garonne, fut l’instrument du martyre de saint Sernin, sans oublier, bien entendu, l’enlèvement d’Europe et les signes du zodiaque.
Tout cela présente, à première vue, une construction séduisante, mais, il faut bien dire que ce corps de doctrine est parfois marqué de la plus douce des fantaisies et certains en ont fait leur commerce – je sens le vent du boulet effleurer ma crinière, aujourd’hui moins abondante ! – J’ai bien voulu, au fil de mes lectures sur le sujet et ceci me réconfortant, croire en cette aimable musique, mais l’âge de la maturité atteint – je n’ai pas dit plénitude –, me fit comprendre que tout n’était pas si simple, si évident.
Dans l’intérêt même, et le sérieux de la tauromachie, qui n’est pas un art frivole, on en conviendra, il est de notre devoir de donner quelques précisions en une matière aussi obscure que délicate, vu les années qui nous séparent.
Cette lecture de l’ouvrage de Michel Pastoureau m’en apporte encore la preuve aujourd’hui. Beaucoup de non spécialistes ont écrit sur le sujet. Ici nous abordons les chevauchées du taureau européen avec un historien reconnu des animaux avec les publications sur l’ours, le loup, les bestiaires du Moyen Âge. Nous apprenons que cet archiviste paléographe n’est pas un partisan de la corrida mais pouvons-nous être suspicieux sur ses compétences ?
Le voici qui s’insurge : « La bibliographie sur le sujet est immense mais encombrée de mauvais livres, simplistes ou mal informés, parfois de mauvaise fois, voire tout simplement malhonnêtes. », poursuivant, « Les travaux les plus sérieux sont récents et vont tous dans le même sens : il n’existe absolument aucun lien ni aucune continuité entre les rituels tauromachiques de l’Antiquité et la corrida moderne telle qu’elle définit ses règles dans l’Espagne de la fin du XVIIIe siècle. » La liste des critiques formulées par les adversaires est longue tout comme celle énoncée par ses soutiens dont l’auteur balaie « les arguments dérisoires, sinon fallacieux... »
Ni les Slaves, ni les Germains, ni les Celtes, ni les Hébreux, pour ne parler que d’eux seuls, n’ont voué un culte au taureau, encore moins les Grecs malgré la civilisation mycénienne et les Romains malgré Mithra. Les cultes taurins dont nous sommes à peu près certains se rencontrent surtout dans les civilisations agricoles sémitiques et sont généralement associés à un culte de divinité tel celui de Cybèle, la grande déesse de Phrygie, Déesse mère ou du Dieu Teshub chez les Hitites, le Roi des dieux. Si l’Indra, le roi des dieux dans la mythologie védique de l’Inde ancienne, le Mardouk de Babylone, l’Apis égyptien ou le Bacchus des mystères sont figurés par un taureau, il faut les considérer comme symbolisant la force génératrice, le signe équinoxial incarné qui marque le réveil de la nature plutôt que comme des divinités intrinsèques.
Pour la Crète, l’abondante iconographie des courses "libres" que nous donnent les vases des époques minoennes retrouvés dans les fouilles, ne nous autorise pas à en déduire l’existence d’un culte taurin caractérisé avec sacrifice sanglant. En tant que symboles religieux, le serpent, le poulpe ont, dans cette civilisation, une importance bien plus grande que le taureau dont il est très hasardeux d’affirmer, en l’état des connaissances présentes, qu’il faisait l’objet d’un culte ou était le centre d’un ensemble religieux.
Les taureaux gardiens de la porte. Musée du Louvre
Les divinités assyro-chaldéennes sont bien connues. La plupart des dieux y sont des représentations astrales ou météorologiques, les fameux taureaux ailés (voir Cositas du 15 janvier 2019 : Apotropaïque) dont l’utilisation est parfois purement décorative, sont considérés comme incarnant des esprits bienfaisants. Ces génies protecteurs appelés Lamassu, dont la tête humaine souligne le caractère de génies secondaires. Ici encore on ne saurait décemment parler de culte du taureau sans forcer la réalité des choses.
Pour l’Égypte, la question est beaucoup plus complexe. Il est fréquent de voir des représentations des rois des dynasties archaïques (environ 3 300 ans avant J.-C., une queue de taureau pendre derrière le pagne du roi. Ramsès II a le titre de "Taureau puissant". Ce sont certainement là, des survivances totémiques exactement comme celle qui fait appeler "Lion", le Négus d’Abyssinie ou décerner le titre de "Buffle" ou de "Corbeau" à tel chef Sioux ou Dakota.
