LE CHEVAL DE CORRIDA - 4
Dimanche et lundi opaques .
Bonjour les cloches revenues ! (non, pas vous). Elles nous restituent un petit air de fête, et malgré le confinement, égayez-vous dans votre jardin - enclos serait mal venu - ou sur votre balcon pour les moins chanceux, à la recherche du Graal, les œufs, cocotes, lapins et autres fritures en chocolat.
Noël au balcon, Pâques à la maison.
Mais pour l’heure, ce sont bien nous, pauvres créatures, qui sommes "chocolat" !
Notre petite famille ne sera pas autour de nous, confinement oblige. Nous serons sans oeufs, pardon, sans eux.
Ressaisissons-nous. « Ne laissons jamais les ombres d’hier, obscurcir la lumière de demain ».
Joyeuses Pâques.
LE CHEVAL DE CORRIDA
4e partie : la transition et la déplorable condition du cheval.
Revenons un peu en arrière.
Une fois la noblesse retirée de l’arène, la corrida va entrer dans une période de transition durant laquelle, l’homme à pied et le cavalier vont se disputer la vedette face au toro.
Si le grand seigneur n’intervenait plus, apparaît alors, à cheval lui aussi, un personnage charnière dont le rôle est méconnu. C’est l’hidalgo, "hijo de algo", soit "fils de quelque chose". Cadet de petite noblesse, il a laissé titre et fortune à l’aîné et s’est engagé dans la carrière : le clergé ou l’armée. Plus qu’un cavalier rompu aux combats les plus durs, c’est un homme de cheval, qui, souvent, prête la main à son suzerain lorsque celui-ci le lui demande pour, par exemple déplacer ses troupeaux ou sélectionner ses toros.
Désœuvré dans une Espagne qui ne guerroie pas, l’arène va lui offrir le terrain naturel de conquête qui fait défaut à son rang. La présence des Grands auxquels il ne pouvait se mesurer le maintenait dans l’ombre. Eux retirés, il investit l’arène.
Et dans le courant du XVIIe siècle, la fête du taureau se déroulait comme suit : un rejoneador qui « rompt les lances au poignard », suivi du picador qui « combat à la pique d’arrêt », puis ceux-ci retirés, « les combattants à pied feront voir leur dextérité par plusieurs sortes de tours d’adresse qui amuseront le public ».
A cette époque, les picadors ne portent plus le prestigieux costume. Ceux qui combattent avec la lance en poignard sont habillés à la façon de la noblesse espagnole au siècle passé, en revanche, « celui de la pique d’arrêt » est simplement vêtu à la castillane ou à l’andalouse. C’était donc le mélange des tauromachies, la populaire et l’aristocratique.
Le picador ne tue plus, d’où la perte de sa popularité. La pique est reléguée au rang de suerte. L’alternative des picadors tombe, elle aussi, en désuétude et bientôt, les cartels font apparaître le nom des piqueros en retrait de ceux des maestros.
A cette perte de fonction, s’ajoute la piètre image de l’homme qui ne monte plus que des chevaux de réforme. Il n’a, à sa disposition que de véritables rosses, accablées par l’âge et le travail et que leur inutilité condamne à l’équarrissage. De là vient qu’il en périt un très grand nombre dans les courses. Manquant des forces et de l’agilité nécessaires pour soutenir la charge rude des taureaux, incapables même d’obéir au frein, ils ne se prêtent pas à une défense convenable ni aux mouvements nécessaires pour éviter des blessures mortelles ; mais le picador, qui les monte sans les connaître, doit être bon cavalier pour sortir sain et sauf du combat.
Et c’est ainsi le triomphe final du torero à pied sur le torero à cheval.
Dans sa conception du tercio de piques, Paquiro ordonne clairement aux picadors de protéger leurs montures mais il reconnaît que cela est peu aisé. Les chevaux paieront ainsi un lourd tribut à la corrida jusqu’en 1928.
Le cheval devient un "consommable" de la corrida, au service de la bravoure et pour le plaisir des aficionados. Sans protection, les chevaux sont livrés au toro. On achève d’un coup de puntilla dans le tronc cérébral, ceux que l’on ne parvient pas à remettre sur pied. Les autres sont poussés en avant, viscères pendantes jusqu’au sabot, pour être "opérés" dans le patio de caballos, avant de retourner en piste se faire achever par le prochain toro. Les fournisseurs sont payés à la pièce. De nombreux témoignages rapportent même que, s’il venait à manquer de chevaux, le fournisseur, pour éviter d’être pris à partie par la foule qui hurle, achète à la hâte, et au prix fort, ceux des fiacres qui circulent devant les arènes ; témoignages souvent démentis par certains.
Emmanuel Witz note : « J’en ai vu fréquemment qui étaient si maltraités que les boyaux leur traînaient par terre et que je croyais absolument perdus, qui néanmoins ont été parfaitement guéris et les ai vus quelques temps après combattre de nouveau. » Chose qui paraît étonnante au vétérinaire du XXIe siècle lorsque nous connaissons les taux de réussite des chirurgies digestives avec tous les moyens mis en œuvre de nos jours.
La bravoure du toro se mesure au nombre de chevaux tués et le public s’en délecte, moins sensible et avide de spectacle.
La mort du cheval n’émeut pas. Hemingway disait : « La raison fondamentale est peut-être que la mort du cheval tend à être comique, tandis que celle du taureau est tragique. » …
De plus, le massacre se masque derrière une vocation caritative puisqu’en 1785, notamment, les bénéfices tirés de la vente des queues de chevaux, dont on utilisait les crins, étaient reversés à l’association religieuse Cristo de los Traperos.
… à suivre
Gilbert Lamarque