En Espagne, "avant-hier", c’était la révolution créée dans le toreo par Juan Belmonte qui paraissait détruire tout ce qui constituait les règles fondamentales du toreo. Elle était basée sur les qualités morales du toro qui permettait ou non, ce "nouveau toreo". Et cela consistait à ce que pris dans le leurre, manié au rythme de la charge, l’animal ne voyait que la flanelle et ne pouvait suivre d’autre chemin que celui qui lui était indiqué.
Belmonte, pour l’appliquer, se trouva aux prises avec d’énormes difficultés ; puis, aux côtés de son jeune confrère José Gómez Ortega Gallito, Joselito – dont nous honorons, cette année, la mémoire cent ans après sa disparition –, ayant appris à dominer, il toréa "à sa manière" quand les toros le permettaient ou quand il avait pu les réduire.
Le bétail n’était déjà plus celui du début du siècle (XXe) ; la région de Salamanque faisait à la corrida un apport massif mais la zootechnie n’avait pas encore réalisé les progrès qui permirent la création du toro "presque régulièrement facile".
Aussi, la période qui fut celle des belles années tauromachiques, "l’Âge d’or" du toreo, celle de l’après-guerre de 1918 jusqu’à la Guerre civile espagnole de 1936, permit de voir une majorité de toros de poids et de respect, "toréés" par une majorité de toreros qui savaient dominer, réduire et profiter de toutes les qualités morales de leurs adversaires. Ils avaient pour nom : Chicuelo, Granero, Marquez, Lalanda, Barrera, Armillita, Manolo Bienvenida, Domingo Ortega. Joselito avait quitté la planète en 1920, Belmonte débutant dans les années 1910, déserta les ruedos en 1936.
Mais pour certains aficionados, cette période fut celle de la monotonie, monotonie que l’on peut appeler "régularité taurine". Ces toreros étaient de qualité relativement égale, ils avaient simplement un genre de toreo différent, soit artistique, soit dominateur dont la confrontation maintenait élevé le niveau de l’afición.
Les toros étaient braves, souvent nobles et leur présentation entretenait l’émotion qui est à la base de la corrida.
Bien sûr, tout n’était pas parfait et la critique s’en donnait à cœur joie. Dans les années 1920, étaient apparus la nouvelle pique, la raie blanche, le caparaçon, la sortie des picadors après la suerte, la suppression des banderilles de feu… la révolution !
De 1936 à 1945, les évènements, les conflits privèrent l’aficionado de son spectacle favori. Lorsqu’il revint aux arènes, la corrida lui avait réservé de grandes surprises.
Ici, nous pénétrons dans le monde d’"hier".
L’aficionado se trouvait devant un toreo différent, moderne qu’avait créé Manolete. La révolution n’était qu’une nouveauté, un toreo fait de quiétude, statisme et une certaine froideur.
Pour révolutionner un art, vous en conviendrez, il faut, après avoir ébranlé les fondations, faire tomber l’édifice qui reposait dessus et reconstruire sur les ruines. Manolete avait seulement ébranlé l’édifice et ce toreo nouveau comportant une part d’habileté et de facilité, était favorisé par la diminution sans cesse croissante de la taille, du poids, de l’âge et de l’armure de l’animal.
La Guerre civile venait de s’achever et les ganaderias qui survécurent au conflit, n’avaient qu’un maigre choix à offrir. Et les novillos furent vendus comme toros, le guarismo n’était même pas encore en gestation.
Cette marque visible sur l’épaule droite du toro correspond au dernier chiffre de l’"année de l’éleveur" – año ganadero – du 1er juillet de l’année en cours au 30 juin de la suivante. C’est à partir de 1969 que l’on marqua de leur année de naissance les jeunes becerros et becceras. Donc, c’est à partir de 1973 qu’apparut le guarismo "9" des premiers toros de quatre ans.
Imaginez toutes les tricheries auparavant ! Le toro, comme la star défraîchie, cachait son âge à ses fans, mais ici, l’animal se vieillissait !