Apis
Reste, c’est vrai, les trois taureaux égyptiens bien connus Boukhis, Mnévis et Apis ou Hâpi, surtout ce dernier qui, à Memphis, avait encore sous l’Empire romain une importance extraordinaire. Incontestablement le taureau Apis était l’objet d’un véritable culte, la mort de l’un de ces taureaux était un deuil public. Mais dire que vraiment il était Dieu, qu’il était la base et le moteur d’une religion, ce serait, je crois, aller au-delà de la vérité en dépit du texte des hymnes ou chants qui le célébraient comme tel. Ce que nous savons des grands dieux égyptiens et de l’ensemble de cette religion multiforme nous permet de le penser.
Nous verrons par la suite arrivant à Mithra, après avoir sauté quelques siècles et civilisations, que le taureau et son culte ont été magnifiés par l’imagination de l’homme.
Je vais enfoncer une porte déjà ouverte et tant pis pour les courants d’air !
Nous entendons de la part de personnes adultes et responsables que tel torero n’a pas fait le boulot, qu’il est lâche, couard…
George Sand disait un jour à Gustave Flaubert : « Ce que j’ai de meilleur en moi c’est les autres. »
Tous les artistes et surtout les toreros pourraient reprendre ce mot pour leur propre compte : ce qu’ils ont de meilleur en eux, c’est le public, … à condition cependant que le public soit bon. Et pour que le public soit bon, il ne suffit pas qu’il connaisse la tauromachie, il faut encore qu’il sache émettre à propos son opinion, qu’il manifeste à bon escient. C’est ce manque de discernement qui fait que le bât blesse. Vous rajoutez à cela un manque total d’humanité et nous entrons dans la brutalité. Si nous faisons abstraction de cette partie des spectateurs – la plus nombreuse – qu’une expérience trop faible rend incapable d’apprécier une course, nous trouvons que sur cent connaisseurs, il y a une vingtaine de dilettantes – un peu capricieux – soixante-quinze exaltés et cinq bons aficionados.
De ces derniers, nous ne trouvons rien à redire, si ce n’est pour souhaiter qu’ils deviennent promptement légion avant que le rideau ne retombe.
Puis côté ombre, le plus souvent en barrera, sombrero sévillan, lunettes noires, le pur havane entre leurs dents blanches – ça sent la caricature –, voici les dilettantes.
La corrida peut commencer, les plus beaux coups d’épée peuvent succéder aux plus belles passes de capes, pas un muscle de leur figure ne tressaillira, pas un battement de mains ne viendra exprimer leur enthousiasme. Il y a aussi quelques échantillons de ce calibre dans le callejón. Sont-ils insensibles à la beauté du spectacle ? Non, mais vous n’avez pas saisi, ils sont délicatement épicuriens, ils jouissent de l’intérieur : applaudir, manifester sa joie sont des efforts qui diminueraient leur plaisir. Et puis, s’ils encouragent l’art par leur présence, il est inutile de l’encourager aussi par leurs approbations : trop est trop. Et surtout, ne pas faire comme tout le monde…
Les toreros ont besoin d’être stimulés ; ils se mettent plus que les autres artistes au diapason du public, et si nous vibrons, leur ardeur ne faiblira pas.
Mais ce genre de spectateurs est peu nombreux : la proportion de vingt pour cent est exagérée…
Aux antipodes, voici les exaltés, parfois enragés, souvent survoltés.
Ceux-là sont ennuyeux, bien plus, ils sont dangereux. Ils ignorent toute mesure dans leurs enthousiasmes ou leurs colères nombreuses. Souvent par le passé, leurs exigences ont provoqué des drames.
J’ai retrouvé quelques situations dans les feuilles du passé.
Il y eut un certain Manfredi obligeant Curro-Guillén à tuer a recibir un toro de sentido et voyant ce malheureux diestro tomber mort devant lui. Également, Fabrilo tué par la cruelle stupidité des aficionados de Valencia. L’histoire en connut d’autres.
Des colères, des exigences abusives comme tout ce qui est exagéré.
Pour quarante ou cinquante euros, on n’achète pas le droit d’envoyer un homme à la mort.
J’ai le souvenir encore récent du dimanche 14 juillet 2019 à Céret, donc après le temps des cerises.
Céret, l’ADAC que j’apprécie ainsi que les amis catalans.
Sous un temps chaud et un vent sec ou un temps sec et un vent chaud, sortirent six Saltillo en moyenne de 532 kg et 5 ans et 7 mois, puissants et de caste pas toujours bonne.
