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belles feuilles

LA MORT DU TAUREAU DE COMBAT DANS L’ARENE

Publié le par Cositas de toros

Aujourd’hui,une publication du Docteur Sophie MALAKIAN-VERNEUIL, parue dans une tribune du Midi-Libre le 09 août 2015.

Sophie MALAKIAN-VERNEUIL est vétérinaire, spécialisée dans la dentisterie équine et dans l’ostéopathie cognitive, elle a vécu dix-huit ans en Guadeloupe où elle a pratiqué la médecine et la chirurgie des animaux de compagnie, ainsi que des animaux de rente.

Revenue en France métropolitaine depuis quelques années, elle exerce dans l’Oise. « Mon expérience de vétérinaire m’a permis d’en apprendre beaucoup sur les animaux et leurs comportements. Ma passion pour les animaux depuis mon plus jeune âge m’a donné une vision non anthropomorphique de l’animal et sa psychologie, et une vision pragmatique de sa place dans notre société, ce qui ne m’a pas empêché de garder un grand amour et un grand respect pour la cause animale dont je reste une fervente et sincère défenseur ». Dans une tribune, Sophie MALAKIAN-VERNEUIL livre une lecture personnelle et originale de l’art tauromachique et de son principal acteur, le taureau de combat.

 

                                                                                                    Patrick SOUX

 

Arène

Il est entré. Noir. Lourd. Dangereux. Rapide. La force faite animal. Il court sans savoir vers quoi, vers qui. Un mouvement, dans le coin de son œil, lui indique que le danger vient de là, et il charge, brave, fait face. Une masse de muscles, des cornes, la bête est dangereuse. Cette force et cette agressivité en font un minotaure dont on pourrait croire un instant qu’il est invincible. Il s’arrête et tente de comprendre de quel danger il s’agit. Où ? Quoi ?

Dans son lexique des dangers, rien ne ressemble à ça. Mais dans sa bravoure, son instinct sait déjà qu’il va devoir combattre un ennemi inconnu jusque là. Une sorte d’animal très coloré, dont les ailes roses et jaunes virevoltent et l’agacent.  C’est sûr, c’est là qu’il faut frapper. Il baisse la tête, s’élance, les cornes prêtes à broyer du rose. Arrivé de l’autre côté, il sait qu’il a réussi, il l’a encorné ce volatile, il a senti son odeur, fait voler ses ailes. Il se retourne pour contempler sa proie. Que diable ! Pas de traces de sang, pas de signaux de détresse, pas de cri de souffrance ni d’agonie.

"Cet animal est vraiment surprenant ! "

Ne se laissant pas décourager par l’étrangeté de ce combat, la bête s’élance à nouveau, plus vite, plus déterminé à en finir avec cette chimère. Et encore, et encore. Chaque fois c’est le même scénario. Le taureau se rapproche, commence à connaître cette odeur. Un mélange de sueur animale et d’autre chose, inconnu ; mais au fil de ce corps à corps, il finit par reconnaître cette odeur là, celle qui le galvanise. L’odeur de la peur, l’odeur de la proie qui sent le danger. Plus rien n’existe autour, il n’entend plus rien du bruit de la foule qui réclame le sang, acclame la bravoure et se délecte de la violence. Plus rien d’autre que cette odeur, cet adversaire se résume à cette émotion, car c’est la seule chose qui lui soit familière ici: la peur.

Les charges se transforment en combat rapproché, mélange de sueur et de tissus qui le frôlent et volent, mais jamais rien au bout des cornes. La bête s’épuise à chercher la chair, mais à chaque fois elle ne trouve que du tissu. Dans ce monde inconnu, une seule certitude, une seule option : combattre, jusqu’à la mort.