… Et malgré tout, Manolete mourut dans l’arène, victime de la seule suerte qui n’avait pas évolué, celle du "moment de vérité" !
Les vieux aficionados, un moment intéressé, se reprirent mais à quoi bon s’indigner et protester, l’évolution se poursuivit et ceux qui auraient pu la ramener à de plus justes proportions ne faisaient rien pour cela. On s’éloignait de plus en plus de l’art orthodoxe de Joselito, de l’art "dissident" de Belmonte et du combat qui leur imposait des qualités exceptionnelles où l’intelligence était opposée à la brutalité.
Quittons le monde d’"hier".
"Aujourd’hui", nous trouvons encore quelques toreros largos et dominateurs. Par contre à propos des toritos, le campo en vomit des torrents, androïdes producteurs d’oreillettes et d’indultos.
Nous n’allons pas y revenir, sujet sans cesse rabâché. Contentons-nous d’avaler nos rations de guimauve.
Qu’en sera t’il de "demain" ?
Nous souhaitons vraiment avec force et obstination, un retour aux normes décentes de l’art tauromachique. Les peones courant le toro à une seule main ; les picadors bons cavaliers et vertueux ; le torero redevenu maestro dans sa lidia sérieuse, dominant, exécutant La faena juste, liée, efficace, de longueur soutenable devant un adversaire puissant et pegajoso par excès de bravoure.
Une faena de torero à un toro de combat.
En fait, nous demandons peu, seulement le retour aux sources.
Mais cette requête ressemble plus à une lettre au Père Noël… Noël n’a jamais été si proche !
Le 27 octobre à Carcassonne, l’UVTF a élu son nouveau bureau et la ville d’Istres est désignée pour la présidence des trois ans à venir. Elle a voté entre autres, la modification de l’article 62 du règlement taurin municipal. La pique dite "Bonijol" sera la seule à être utilisée dans les arènes appartenant à l’UVTF, dans l’intérêt du spectacle et après validation par la FSTF.
En France et en Espagne, sont utilisées trois types de piques.
- "Espagnole" définie par le Ministère de l’Intérieur espagnol en 1996.
- "Andalouse", même modèle que l’"espagnole" mais de cotes réduites adoptée par l’Andalousie en mars 2006 puis par le Pays Basque et la Castille-et-Leon. Cette pique, plus courte de 1cm avec un diamètre de 2,5cm est employée aujourd'hui à Bilbao. Elle provoque des blessures moins profondes de l'ordre de 13%. Encore un sujet de discorde, certains s'insurgent... leurs aïeuls s'opposaient déjà à la religion du caparaçon !
- "Française" ou "Bonijol", pyramide en acier sur corps monobloc alu qui supprime le bourrelet présent dans les précédents modèles. Elle est utilisée depuis 2011 par les arènes qui le souhaitent en accord avec l’UVTF.
Pas vraiment une révolution car à part Parentis et Céret qui utilisent l’"espagnole", toutes les arènes de l’Hexagone où officie la cuadra Bonijol, utilisent la "française". L’avantage, c’est l’harmonisation de la pique, pique qui nous fait souvent débattre.
Quant à Philippe Heyral, il fournit, lui aussi, ses propres piques. Pas de photo, mais on imagine qu’elle est aux dimensions de la pique espagnole.
Pour ceux parmi vous qui souhaitent pousser plus loin la pique, rendez-vous sur le site de la FSTF, taper "pique" dans la recherche.
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ! »
Non, il n’est pas question que je suive à la lettre ce vers de Nicolas Boileau. Je ne tiens pas à briller – encore faudrait-il que je le puisse ! – sur un sujet que j’aurai travaillé, retravaillé inlassablement, à savoir, le public de corrida, déjà traité auparavant dans l’article La lâcheté du torero. En ces temps troubles où l’actualité taurine est réduite quasiment au néant, il faut bien trouver un sujet de discussion et non pas de chamaillerie. Et bien, va pour le public de corrida ! Promis nous passerons à autre chose prochainement. À ce sujet, venez-nous en aide et proposez-nous des sujets à débattre car à ce rythme, allons nous arriver à Noël ?!