Ce fut le calvaire pour Fernando Robleño, lui qui fut des années durant l’enfant chéri du ruedo cérétan. En 2012, dans la cité, on tourna un film franco-belge intitulé Paradis perdu, sept ans plus tard, le madrilène le perdit aussi. Il sécha devant du vrai toro qui nous ont ramenés fissa aux fondamentaux. Si il y eut un public aficionado qui sut reconnaître les bonnes phases de piques, de la lidia, etc, il y eut aussi un public de sauvages irrespectueux, vulgaires à l’encontre notamment de l’infortuné Robleño. Il est vrai que le chef de lidia fut transparent, sur le retrait, mais encore a-t’il eu le courage de venir dans ce fief du toro-toro. Combien sont-ils à accepter de tels défis ? A t’on le droit de traiter un torero de la sorte ?
Ceci ne faisant qu’un abcès de plus rongeant la Fiesta, nous n’avons que faire de tels abrutis affligeant le monde taurin et la corrida vacillante.
Francisco Herrera Rodríguez "Curro-Guillén" né à Utrera (Séville) en 1783, trouva la mort à Ronda le 21 mai 1820 affrontant, aux côtés d’un autre sévillan, Leoncillo, des toros de Cabrera. La rivalité exacerbée chez certains spectateurs qui se comportaient plus en supporters qu’en aficionados, fit qu’ils furent accueillis au paseo par des marques d’hostilité. Selon certains, alors que Curro-Guillén se préparait à l’estocade, un certain Manfredi – a t’il existé ? – l’interpella. Curro-Guillén estoquant précipitamment le Cabrera, celui-ci lui planta la corne dans la cuisse droite, le précipita contre la barrière et le reprit alors sur la corne gauche. Ainsi mourut à l’infirmerie Curro-Guillén quelques minutes plus tard.
Julio Aparici Pascual "Fabrilo" né à Ruzafa (Valence) en 1866, est blessé par le toro "Lengüeto" de José Manuel de la Cámara dans la plaza de Valence, le 27 mai 1897. Les conditions atmosphériques étaient mauvaises mais le public insista pour qu’il pose les bâtonnets. La protestation monta et le malheureux torero s’exécuta. À la seconde tentative, il est accroché par la corne gauche à l’aine, le soulevant. Trois jours plus tard, le 30 mai une péritonite s’étant déclarée, il mourut dans de terribles souffrances.
Héros mais victimes.
Humeur vagabonde.
Comme vous le savez, la Feria du Rhôny de Vergèze est rayée des futurs programmes tauromachiques sur décision de la nouvelle maire de la cité.
A ce sujet, l'inévitable et nécessaire André Viard a adressé un message : "On pourra toujours regretter que la ville de Vergèze n'ait jamais voulu adhérer à l'UVTF malgré diverses sollicitations. Peut-être aurait-il été moins facile pour la nouvelle municipalité de prendre cette décision..."
"Moins facile..." ?! Pour aboutir au même résultat. Si l'UVTF était performante, cela se saurait, non ?
Tout est si élémentaire mon cher Superdédé. N'a t'il pas, il y a quelques années (2016), conclue définitivement que la corrida remontait à 23 000 ans. Voir Tauromachies universelles (UVTF-ONCT), page 11. "Villars - 23 000 ans, la première tauromachie". [...] Pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, une peinture représente un homme et un animal en interaction, et cette scène est une "tauromachie". La première d'une longue série."
Raisonnement simpliste. Quand les aspirations voudraient être réalité ! Tauromachies universelles n'en reste pas moins un précieux ouvrage et une belle exposition à but éducatif, alors justement pourquoi ces supercheries ?
Vous comprendrez pourquoi j'aborde ce sujet. Rendez-vous mercredi prochain.
Dijon, capitale administrative de la Bourgogne, est appréciée comme ambassadrice de la gastronomie. En dehors des vins et de la moutarde – qui monte souvent au nez ses aficionados – nous pouvons également apprécier les escargots, le pain d’épices, la crème de cassis, la potée et le bœuf bourguignons, l’apéritif cher au chanoine Félix Kir et bien d’autres gourmandises.
Mais saviez-vous qu’aux alentours du 14 juillet à la jonction des XIXe et XXe siècles, Dijon avait une autre spécialité, récréative celle-la : la "corrida" ? La corrida dans tous ses états, nouvelle recette, le taureau bourguignon, un dérivé du bœuf !
Pendant quelques années, la capitale historique du duché de Bourgogne, "la ville aux cent clochers", tout comme ces villes d’un autre climat, ces villes du nord… de la Garonne, Paris comme Le Havre, Roubaix ou Limoges,… a eu droit aux combats de taureaux.