Il est né avec cette connaissance. Il porte en lui toute la bravoure et la force de l’Andalousie, il est né pour combattre. Ses cornes pointues le prouvent, ses muscles saillants, le prouvent. Son ardeur au combat, fait partie de son existence. Il ne peut en être autrement. Ça fait maintenant de longues minutes que dure ce combat, les forces de l’animal commencent à baisser, et toujours pas une goutte de sang en face. La bête s’est arrêtée, essoufflée, elle sait que sa force ne suffira pas. Elle regarde encore cet adversaire qu’elle ne comprend pas. Il lui tourne le dos et s’en va en marchant, lentement, fièrement.

L’odeur familière a disparu, faisant place à une nouvelle odeur, inconnue : celle de la vanité. Et voilà qu’il revient, il lui fait face. Il a troqué ses ailes contre deux cornes pointues et orange qu’il brandit vers l’animal, signe que le combat doit reprendre. "Cette fois-ci je vais l’écrabouiller" se dit la bête en chargeant à nouveau l’homme. Mais au bout de sa course folle, il n’y plus de doute, l’adversaire est plus fort, toujours aussi impassible. La morsure des pointes plantées dans sa chair, en atteste. C’est le premier sang versé, avec son cortège d’adrénaline, qui lui donne la place de proie et non plus de prédateur.

Encore la poussière, encore la sueur, encore le sang rouge comme le tissu et la chaleur écrasante du soleil qui hier encore caressait son cuir. Soudain, dans cet enfer, un éclair de lumière. Dans une dernière tentative d’encorner son adversaire, la bête aperçu cet éclair du coin de l’œil, et c’est la fin.

Au fond de ses entrailles, l’éclair est venu se planter, le mal est rentré dans sa chair, et la déchiquète de l’intérieur. Son cœur qui bat la chamade vient s’y déchirer à chaque battement, à chaque mouvement. Un genou dans le sable, puis deux. La tête se repose enfin. Pendant que lentement l’esprit vaillant quitte ce monde, on découpe une oreille de cette carcasse, qui, il y a quelques minutes encore, était une bête pleine de vigueur et de force. Le public applaudit le courage du toréador, et célèbre la vaillance de ce taureau qui a combattu jusqu’au bout. Il quitte cette terre sous les applaudissements d’une foule venue observer cette brutale nature, et ce courage qu’elle n’a pas. L’existence de ce taureau qui prend fin sous nos yeux, nous donne une leçon. L’arène s’est transformée en théâtre de la vie. Ceux qui refusent de la voir ainsi, useront leur salive dans un inutile plaidoyer contre ce qu’ils nomment « la cruauté humaine », croyant défendre une cause qu’ils ne comprennent pas, une nature dont ils ignorent tout.

Dans ce monde où s’affrontent les idées, où les écolos combattent les aficionados, où ceux qui se prennent pour les défenseurs de la cause animale s’élèvent avec force contre ces pratiques et cette tradition, on oublie de regarder l’animal pour ce qu’il est.

Ces amoureux de la nature, ne regardent pas la nature elle-même, mais l’image qu’ils veulent en voir. Ils ne regardent pas l’animal, mais un prolongement d’eux même, imaginant que respecter un animal, c’est le traiter comme un être humain. Ils s’imaginent dans l’arène, comme au temps des gladiateurs, avec leur vision d’un monde sans violence, désarmés face à un adversaire redoutable. Le combat entre le taureau et le torero, ne se résume pas à une comparaison entre les armes, il ne se résume pas non plus à la justice, ou à la violence de la situation, ni même à l’utilité des traditions de notre monde. La sauvagerie est animale, le combat côtoie partout la vie animale.

La nature originale n’existe plus, elle se transforme à chaque instant, elle est la vie qui évolue. Dans ce monde où tout fini par être façonné par l’homme à son image, le mot "nature" devient un prétexte pour se donner bonne conscience. Nous avons perdu le sens de notre vie, trop occupés à chercher le confort, la reconnaissance, et l’immortalité. Le taureau de combat lui, est la nature à l’état brut. Il est programmé pour vivre, se reproduire, combattre, et mourir. C’est sa nature à lui, et sa vie y est conforme.