La suerte des piques a subi au cours des ans de nombreuses et sérieuses modifications : ordre de sorties des picadors, caractéristiques de la pique, caparaçon, cercle blanc délimitant la surface d’action, etc. Et même dans les "fioritures", car l’ensemble du costume a reçu quelques changements dans le détail.
Le castoreño est moins large et la veste plus riche en broderie, voici les picadors affublés aujourd’hui de la cravate des toreros. Mais le plus grand changement "vestimentaire" réside dans l’armature métallique qui protège la jambe droite. La gregoriana d’autrefois – du nom du rejoneador Gregorio Gallo, qui en eut l’idée au XVIIe siècle –, était une sorte de haute guêtre de fer protégeant seulement la cheville et le tibia, et recouverte de peau de daim. De la peau de daim aujourd’hui et tous les groupuscules défendant la cause animale nous tombent sur le râble !
Et puis au XIXe siècle pour parachever la protection, on la hausse encore et on y ajoute une autre protection métallique qu’une articulation joint à la gregoriana, à la hauteur du genou. Cette nouvelle défense prend alors le nom de mona ou plus souvent de hierros. Enfin tout ceci n’est pas le sujet de l’article, disons que c’est son introduction ; bien des choses sont encore à dire sur ce chapitre.
Concentrons-nous sur les résidents du ruedo.
L’action individuelle des picadors a donné lieu, encore et toujours à d’interminables polémiques ; elle a motivé de nombreuses chroniques ; elle a aussi fait l’objet de discussions dont l’ampleur égalait l’inutilité et nous avons vu fleurir autour de nous de nombreux copains !
Il est plus sage d’examiner avec modération le comportement actuel des piqueros car si leur action est souvent pénible et déplaisante, ce désagrément est un mal nécessaire pour le déroulement normal du spectacle taurin.
C’est pendant cette suerte et seulement à ce moment-là que l’on juge les qualités de combativité et de bravoure du toro. Dès le début de la lidia, elle permet au torero d’apprécier le tempérament et le caractère du bicho.
Cette suerte de piques, convenons en, est le seul moment de la corrida où la sauvagerie de la bête se heurte à la brutalité raisonnée de l’homme. Elle rend possible la suite du combat par la diminution des forces et de la puissance du cornu, diminution qui permet l’exécution de toutes les suertes suivantes.
Une partie du public est assez brutale et souvent profane. Il succède aux revisteros de la fin du XIXe siècle qui ont insisté sur les méfaits des hommes au castoreño. Combien de fois a t’il été dit que les picadors étaient des bouchers et des assassins ? Alors comment la foule réagirait-elle autrement que par des huées, des sifflets et des vociférations ? José Redondo "El Chiclanero" disait : « Le picador sera toujours la victime dans le noble art du toreo. » Cela se vérifie encore aujourd’hui. Guerre implacable car elle est celle de toutes les temporadas et de toutes les corridas. Guerre féroce car les hostilités démarrent dès l’entrée des chevaux dans la piste. Guerre injuste car elle fausse le résultat de la lidia.
Dès qu’un toro faiblit des pattes antérieures, même si cette pseudo-faiblesse a pour cause le choc impétueux contre le groupe équestre, les tendidos vocifèrent contre la présidence qui n’a pas ordonné immédiatement le changement de suerte. Et voila que le palco secoué par la violence des cris et sifflets, accède rapidement à l’injonction.
Pour cette grande partie du public et pour le président – souvent –, les coups de pointe, les picotazos donnés au hasard ou au passage des toros qui fuient ou qui sortent seuls de la suerte, les déchirures de la peau qui se produisent accidentellement et qui sont, c’est vrai, pas très belles à voir, comptent malheureusement comme de véritables puyazos.
