La tauromachie veut être reconnue, c’est légitime. Elle est face à une opinion publique majoritairement hostile à ce spectacle. C’est clair. Les historiens sérieux, les certifiés, proposent son ancienneté au XVIe siècle lorsqu’à Séville les bouchers pourchassaient le bétail avant sa triste exécution. Un nouveau public était né, un nouveau spectacle, aussi.
Nous l’avons vu et lu, hélas, la tauromachie est née sous l’homme de Néandertal (!), ou de cro magnon, bref, au paléolithique supérieur. Si cette espèce s’est éteinte, la tauromachie a vécu et survécu environ depuis 30.000 ans !
Alors, diront les uns, elle est légitime, les autres, dans le doute, hésiterons devant l’imposture des notes et des délires du fin stratège de l’Observatoire (ONCT) dans ses tentatives pitoyables de récupération.
Il y a quelques jours, en novembre dernier, le président de la République bredouilla avant le triste non-débat parlementaire : « La France n’interdira pas la tauromachie, qui fait partie de nos traditions populaires ».Tout ceci semble bien fragile. Un président-girouette défendant « une tradition française populaire » dont la fonction première est de nous montrer la provenance du vent, et un autre président-observateur remontant le temps à la recherche du saint Graal, son Graal, celui qui le fait fructifier produisant des avantages et quelques bénéfices : pathétique.
Macron déclare qu’il n’y aura pas d’interdiction – mais qu’elle puissance l’anime ? Allons donc vers la conciliation, le dialogue mais avec d’autres arguments moins vaporeux sur la condition animale, l’attachement aux coutumes, aux traditions, emmenés avec engouement par une jeune afición légitime.
Le "non" présidentiel aura eu un poids, un effet exceptionnel sur le résultat.
Attention, le vent tourne !
Sous d’autres latitudes, on annonce le retour de Castella, du Cid, et Ponce n’exclue pas sa réapparition. Ciel ! Le maestro de Valence a assuré « que pour l’instant il préfère vivre de souvenirs ». Nous aussi !
« On ne peut rien imaginer de plus beau par exemple qu’une course de taureaux dans les arènes. Nous avons, tout enfant, assisté plusieurs fois à des représentations de ce genre, et elles ont laissé une impression profonde. À cette époque, les épées les plus fameuses de Barcelone ou de Madrid passaient fréquemment les Pyrénées avec leurs quadrilles pour venir courir le taureau dans le midi de la France. Ces jours-là, à l’heure de vêpres, la petite ville de province était déserte, toute aux arènes que sa population parvenait à peine à remplir. Dans les rues, sur le cours brûlé, tout bruissant de cigales, c’était un silence, une solitude agrandie de l’oisiveté du dimanche.
À mesure qu’on approchait du vieil amphithéâtre, il vous arrivait un écho de huées joyeuses, des éclats de voix et de fanfares qui montaient de cette immense cuve, vaporisés pour ainsi dire par la lumière intense du soleil. Les hautes grilles, l’arc des voûtes où le ciel se découpait en bleu, servaient de soupiraux à la joie de la fête ; et tout ce train vous excitait, vous donnait des ailes. Malheureusement il fallait faire queue à la porte. À travers les barreaux, on voyait des grands corridors froids et humides, des marches descellées, des pentes sombres menant au sable du cirque et laissant apercevoir là-bas, dans la lumière, les jambes des toreros, leurs bas de soie coquettement tendus, et les sabots impatients des bêtes. Quel supplice d’attendre son billet avec ce demi-spectacle sous les yeux, et d’entendre ces rires, ce grondement de la foule invisible acclamant des prouesses qu’on était obligé de deviner.