Combattre dans une arène  n’est certes pas "naturel", mais pour le taureau, cette mort là, aura plus de sens, que celle d’un taureau exécuté dans un abattoir ; même si la morale se satisfait d’avantage du côté aseptisé de la mort des animaux dans ces temples de la consommation alimentaire.

Aujourd’hui on mange de la viande comme n’importe quel autre aliment, pour son goût, pour ses qualités nutritives, pour ses habitudes. Mais il est fini le temps où l’on avalait l’animal chassé puis tué. Le temps où la viande n’était pas un aliment, mais un moyen de survie, un moyen de continuer à vivre.

Aujourd’hui on élève puis on abat, puis on déguste. Aucune mort n’a de sens. Nous sommes programmés pour manger de la viande mais nous nous sommes détournés de l’activité majeure de nos ancêtres : la survie. Nos prédateurs sont d’une nature différente. La société, ses stress, la course à l’argent comme seul garant de notre survie, ont fait de nous des êtres à contre courant de notre nature. Nous trouvons sans cesse des artefacts nous permettant de compenser les incohérences de nos vies. La notre telle qu’on se la représente, n’est plus de ce monde ci.

Combien de temps reste-t-il encore à ces taureaux de combat, témoins d’un temps où un morceau de viande voulait dire un morceau d’animal que l’on a tué, un temps où cela se calculait en temps de survie avant la prochaine chasse infructueuse. Messieurs les avocats de la défense des droits de l’animal, vous vous trompez de cause, d’accusés, et de procès.

Comment dénoncer l’existence des corridas, et accepter celle des abattoirs ? Votre quête a perdu tout sens, elle repose sur un point de vue intellectuel qui ignore la trivialité de votre propre existence. Tel un dictateur qui sait qu’il ne pourra convaincre la majorité et impose sa vision du monde par la force. S’il était en votre pouvoir d’imposer la végétarisme au monde entier, vous le feriez sans doute, ignorant que vous signeriez la disparition de toutes les espèces animales que l’homme consomme.

Pour que les taureaux de combat vivent, il faut tuer des taureaux de combat dans les arènes. Ainsi va la logique du monde. La mort de quelques centaines de taureaux courageux choisis pour affronter les toreros, assure la survie de milliers d’autre, élevés sur les terres et sous le soleil de l’Andalousie, et d’ailleurs. N’en déplaise aux militants de la cause animale, l’homme d’aujourd’hui est garant de la survie des animaux. La nature ne peut plus se suffire à elle-même, et ignorer le monde dans lequel elle vit. L’adaptation à l’environnement a depuis toujours fait évoluer les espèces. L’homme a toujours été un prédateur, et il l’est toujours. Il y a de nombreuses façons de tuer les animaux. Dans un abattoir, dans une arène, dans la forêt…et dans les tribunaux ! Car finalement, les plus grands assassins d’animaux ne seraient-ils pas ceux qui veulent empêcher qu’on les tue ?

Certains refusent de voir la partie de l’homme qui le pousse à chasser, à combattre et à tuer et prétendent que notre cerveau reptilien, siège de nos émotions primitives, n’a pas le droit de s’exprimer, alors qu’il conditionne notre survie.

Souhaitons que ce monde de traditions trouve sa place dans nos sociétés en pleine évolution, à l’image de notre indispensable cerveau reptilien qui coexiste avec le cerveau limbique et le cortex. Le combat de l’homme contre l’animal, est vieux comme l’humanité. Au même titre que le combat entre animaux dans la chaine alimentaire. Ce combat donne un sens à la vie des animaux dans leur environnement. L’homme, en tant qu’animal, n’échappe pas aux lois qui régissent ce règne, malgré ses capacités intellectuelles et émotionnelles. Empêchez le d’exprimer son animalité de prédateur, et vous en ferez un psychopathe qui s’en prendra à ses congénères à la place. Si l’on désire voir l’animal par sa nature, il faut également accepter de regarder l’homme sous ce côté là. Sur le sable de l’arène, ce sont donnés rendez-vous la nature et la civilisation, la trivialité et le raffinement, le passé et l’avenir.