Dans d’autres cas, les toreros en ne voulant pas attirer sur eux-mêmes une partie de l'ire populaire – légitime à leur égard –, désireux de donner des gages à ce cher public et manquant de clairvoyance, se tournent vers la présidence et, avec une déférence affectée, montera en main, ou simple moulinet du poignet sans un regard vers le palco, cavalièrement, ils demandent, eux aussi, la fin de la suerte et l’obtiennent généralement. La présidence aux ordres.
On l’a bien compris, la réduction abusive de la suerte de piques lui ôte son caractère et tout son effet. Il est vrai que de nos jours avec le toro "moderne", certains peuvent passer directement aux banderilles !
Mais il arrive aussi que ce toro insuffisamment châtié soit brave ; sa faiblesse n’est qu’apparente ; il a gardé ses forces intactes ou il les récupère rapidement au cours de la lidia. Alors, pour essayer d’atténuer ce retour de puissance, les peones abusent de capotazos et de recortes ; le toro apprend rapidement ce qu’il n’aurait jamais dû savoir ; il devient avisé et difficile. Mais qui dans le public, au final, s’en rend compte ?
Guerre absurde et injuste car la foule qui est à la base de la faute maintient ses exigences et n’admet pas que le torero abrège son travail. Par son intransigeance, elle s’est privée de l’émotion inhérente au premier tercio et elle a perdu la vision du travail que le torero aurait pu exécuter.
Par une suerte brillante ou facile, le matador saura tout faire oublier et se fera même applaudir. Qu’en est-il du picador ? Lui, il n’aura pas l’occasion de se rattraper ; à lui les sifflets.
Tout ceci ne veut pas dire que les señors au castoreño sont sans reproches.
Il serait mal venu de notre part de nier qu’une bonne majorité ne se préoccupe guère des préceptes de l’art de la pique. Ils oublient que châtier le toro dans la forme réglementaire est leur mission : en les "citant" dans le tiers du ruedo délimité par le cercle blanc, et sur leur droite ; en ne fermant pas la sortie naturelle de la suerte – la droite – par l’exécution de la fameuse carioca ; en obligeant le toro à humilier sans lui apprendre inutilement à taper contre le caparaçon… Quant à ce cercle blanc, lasrayas, il est très souvent inutile et pas toujours utilisé à bon escient, on en conviendra.
Au contraire, le mauvais picador "cite" en faisant faire un quart de tour à sa monture ; il administre la pique le plus en arrière possible en s’efforçant de la faire rentrer au-delà du butoir ; il vrille, il ferme la sortie naturelle… Il veille à ce que l’adversaire soit "bien" piqué. Il sait que l’occasion de placer une seconde, voire une troisième pique ne se représentera pas. Mais, est-il le seul coupable de tous ces excès ?
Soyons clairs : le picador n’est qu’un comparse. Si la suerte, la plus ancienne du toreo, est actuellement en franche décadence, en perdition, la faute en est à l’intransigeance et la partialité du public, aux faiblesses et (ou) incompétences des présidences, pourquoi pas à la pique elle-même et à son montage et, allons y, au manque complet d’afición de trop nombreux toreros.
Aujourd’hui les outils du châtiment sont les mêmes, plus rudes diront certains, non, diront les autres - voir la pique andalouse - alors que sortent des toros qui n’ont pour la plupart, plus la prestance et la puissance de vrais toros de combat. La pique doit rester un instrument de châtiment et non une arme meurtrière, du moins dans son maniement.
Les rayas, en réalité, ne servent quasiment à rien et n’empêchent pas grand-chose, car dans la pratique, si le picador ne prévoit pas une chute éventuelle, il ne se gêne pas pour aller jusqu’à la raie blanche et même au-delà et si le toro est brave et puissant, il met son cheval contre la barrière et profite de cet appui. Le public prend cette délimitation très au sérieux et, dès qu’un demi-sabot franchit la frontière, c’est la huée. Sont à noter également, la mobilité ou non du canasson, le peu de technique cavalière, la mauvaise utilisation du cheval. Demandez à Philippe Heyral !