Les Dijonnais en étaient devenus passionnés avant leur interdiction au tournant du XXe siècle. 5 000 personnes vibraient dans l’ancien Vélodrome du Parc qui fut détruit à la fin des années 1920. Dans l’imaginaire collectif, draps rouges, costumes à paillettes, bêtes à cornes évoquent avant tout l’Espagne, Nîmes, Arles ou encore Dax et Mont-de-Marsan. Mais qui aurait pu imaginer qu’en Bourgogne, dans la cité des Ducs, ce genre d’évènement ait pu avoir lieu et rassembler autant de spectateurs ?
Ce fut en effet le cas de 1896 à 1902 – 7 ans tout de même ! – lorsqu’une cuadrilla de "toreros" eut l’idée de proposer ce genre de spectacle à l’occasion des Fêtes du 14 juillet.
L’Exposition Universelle et Internationale de juin à octobre 1898 avait inclus divers spectacles taurins.
Le Vélodrome dédié aux évènements populaires pouvait accueillir plusieurs milliers de personnes et bénéficiait de son propre arrêt de tramway. Voilà un endroit idéal pour attirer la curiosité et la soif d’exotisme de la population locale. Dès 1897, la presse de l’époque relate que plus de 5 000 billets de tribune à 1 franc seulement ont été vendus pour assister aux courses de taureaux, soit 15 % de la population ! A Angers, autre ville "taurine", le 10 juillet 1898, le prix des places étaient de 5 et 10 francs. Ces prix ont laissé de nombreux vides dans les tribunes. Ce jour-là, à Dijon, Félix Robert mettait à mort deux toros de Carreros, les chevaux étaient caparaçonnés.
Dans Le Progrès de Côte-d’Or, le 13 juillet 1897, le journaliste se fait même promoteur de l’évènement dijonnais :
« Les courses de taureaux, sont une fête pour les yeux, et nul ami de l’esthétique aspect des choses ne saurait se soustraire au charme intense de la corrida. »
En voila un qui a touché la propina !…
Une parade était organisée à travers les rues du centre-ville, et les costumes des matadors étaient exposés dans les vitrines du Bazar de la Ménagère, rue de la Liberté. Puis, dès 15h30 précises, le spectacle se déployait. Par la suite, les amateurs du cru pouvaient descendre dans l’arène et tenter de décrocher la cocarde rouge fixée sur la tête d’une vachette.
Récompense promise : 30 francs. En 1897, c’est le garçon-boulanger de la rue Monge André Vaillant, 22 ans, qui eut droit aux honneurs. L’année suivante, son excès de témérité lui coûta la rubrique des faits-divers et un aller simple vers l’hôpital, le visage ensanglanté, sérieusement blessé à la tête.
Du pain, des jeux et… du sang.
Soyons honnêtes, au-delà du simple exotisme, c’est bien le spectacle sanguinaire qui fascinait la foule. Lorsque le combat était dangereux ou que le taureau était mis à mort, les Dijonnais hurlaient leur joie.
Voici, résumé comment la presse locale relatait le spectacle dès le lendemain.
« Après une dizaine de passes de muleta, Félix Robert, d’un coup bien dirigé, plante l’épée presque jusqu’à la garde, l’animal arrête son élan, balance son corps, chancelle à peine une minute et s’abat sur le flanc droit. On applaudit à tout rompre. »
Sauf que le taureau n’est pas toujours abattu à chaque combat, ce qui avait le don de provoquer la colère de la foule.
En 1898 et 1899, les résumés des spectacles suivent l’avis du public, qualifiant de peu intéressant un combat où l’issue n’est pas fatale pour l’animal.
Au bout de quelques années seulement, l’évènement qui se voulait populaire a dégénéré. Jusqu’à ce fameux 6 juillet 1902 où Le Progrès titre : « Emeutes au Vélodrome – Courses interdites. »… Avant d’ajouter, non sans une pointe d’ironie : « Deux matadors ont été blessés – l’un assez grièvement – non par le taureau, mais par les spectateurs qui n’en avaient pas eu pour leur argent. »
Ayant eu écho de l’évènement, la presse parisienne s’en mêle, dénonce – déjà à l’époque – la barbarie de la tradition tauromachique et insulte largement le caractère primaire de la population dijonnaise. Dès le lendemain, des mesures sont prises : l’administration du Vélodrome annonce l’annulation des spectacles du 14 juillet 1902, remplacés au pied levé par des courses vélocipédiques et une réunion de course d’ânes !
Dans le même temps, le maire Auguste Fournier fait interdire définitivement les courses de taureaux sur le territoire de Dijon dès le 8 juillet 1902 au motif que « ce genre de spectacles à Dijon est de nature à troubler l’ordre public et peut causer des accidents. »
Et la presse locale de conclure, en dessous de l’arrêté municipal : « C’en est fait de notre naissante réputation de sanguinaire sauvagerie. Nous n’aurons plus l’occasion de nous faire qualifier de cannibales par les journaux parisiens. »
L’humour était sauf.