La mort du taureau est finalement un hymne à la vie dans toutes ses contradictions.

 

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RETOUR AUX SOURCES

Publié le par Cositas de toros

En faisant des recherches bibliographiques pour argumenter un futur article à paraître sur ce blog, j’ai retrouvé un article fort intéressant que j'ai décidé de soumettre à votre réflexion.

Petite "piqûre de rappel", s'il en est besoin.

Il s'agit d'un article paru dans la revue TOROS N° 1221 du 26 février 1984.

ET PARLONS DU TORO

Le toro idéal...

 

     Un vétérinaire espagnol, le Docteur Pablo Paños Marti, vient de publier une étude sur le toro de lidia. Il énumère en particulier les 30 conditions qui font, d'après lui, le toro de bandera. Inutile de préciser, après lecture, qu'il y a peu de chance pour que vous n'en rencontriez jamais un, sinon au paradis des toros de lidia. Cette énumération a toutefois l'avantage de relever, pour les jeunes aficionados (et rappeler aux anciens), quelques règles concernant le toro et en particulier certaines des ses réactions qui échappent parfois à notre analyse.

 

A la sortie du toril :

          1. Le toro sortira avec alegria, sans réserve;

          2. Il ne passera pas la tête sur la barrière (barbeando);

          3. Il frappera dans les planches lorsqu'il sera appelé par les subalternes.

 

Devant le cheval :

           4. Il partira de loin, avec fijeza (en se concentrant sur l'objectif);

          5. A la rencontre avec la cavalerie, il baissera la tête, la mettant sous le cheval avec l'intention de le lever;

         6. Il ne ralentira pas sa charge en sentant le châtiment et, au contraire, il l'augmentera avec un regain d'énergie;

        7. Dans cet assaut, viendra un moment où il poussera avec les reins, son arrière-train se soulevant même dans un suprême effort pour vaincre;

          8. Il ne refusera en aucun cas le combat, sortant seul de la suerte;

        9. Il ne donnera pas de coups de tête dans le caparaçon faisant "sonner les étriers" en cherchant à faire sauter la pique;

         10. Il ira plusieurs fois au cheval, chaque fois qu'il sera mis en suerte et, dans cet ordre d'idée, il faudra tenir compte du nombre de fois qu'il ira au châtiment;

         11. Il accourra au cheval à "contre querencia", c'est à dire dans le terrain le plus éloigné de la porte du toril.

 

Au second tiers :

          12. Il ne se plaindra pas des banderilles, cherchant à les faire sauter;

          13. Il poursuivra le banderillero à la sortie de la paire.

 

Au dernier tiers :

          14. Il ne cherchera pas la querencia des planches, ni ne fuira le combat dans les medios;

 

Au long de la lidia :

          15. Il ne grattera pas le sol du ruedo;

          16. Il ne beuglera pas;

          17. Il ne ruera pas;

          18. Il gardera la bouche fermée, de la sortie des chiqueros jusqu'à l'arrastre.

 

La charge :

         19. Il chargera d'abord la tête haute pour, ensuite, la baisser au moment de prendre les leurres;

          20. Il chargera droit, sans couper le terrain, venant de loin;

          21. Il chargera avec temple, c'est à dire de manière cadencée, rythmée;

          22. Il le fera de plus avec promptitude et alegria, répondant avec rapidité au cite du torero;

          23. Il mettra de la noblesse à suivre les leurres avec fixité et clarté, sans faire d'écarts;

        24. Si les leurres sont maniés de manière correcte, il ne donnera pas de derotes (coup de tête à droite ou à gauche);

          25. Il chargera de manière répétitive, renouvelant l'attaque, "mangeant" les leurres;

          26. Il chargera en fin en maintenant ces caractéristiques tout au long de sa lidia, quoiqu'en tempérant son allure suivant le tiers, l'alegria ne pouvant être identique devant le cheval et au dernier tiers par perte de force, mais proportionnellement.