Quelques rares picadors savent donner le change, responsables, honnêtes et bons cavaliers. Concernant la pique, en corrida-concours, elle sert davantage à mettre en valeur les qualités du toro alors qu'en corrida, cette même pique est administrée pour diminuer le toro et mettre en valeur le troisième tiers, donc le torero. Et lors de cette corrida-concours, nous pouvons observer les qualités et le travail du cheval, vrai acteur du tercio. Le toro est mis en valeur en absorbant en souplesse, sa charge.
Il y a un règlement en France comme en Espagne mais les présidences ne l’appliquent pas. Voit on aujourd’hui un toro "banderillé" en noir ? Quelle gueule ferait le ganadero qui verrait l’un de ses "bravos" recevoir cette punition infamante pour leur devise ?
Par exemple, l’article 62 du règlement est-il suivi, appliqué ? (voir annexe en fin d’article).
Une application sévère de ce règlement ne résoudrait pas tous les maux dont soufre la suerte de varas mais au moins, elle représenterait un progrès sensible dans un état de choses qui ne cesse d’aller en décadence. N’entendons nous pas parler de suppression de la pique, des banderilles… et de la mise à mort ?
Combien d’amendes frappent les infractions au règlement ?
Qui doit-être réformé, amélioré, la suerte des piques ou le toro ? Les deux mon adjudant. De l’œuf ou de la poule…
C’est tout comme bannir toute trace de violence dans la symbolique révolutionnaire, préférant le drapeau à la pique – celle-ci avec une tête au bout – et la couronne de laurier au bonnet phrygien. On fait dans l’aimable, le doux, le soft ; pas trop de pique, pas trop de toro non plus.
Faire une petite révolution, voila.
Annexe
Voici l’article 62 dans son intégralité.
« Les piques seront présentés par l’organisateur au délégué de la Commission Taurine Extra Municipale avant l’apartado, dans une boîte scellée que celui-ci ouvrira.
Elles ne serviront que pour une course et porteront, sur la partie entourée de corde, le sceau préalablement posé par les organisateurs compétents à savoir la "Associacion de Matadores Españoles de Toros y Novillos y de Rejoneadores", la "Union Nacional de Picadores y Banderilleros" et la "Union de Criadores de Toros de Lidia".
Les piques, leur hampe, ainsi que leur façon de les monter devront correspondre, tant pour les corridas de toros que pour les novilladas avec picadors, aux normes et règles fixées par le Règlement des Spectacles Taurins Espagnol. Elles devront être montées la face plane vers le haut, sur une hampe convexe.
Une fois achevé l’examen des piques et des caparaçons, ces matériels seront mis en sécurité par le délégué de la CTEM qui ne les remettra à leurs utilisateurs que peu avant le début de la course.
Le délégué de la CTEM veillera à ce que le montage des piques soit effectué correctement. »
« Or – écrit Marc Roumengou – depuis 1992, il n’y a plus aucune vérification préalable des piques par qui que ce soit, et le scellé de la boîte ainsi que le sceau apposé sur le pseudo butoir ne sont que des faux, placés par le fabriquant de piques qui affûte celles-ci après chaque utilisation et en creuse les faces en contravention formelle avec ce qui est prévu dans leur définition officielle. » M. Roumengou, Piques, chevaux, picadors, puyazos. 5 janvier 2013.
Voilà qui a le mérite d’être clair !
Et de toutes façons, dans la majorité des cas, pensez-vous que les délégués soient compétents, donc écoutés sinon respectés ?
En conclusion, nous l'avons déjà dit, le public a sa part de responsabilité dans le déroulement de cette suerte tant décriée, mais la présidence, le maestro et le piquero tout autant.
C’est ici, avec le culte de Mithra que l’on a voulu voir avec parfois insistance, une sorte d’embryon de la corrida et donc, les lettres de noblesse de l’art tauromachique.
Il est fréquent de confondre le taureau et le Dieu. Non, le dieu Mithra n’a jamais été un dieu à figure de taureau et le sacrifice de ce dernier n’est pas non plus une immolation par substitution de l’animal au dieu comme cela s’est souvent pratiqué, y compris dans le symbolisme de l’agneau mystique des chrétiens. « Il n’est trace nulle part d’une interprétation de ce genre, pas un texte ne l’autorise. » A. Gasquet, Essai sur le culte et les mystères de Mithra.