L’essor de la "corrida" avait donc gagné la patrie de Bossuet et de Gustave Eiffel ainsi que le territoire, et le taureau devint omniprésent entre spectacles et personnalités, accidents et dramatisation, humour et folklore, arène politique et détournement patriotique.
Revenons ici à l’aspect purement "tauromachique".
Pour l’année 1897, Félix Robert effectua les trois paseos.
Le dimanche 12 juillet, après sauts et écarts et simulacres, à la huitième "course", « la grande, celle de muerte », F. Robert "brinde" : « A la ville de Dijon, à nos libertés tauromachiques, et vive la République ! ».
« Il rate son premier coup d’épée puis réussit une entière. Le fauve chancelle et s’abat très vite. Le tour de piste du Landais est triomphal. La foule saute en piste, ainsi que le commissaire Pelatan qui dresse un procès-verbal ».
On tuait malgré l’interdiction et on dressait procès-verbal en application de la loi du 2 juillet 1850. Le public "sanguinaire" était comblé, et l’amende payée.
Le 14 juillet à 15h, c’est encore le plein. « Robert à la "moustache victorieuse" accompagné du sobresaliente Alarcón, "brinde" aux « Dames de Dijon ».
Le dimanche 18 juillet, « Gran corrida espagnole et landaise ». Le temps est lourd et orageux. Officient avec Félix Robert, Manuel Figueras Gallego "Picador de Madrid", le sobresaliente Juan Alarcón et les banderilleros, Eugenio Fernández et Manuel Izquierdo. La cuadrilla landaise était composée de A. Nassiet et Jean-Marie, premiers sauteurs et Navès, Mathieu et Ponty, écarteurs.
Dans la revue bordelaise Toros-Revue du jeudi 13 juillet 1899, un dénommé Rouard signait une reseña-sauce moutarde.
Spectacle du 2 juillet :
« C’est sous un ciel idéalement bleu que s’est déroulée la corrida donnée par Canario et son quadrille qui devaient combattre cinq toros de la manade Benoys. »
Taureaux camarguais et les quatre premiers sont "tués" au simulacre. Le dernier est le seul a être piqué et tué.
« ... Le cinquième bicho doit être mis à mort, il sort du toril peu disposé à attaquer la cavalerie, il prend cependant quatre piques, toutes de refilon, dont une bonne d’Artillero et une bonne et deux mauvaises de Moreno. Adrada lui pose deux paires de banderilles al cuarteo, et Canario une al quiebro. Puis Emilio prend les trasteos, brinde à la ville de Dijon, et après une faena composée exclusivement de naturelles, se profile bien et envoie le bicho ad patres d’une superbe estocade, un peu contraire. L’oreille aurait dû lui être accordée. […] Canario, téméraire à l’excès se prodigue sans compter. C’est un matador d’avenir. Les picadores n’ont pu briller avec le dernier toro qui avait la volonté mais était trop faible. Madronal et Pajarero sont d’excellents peones. »
Le sieur Rouard semble avoir des connaissances et emploie nombre de termes taurins. Canario toréa presque exclusivement par naturelles, action très éloignée des faenas de nos toreros contemporains. Quant à la non attribution d’un trophée, cela semble curieux car on souhaitait caresser le public dans le sens du poil.
Le même signataire récidiva le jeudi 20 juillet dans les feuilles de Toros-Revue pour la deuxième corrida de la saison devant 5 000 spectateurs, 4 toros combattus au simulacre par Método et Canario et 2 autres mis à mort par Antonio Monito.
« … En résumé, toros bons, peones travailleurs mais pas obéissants, Método et Canario excellents, Monito bon à la muleta mais trop grande mobilité. Public très peu connaisseur, a sifflé injustement. »
Le 16 juillet, les 5 toros étaient de la manade Benoys. J’en conclue que ceux du 14 juillet, aussi.
« … Les matadors firent des faenas trop mobiles, presque tous les simulacres furent cloués de surprise. Método, passable à la muleta, bien à l’estocade ; Canario très bien à la cape. En résumé, bonne journée. Et maintenant à l’année prochaine. »
Et j’ai retrouvé dans le Toros-Revue du 12 juillet 1900, l’article de notre dévoué revistero pour la course provençale du 8 juillet.