Enfin la maudite grille s’ouvrait. On avait le droit de s’élancer dans le noir, dans la fraîcheur de ces voûtes, de ces escaliers géants , et d’arriver tout à coup à l’éblouissement du jour tombant d’aplomb sur les gradins étagés, s’épanouissant sur vingt mille visages, avec le reflet vif, le papillotage des toilettes de fête et des costumes pittoresques. En bas, dans le cirque, les écharpes roses, vertes, bleues des Espagnols, les éclairs de lances, les scintillements d’épées se croisaient, se mêlaient aux fureurs , aux bondissements du taureau harcelé par une pluie de banderilles ; et de cette confusion de foule, de cette ardeur de combat, il s’élevait un murmure de voix à peine distinct aux étages inférieurs mais qui en montant s’accentuait, se dépouillait dans l’air pur. On distinguait surtout le cri des marchands de « pains au lait » circulant parmi les spectateurs : Li pan au la !… Li pan au la !… Et les revendeuses d’eau vous donnaient soif rien qu’à les entendre glapir : L’aigo e fresco !… Quou voù beuré ?...L’eau est fraîche… Qui veut boire ?...Puis, tout en haut, des enfants courant et jouant à la crête des arènes faisaient sur ce grand brouhaha comme une couronne de sons aigus, au niveau d’un vol d’hirondelles, tout à fait dans le royaume des oiseaux.
De temps en temps il y avait une alerte. Une pierre se détachait du vieux monument sous une poussée de monde et bondissait de gradin en gradin au milieu des cris de terreur et des bousculades. D’autres fois un taureau franchissait la barrière, et les spectateurs épouvantés se précipitaient vers le haut de l’amphithéâtre. Ce mouvement de la foule dans une même direction ressemblait à l’assaut d’une falaise par la marée montante. Du reste, avec ce spectacle en plein air et cette masse de public assemblé, il n’y avait pas de petite manifestation. Le moindre succès devenait un triomphe, le moindre accident une catastrophe. Et sur tout cela quels admirables jeux de lumière ! À mesure que le jour avançait, le soleil tournait lentement dans la rondeur de l’immense amphithéâtre, comme sur le disque d’un cadran solaire. La foule, se groupant dans la zone de l’ombre, laissait vide tout l’espace exposé à la chaleur. Là les grandes pierres restaient nues avec leurs pousses d’herbes grillées et leurs teintes dorées où les incendies ont mis des traces noires. Quelques rares spectateurs placés de ce côté s’abritaient à l’entrée des voûtes, appuyés à la muraille, et dans la lumière aveuglante et flottante leurs poses avaient quelque chose d’antique, de sculptural. Ainsi peuplée et animée, la vieille ruine romaine semblait revivre pour un jour, ressusciter de sa splendeur passée. On avait en la regardant la sensation que donne une phrase latine prononcée par un Italien de Rome, une strophe de Pindare récitée par un Athénien de maintenant, c’est-à-dire la langue morte redevenue vivante, perdant son aspect scolastique et froid. De même en ces belles journées nos vieilles arènes quittaient leur physionomie de ruine empaillée, de monument de cicérone. C’étaient bien des arènes romaines. Ce ciel si pur, ce soleil d’argent fondu, ces intonations latines conservées dans l’idiome provençal, ces têtes de Méridionaux frappées comme des médailles, tout s’unissait pour compléter l’illusion, jusqu’au beuglement des taureaux qu’on entendait en bas, sous ces voûtes profondes où étaient enfermés jadis les lions et les léopards. Aussi quand sur le cirque vide et tout jaune de sable la petite porte à claire-voie s’ouvrait pour le passage de la bête, on se serait presque attendu à voir bondir une panthère à la place du petit taureau noir, sournois et trapu. Ce même sable jaune, les Romains le répandaient à profusion pour boire le sang des victimes, chrétiens ou gladiateurs. Heureusement que dans nos courses du Midi il n’y avait guère en fait de victimes que quelques malheureux chevaux déjà hors service, et le taureau, quand le torero ne le manquait pas. Une fois pourtant, nous avons été témoin d’une scène bien dramatique et bien navrante.