Mais qu’est-ce que ce culte de Mithra qui ne paraît pas correspondre à l’un des dieux de la mythologie classique des Romains tels Jupiter, Junon, Vénus…, ou appartenir à la religion de l’État personnifié par l’Empereur qu’Auguste introduisit dans l’Empire ?
C’est qu’au début de notre ère, les Romains adoptèrent un certain nombre de cultes orientaux. Cybèle, Isis, Serapis, Mithra, avaient de nombreux disciples à Rome, à la veille du triomphe du Christianisme.
Sans nous étendre sur cette religion, tenons seulement pour acquis que l’une de ses cérémonies était constituée par le taurobole, c’est-à-dire l’immolation d’un taureau par un sacrificateur qui incarnait la personne du jeune dieu solaire Mithra tel que les bas-reliefs nous le représentent le plus souvent : coiffé du bonnet phrygien, le manteau flottant au vent, l’épée en main et donnant l’estocade à l’animal dans une grotte décorée des signes du zodiaque.
Ainsi donc, dans le Mithriacisme, le rôle actif et souverain est dévolu au prêtre ou au dieu seul, le taureau faisant seulement figure de victime propitiatoire, chargé de souillures et des péchés des hommes, offerte en holocauste pour le rachat des fidèles et dont le sang, conformément à une doctrine solidement établie dans la majorité des religions antiques, devait, par son aspersion ou lustration, laver toute faute et tout crime.
Le poète ibérique Prudence a décrit la cérémonie assez répugnante de ce baptême sanglant qui se recevait dans une fosse à claire-voie, une pluie de sang ruisselant de l’animal égorgé sur le catéchumène qui était ainsi renouvelé et rétabli dans sa pureté primitive, au moins pendant cinq lustres.
C’est ainsi que parmi les nombreuses inscriptions tauroboliques trouvées dans le sanctuaire de Cybèle, au Vatican, Agorius Praetextatus et sa femme déclarent avoir reçu le bénéfice de l’oblation taurobolique.
Précisons que le taurobole, comme le fameux "consolamentum" des Cathares était un évènement assez exceptionnel et que le culte de Mithra comportait d’autres mystères, épreuves ou sacrements telle la purification par l’eau lustrale, qu’enfin le sacrifice de taureau était souvent remplacé par celui d’un bélier.
Tel est schématisé et réduit à ses éléments les plus simples le rôle du taureau dans le culte de Mithra. Il faut surtout en retenir que l’animal n’était nullement assimilé au dieu, qu’il ne faisait l’objet d’aucun culte ou adoration et qu’il n’était, au fond, qu’un des figurants de la liturgie.
Mais il est déjà bien beau que le geste du matador entrant a matar, se retrouve dans l’acte d’un dieu tel, ou a peu près, que nous le restitue l’admirable bas-relief du Musée du Capitole à Rome. Et, qui sait, si sur les gradins de l’arène, le public moderne n’éprouve pas, quand la bête s’écroule, l’obscur sentiment que vient de s’accomplir un rite millénaire ? Peut-être se glisse, alors insidieusement, en chaque spectateur, l’allégresse de l’homme initié, lavé de ses souillures ? Peut-être que la mort du taureau libère en chacun de nous d’obsédants refoulements et nous délivre, un moment, du poids d’un complexe atavique de culpabilité ?
Là, nous passons du sable du ruedo aux sables mouvants de la psychanalyse !
Lisez Le Taureau. Une histoire culturelle aux éditions du Seuil, un livre luxueux à la belle iconographie (19,90 euros). Notre animal vedette en pleine lumière dans ces sombres moments. Mais un historien revendiqué doit éviter de prendre parti. Il avance un jugement radical qui ne repose sur aucune démonstration valable, une démarche propre aux anti-corrida.