« Au programme Bayard et Jules Arnaud devaient travailler 6 toros neufs de la manade Saurel d’Arles. La course a été d’une monotonie exaspérante, les toreros attaquant le moins que possible le bétail, qui lui, n’attaquait pas du tout. […] Somme toute, course frigide qu’une température plus froide encore n’a pas contribuer à animer. Messieurs les organisateurs, vous avez une belle revanche à prendre les 14 et 15 juillet. »
Toros-Revue du 25 juillet 1900. Courses provençales.
« Voilà deux journées néfastes pour l’aficion des Dijonnais, les toros qui les 8 et 14 avaient été mauvais, se sont montrés tout simplement déplorables le 15 ; à tel point que le dernier s’est planté au milieu de l’arène, n’a plus voulu en bouger malgré les efforts des toréadors et n’a pu être ni banderillé, ni travaillé de cape, on le fit rentrer au toril et la course finit de la sorte. Ce fut piteux. Si véritablement ce sont des toros neufs, je n’en fais pas compliment aux ganaderos MM. Saurel frères. […] Pour ce qui est des Administrateurs des arènes du vélodrome, je leur prédis une chose, c’est qu’en s’entêtant à nous donner de pareils spectacles, ils feront déserter leur établissement par les aficionados les plus convaincus.
De telles courses font plus de mal à la tauromachie que les attaques les plus virulentes des adeptes de la SPDA. »
Que rajouter à ceci ?
Par interdiction, le vélodrome retrouva en 1903 le calme de la petite reine et de ses adeptes.
La conduite de certains personnages, qui, sous le nom d'entrepreneurs de corridas et sous le fallacieux prétexte de répandre l'afición en France ne cessaient d'écumer les régions de l'Est et du Nord, où le public étant moins connaisseur était, par la suite, plus à même de se faire exploiter. Tous ces organisateurs avides de gains vite récoltés, ne se souciaient guère de la qualité des spectacles. C’était une véritable pétaudière avec courses hispano-françaises, landaises ou provençales, au simulacre avec souvent de tristes et piètres "toreros" – aucun de ceux cités plus haut n’a été matador d’alternative – , excepté le Landais Félix Robert. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, pour ne pas choquer le spectateur, on fit en sorte de protéger ces misérables chevaux de rebut lors des quelques courses avec mise à mort. C'était un genre de caparaçon fort court, un plastron qui protégeait l'avant du cheval car on craignait la blessure mortelle de face, droit au coeur. Mais ceci ne suffisait pas, le public, au fil des courses ne pouvait rester insensible devant la tripe de rosse fumante. Quant aux toros !!
On ne se souciait pas d’éduquer le public, il n’était comme aujourd’hui, qu’un cochon de payant ! On laissa la situation se gangrener.
Toutes ces arènes du "Nord" ont été très vite désertées par le spectateur et l’impresario n’y trouva plus, bien sûr, son compte. Il y eut outre le désintérêt, les interdictions se greffant sur le malade comme à Dijon.
Actuellement, le nouveau public est ignare ; les SPA, FLAC, CRAC, BOUM (non), HUE (non plus), etc. n’ont pas à s’inquiéter. Le sieur Rouard en 1900, le prédisait déjà « de telles courses font plus de mal à la tauromachie... »
Le Catalan Emilio Soler "Canario" fut l’un des premiers à fouler le sable des arènes en bois de Vic-Fezensac lors d’une novillada le 19 septembre 1904 devant des novillos camarguais. Avant la novillada évoluait "Don Tancredo", l’homme-statue. Quel fut la trajectoire de Canario ? On sait peu de choses. Toujours est-il qu’un Canario hijo, apodo d’un autre Emilio Soler sera tué à Marseille par un toro de Lescot, le 19 octobre 1941. Le fils du précédent ? Possible, les dates concordent.
Pierre Cazenabe dit "Félix Robert" né à Meilhan (Landes) en 1862 avait pris l’alternative à Valence en 1894, il confirma à Madrid le 2 mai 1899. Premier matador d’alternative français.
Eustasio Rodríguez Páramo "Método", ex-banderillero, "torero" très moyen, est né en 1864 dans la région de Tolède.
Le taureau de Saulieu.
Je me prends à rêver que le taureau de Saulieu était un brave…
Dans cette commune qui chaque année au 15 août fête sa majesté le charolais, l’emblème du terroir est de taille et de bronze. Sauf que, ne vous y trompez pas, le taureau de Pompon n’est pas un charolais !
Ce monstre de bronze placide, domine tout à la fois la paisible bourgade de Saulieu, le département de la Côte-d’Or et les vertes solitudes du Morvan.