La quadrille espagnole était arrivée au grand complet, amenant ses picadors, ses toreros et même ses taureaux ; mais, au dernier moment, un des plus habiles lanceurs de banderilles étant tombé malade, il avait fallu le remplacer par un indigène. On prit un portefaix de l’endroit, souple, beau garçon, bien fendu pour la course. Avec sa figure énergique, dorée, gaufrée comme le cuir de Cordoue, la résille, la veste courte, la culotte et le gilet de satin, il avait l’air ainsi plus espagnol qu’El Tato lui-même et tenait sa place comme un autre dans cette course affolée qui fait flotter au-dessus du cirque toutes ces mantilles bleues ou vertes ainsi que de courtes ailes de libellules. Dans le public il avait un grand succès. De tous les côtés des arènes, on lui criait : « Zou, zou, Louiset !… Louiset souriait, cambrait sa taille ; et, à le voir à califourchon sur la barrière, roulant et fumant sa cigarette, dans ces poses théâtrales innées à la race, vous l’auriez pris pour un véritable banderillero.
Les taureaux espagnols ne s’y trompaient pas, eux. Ils avaient l’air de le dédaigner, de ne pas faire attention à lui. Aussi le pauvre diable, d’abord un peu timide, prit de l’aplomb, s’exposa, passa deux ou trois fois très près de la corne. On l’applaudissait beaucoup. À un moment, comme il s’approchait pour piquer dans les épaules de l’animal deux de ces dards ornés de petits drapeaux qu’on appelle des banderilles, le taureau – un grand taureau jaune, qui le guettait du coin de l’oeil, de ce mauvais regard en dessous qu’ils vous lancent sans bouger la tête – se retourna sur lui brusquement. L’infortuné banderillero, au lieu de faire un de de ces crochets qui coupent et déroutent l’élan de la lourde bête, eut peur, et courut droit devant lui pour gagner la barrière. Il y arriva ,un peu avant le taureau prit son élan, manqua des deux pieds, et roula dans le cirque. Un cri de terreur retentit de partout. Quand l’homme se releva, la bête était sur lui, et avant que personne eût pu venir à son secours, d’un coup terrible et sourd qu’il nous semble encore entendre, elle le cloua tout éventré contre la barrière en planches. Le malheureux poussa un hurlement de douleur, rien qu’un ; et les deux banderilles restées dans sa main palpitèrent une minute comme des signaux de détresse… Ce jour-là, la physionomie des arènes était complète.
Mais où elles étaient surtout belles à voir, c’est vers la fin du spectacle, à mesure que le soir arrivait. L’ombre semblait sortir de toutes ces ouvertures, ces voûtes, ces couloirs, ces arcades, et se répandre dans tout le cirque. Quelques fanfares joyeuses annonçaient la mort du dernier taureau que les chevaux entraînaient. La foule s’écoulait lentement. Derrière elle, le vieil amphithéâtre reprenait peu à peu sa figure de ruine, s’agrandissait, évaporait par ses trous noirs tous ces rugissements de bêtes et d’hommes, et restait là accroupi dans un coin de la ville qu’il remplissait de son silence et de sa majesté. »
Nîmes ou Arles ?
Cette atmosphère, cet environnement vous ont été offerts par Alphonse Daudet sur les pierres romaines des arènes nîmoises, le 18 juin 1874.
Quatre- vingt- huit ans nous sépare de la première feria nîmoise. L’ambiance n’est pas comparable, l’auteur est préoccupé par ce qui se passe autour de lui. À la fin du texte, Daudet détaille parfaitement le drame qui se déroula par le passé.
Daudet est né à Nîmes bien qu’il ne soit pas de souche nîmoise. Le berceau des Daudet est un petit village au pied du mont Lozère, Concoules. "Le Petit Chose"n ‘est pas provençal comme son contemporain Frédéric Mistral. Il n’est pas né dans "son" moulin de Fontvieille qui inspirera les Lettres de mon moulin. Souvent présenté comme l'archétype de l'écrivain provençal, Alphonse Daudet n'en est pas moins gardois d'origine.
Dans ses textes, l’écrivain évoque souvent son enfance nîmoise. Il a 34 ans quand il écrit ces souvenirs. En novembre 1857, il débarque à Paris, avec « l’ambition d’un Rastignac ».
C’est à Paris qu’il fait carrière, comme journaliste et comme écrivain, s’essayant à la poésie , au théâtre et trouvant sa voie et la fortune comme romancier réaliste. Il épouse une Parisienne et fonde une famille. Il ne reviendra jamais vivre dans le Gard. Nous avons perdu l’un des échos de l’arène, tant pis !