 

Le type zootechnique :

        27. Son physique sera harmonieux, réunissant les conditions de ce qu'on appelle "complexion athlétique", en incluant ce qui est relatif au pouvoir et à la force du toro;

          28. Il sera bien armé, avec des cornes correctement développées;

          29. Sa lignée sera toute d'une bravoure optimale, et sera notée au tentadero;

         30. Et finalement, il se maintiendra dans les caractéristiques distinctes de la caste à laquelle il correspond.

 

     Inutile de répéter que cette énumération reprend toutes les caractéristiques distinctives de la caste du toro de combat et que le trentième commandement n'est qu'un rappel de la définition de cette fameuse caste dans son acceptation de "race".

 

...

 

     Ainsi était décrit le toro idéal en 1984.

 

Nous savons tous que l'appréciation que nous portons sur "les choses" en général, et plus particulièrement sur les toros, est fondée sur une somme de valeurs qui nous sont très personnelles. Cependant, la prochaine fois que vous aurez la sensation de pouvoir sortir "le bleu" ou "l'orange", repensez simplement à ces trente commandements.

 

Patrick SOUX

 

 

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UNE BRAVOURE RECUPERABLE

Publié le par Cositas de toros

Publication parue dans la revue Toros N° 2053-54 du 28 juillet 2017 dans la rubrique CHRONIQUE DU TEMPS, sous la plume de Manolillo.

Il n’est plus contesté ni contestable que la bravoure du toro bravo n’est plus ce qu’elle était, la partie la plus visible du phénomène étant le manque chronique d’enthousiasme manifesté par le bovin dans sa rencontre avec l’équidé. L’aficionado, qui considère à juste titre la bravoure comme fondamentale, se désespère, isolé dans un environnement insensible à ce signe de décadence. Cela étant acté, qu’est-il possible de faire ? Existe-t-il une solution au problème, ou faut-il considérer la situation irrémédiablement compromise comme on le dit d’une activité commerciale au bord de la faillite ? Sans attendre la fin des sanfermines, dans un article paru le 7 juillet, jour symbolique de San Fermin, le docteur agronome Antonio PURROY, professeur à l’université publique de Navarre (UPNA) de Pamplona, tente de répondre à la question. Il apporte en tout cas, du haut de sa compétence technique, des éléments capitaux pour nourrir le débat.

Non, la situation actuelle du toro de combat n’est pas irrémédiablement compromise. Antonio PURROY est formel : "Beaucoup d’éleveurs actuels pourraient retrouver le chemin de la bravoure et de la noblesse "encastée" en peu de générations de leur élevage, parce qu’ils ont des connaissances suffisantes pour le faire. Il est plus facile de passer de la noblesse –plus ou moins "encastée"- à la bravoure, que le contraire. Prétendre maintenir seulement la noblesse est très difficile et peut dériver en sourde et dangereuse mansedumbre, comme on l’a vu dans suffisamment d’élevages".  Un plan de sauvetage est donc envisageable. La bravoure du toro n’est pas définitivement perdue. Ne serait-ce que parce qu’elle "se transmet de père en fils, plus rapidement que la noblesse, ayant un fort coefficient d’héritabilité".