Fièrement dressé sur une boucle de l’ancienne Nationale 6, à 70 km de Dijon, cette œuvre de François Pompon, sculpteur animalier, né en 1855 ici même à Saulieu, a vu tous ceux qui, de plus en plus vite, fonçaient vers cette cité gastronomique, ce vieil antre où, bien longtemps triompha Alexandre Dumaine et où rayonna par la suite avant de brûler ses ailes, un certain Bernard Loiseau. Ce bel animal de cinq tonnes n’est en réalité qu’une réplique en bronze réalisée grâce à une souscription. L’original vit sa vie au Petit Palais à Paris. La réplique de Saulieu a été inaugurée en 1949 par le maire de l’époque, le chanoine Kir, maire de Dijon, Edouard Herriot, alors président de l’Assemblée nationale, ainsi que le ministre de la Communication venu inaugurer la nouvelle poste et qui n’était autre que François Mitterrand.
Le Grand Taureau fait partie des très nombreuses sculptures de l’artiste qui rejoignit Paris à 20 ans y rencontrant Auguste Rodin. Pompon connaîtra le succès tard, à 65 ans, lorsqu’en 1922, il présente au Salon d’Automne son fameux Ours Blanc, ayant abandonné la banquise pour le musée d’Orsay.
Son Grand Taureau, réalisé à l’échelle, retranscrit à la fois la puissance et la placidité de cet animal symbolique mais en aucune façon, le sculpteur n’avait envisagé un charolais, bête de trait devenue bête à viande, bête rustique et docile. Un concours de circonstance, entre un natif du pays et un pays où le charolais est roi. Ni toro bravo non plus…
Juin 2012, cyclotourisme.
« A vélo pour les taureaux »
La misérable FLAC ( Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas) avait organisé en juin 2012, le parcours reliant Paris à Chambéry pour dénoncer la tauromachie. L’objectif, obtenir un rendez-vous avec les élus de Chambéry et le Conseil général de Savoie – région taurine aux traditions bien ancrées – afin de présenter les méfaits de la corrida sur les enfants et arriver à ce que Chambéry devienne officiellement "Ville anti-corrida" !!! Il est vrai que de nombreux chambériens peuplaient l’été, nos tendidos !
Cinq villes ont été visitées avant Chambéry : Melun, Auxerre, Dijon, Mâcon et Bourg-en-Bresse.
… Je n’ai pas pris connaissance du dénouement de cette virée de cyclotourisme et je m’en bats les flancs !
Mais il est vrai que nos aficionados bourguignons nous manquent terriblement. Ils ne nous offrent plus pendant la merienda, le petit morceau de Chaource et son petit verre de Chablis.
Autres temps, autres mœurs.
Nationale 6.
Dans les années cinquante, cette route légendaire reliait Paris à l’Italie via Lyon et la Savoie traversant la Bourgogne.
Imaginez ces débiles de la FLAC descendant à vélo depuis Paris vers Chambéry, tombant nez à mufle sur le Grand Taureau ! Mais ils l’auraient coulé, le bronze !
Raoul Bériel entraîne ses taureaux le long du lac de Kir à l'entrée ouest de Dijon. Attention, M. Bériel, le joug : la SPA, le CRAC, la FLAC... ne vont pas apprécier !
Gilbert Lamarque
Jeudi 8 octobre. A l'instant où je termine cet article, l'Assemblée Nationale rejette les trois amendements anti corrida. Ce rejet constitue un message porteur d'espoir ; rejetés les trois amendements visant à interdire la corrida et l'accès aux arènes aux mineurs de moins de 16 ans ! La légitimité de notre culture sort renforcée, toujours plus profondément enracinée dans nos régions. Mais sachons rester vigilants.
Vendredi 9 octobre. "Et ça continue, d'accord, d'accord..." A Antequera, Finito de Córdoba venu remplacé S. Castella, a "indulté" son second toro, "Doctor" de Zalduendo, noble qui ne prit qu'une pique ! Vendredi 9 octobre, jour de la saint Denis. De Dionusios ou Dionysos, le dieu de la vigne, du vin mais aussi du délire extatique ! Voilà, le public en extase et le vin a certainement débordé. Mais attention, le délire peut s'avérer dangereux !
En tauromachie, il y a toujours eu des divergences, des antagonismes curieux.
(Il y a quelques jours, le 19 août, nous vous entretenions sur les partisans du torero ou du toro : torerista ou torista).
Tous ces antagonismes peuvent porter sur le piquero, le caparaçon, les toreros, les toros et sur bien d’autres détails – qui n’en sont pas toujours – et sont un des éléments parmi des milliers de la passion et de l’intransigeance, parfois l’intolérance de nombre d’aficionados.
Nous assistons tous au même spectacle mais, la façon de l’aborder, de le voir, de le ressentir, de le juger, de le concevoir, diffère fortement suivant le goût, le caractère, les idées, la culture tauromachique, le parcourt et parfois même du milieu social de chacun.
Et dans ce monde de sueur et de sang, en principe, chacun tranche dans le vif.
Qui n’a pas entendu "qu’autrefois", les toros pesaient en toute normalité les fameuses 30 arrobas*. Que les toreros très professionnels préféraient subir la cornada que vivre l’échec. Que les picadors – les mal-aimés aujourd’hui – excellents cavaliers, se seraient crus déshonorés de placer la vara ailleurs qu’en plein garrot. Que les corridas et autres spectacles dits mineurs, se déroulaient dans le respect rigoureux du règlement et des principes le codifiant, et autres considérations incontrôlées mais irrévocables qui constituent l’évidence sacro-sainte de l’art du toreo dont ils sont les irréductibles prêtresses.
En conclusion de ces traditions sacrées et intouchables, sont nées des prises de position étranges dont les plus intransigeantes se sont fixées sur l’élément essentiel, de base de la corrida, à savoir le toro.
Le poids
Il y a les partisans du poids. Ceux pour qui le toro de lidia doit avant tout être un animal grand, lourd, puissant, très armé. Nous les trouvons pour la plupart à Madrid ou Bilbao. Seul le toreo dur, difficile, dangereux contre cet animal imposant les intéresse comme, sans franchir les Pyrénées, à Céret ou à Vic. Ils en espèrent une forte émotion, le frisson violent qui vous parcourt l’échine jusqu’à l’angoisse, tout ceci sont pour ces disciples la quintessence de l’art tauromachique.
Si vous avancez le caractère souvent pénible de ce spectacle, ils éliminent l’élément difficile en vous affirmant qu’ « il y a une lidia adaptée au caractère de chaque toro » - ce que je partage – et ne s’intéressant qu’à l’effort, à la lutte âpre et technique, of course.
La bravoure et la noblesse
L’autre conception a pour nature les qualités de bravoure et de noblesse du toro.
Cette catégorie d’aficionados ne fait pas pour autant, abstraction de la prestance, de l’allure ; mais s’il a à choisir entre la masse et la combativité, ils soustraient sans hésitation quelques arrobas au bénéfice des qualités "morales" du bicho. La notion de masse ne veut pas dire être plus gras ni être plus fort.
Pour eux, la tauromachie est avant tout un art. Vivre le beau, l’esthétique, au diable la bagarre ! Ils optent pour la beauté plastique plutôt que pour l’angoisse du danger.
Le style, le geste pur, l’harmonie et la lenteur des mouvements sont appréciés plus que le corps à corps athlétique.
Leur satisfaction est générée par l’inépuisable bravoure et surtout l’intégrale loyauté du toro, pour ne pas dire parfois, la candeur dans l’attaque.
L’intermédiaire
Entre ces deux conceptions, il y a la place pour un point de vue intermédiaire.
Le partisan du toro lourd, énorme, regarde avec tristesse l’aficionado qui admet le toro moyen. Il veut des kilos sur la bascule même si par la suite, il en résulte d’amères désillusions.
Quant à l’amateur de la bravoure, il estime avant tout qu’une exécution idéale des suertes vaut bien la peine de se priver de quelques arrobas. Partisan du toro brave, il s’intéresse à tous les tercios même si la puissance est limitée. Pour lui, la corrida est surtout un ensemble qui exige pour sa parfaite réalisation avec ce côté artistique, les qualités de noblesse et de bravoure qui n’amènent pas obligatoirement au toro « sur rails ». Il en tirera des impressions d’esthétique, d’élégance et d’harmonie, tout cela non dénué de danger, d’effort et de tragique.
Conclusion
Elle tient dans cette phrase de Belmonte après avoir abordé cet éternel sujet de discorde entre aficionados : « Un toro n’a jamais fait mal avec ses kilos. Ce sont ses intentions qui comptent et surtout la façon dont il les traduit avec ses cornes. »
Là se situe sans conteste toute la logique du toreo.
Un toro brave, noble et lourd est au goût de chacun, et je crois, sans me tromper, au goût de tous les vrais toreros.
Un toro anovillado, nerveux, dur de pattes, un toro de sentido, sera toujours craint par les matadors de toutes les catégories.
Vous l’aurez compris, cet article n’étant qu’une autre façon d’aborder "torerista y torista" mais dans une position consensuelle. Il y a la place pour chacun avec le "bon" toro, "moderne" ou pas, celui qui devrait toujours nous unir sans pour cela éliminer tout le ganado.
*Arroba, ancienne unité de mesure de masse. En Castille, l’arroba équivaut à 25 livres, soit 11,500 kilos.