De là, l’inévitable conflit, ou présumé tel, entre la bravoure et la noblesse, entre toristas présumés exclusivement attachés à la bravoure, tandis que les toreristas ne s’intéresseraient qu’à la noblesse. Ce sont moins les connaissances d’Antonio PURROY, que sa qualité d’aficionado, qui le conduit à répondre sans tomber dans le piège simpliste. Non les aficionados ne sont pas contre la noblesse du toro de lidia. Ils demandent "d’obtenir une  nouvelle dose de bravoure, sans pour autant perdre l’essence de la noblesse", permettant la récupération d’un toro qui n’aurait jamais dû perdre sa capacité "d’affronter les trois tiers équilibrés de la lidia." "Un toro brave doit défier le cheval, se grandir dans le châtiment, montrer son envie de charger ; ensuite réagir aux banderilles ; une fois arrivé à la muleta, il doit répéter la charge avec une noblesse "encastée", qui transmette l’émotion dans les tendidos, et qui exige être dominé par le torero pour ensuite créer de l’art avec émotion", écrit Antonio PURROY. On ne saurait dire juste mieux, et il est réconfortant de penser que, nonobstant les susceptibilités et les disputes, les moyens techniques d’y parvenir existent encore.

On s’en doutait un peu, on l’avait deviné au-delà des polémiques : ce n’est pas le défaut de moyens qui empêche le retour de la bravoure du toro de combat, plutôt les sensibilités. De plusieurs ordres. La sensibilité du public qui a changée avec le temps. La sensibilité des éleveurs, des taurins, qui cherchent à s’adapter. A n’importe quel prix. Avec raison, Antonio PURROY pointe la responsabilité collective du monde taurin, et donc celle des aficionados et des médias taurins, dans "l’éducation erronée du public", aboutissant à la désaffection du  tercio de varas  et à la création d’un art sans émotion. Il écrit : "Les responsables d’éduquer le grand public dans la bonne direction sont les aficionados, étant donné que, sauf rares exceptions, il y a peu à attendre des médias généralistes". A condition, comme on l’a vu, que la zizanie ne règne pas à l’intérieur. Il est certain que si ce n’est pas l’ensemble des aficionados, toutes chapelles confondues, qui réclament "un toro véritablement brave, avec une noblesse "encastée" générant émotion et beauté durant la lidia" puisque c’est possible, aucun changement ne se produira.

Et les éleveurs, les fabricants de toros dans tout ça, que pensent-ils, que font-ils ? Doit-on faire leur procès ? Peut-être. Soumis à une obligation de plus en plus pressante de rentabilité, ils se sont inclinés, outre l’éducation erronée du public, devant "l' affairisme taurin", avec au premier rang l’exigence des toreros. Lucide, Antonio PURROY ne demande pas que l’on raye d’un trait de plume l’encaste Domecq "qui inonde tous les coins de l’élevage brave espagnol", "une démarche difficile, voire impossible", mais que l’on demande, exige des éleveurs propriétaires de cet encaste dans ses différentes variantes,  "qu’ils reviennent sur le chemin de la bravoure, afin de récupérer une bravoure intégrale qui n’aurait jamais dû se perdre", leur responsabilité étant particulièrement grande dans l’avenir de la Tauromachie . A l’occasion des pèlerinages au campo qu’ils affectionnent tant, il est de celle des aficionados, entre deux tapas, de le leur rappeler fermement. Puisque c’est possible.

Restituer la bravoure au toro bravo paraît être la moindre des choses.

...

CQFD

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NE METTEZ PAS A MORT LA CORRIDA

Publié le par Cositas de toros

Publication de Francis Wolff

Né en 1950 à Ivry-sur-Seine Francis WOLFF est un philosophe français. Il est professeur émérite à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Paris.Spécialiste de philosophie antique, membre du centre Léon-Robin, il a publié des travaux sur la sophistique, sur Socrate et le socratisme, sur Platon, sur l’épicurisme et surtout sur Aristote.

Aficionado reconnu, il a également publié sur le thème de la corrida :

- Codirection (avec P.CORDOBA) de "Éthique et esthétique de la corrida" numéro spécial Critique, éd.Minuit, 723724, août-septembre 2007.

- 50 raisons de défendre la corrida, éditions Mille et une nuits, coll. "les petits libres", n°74, Paris, 2010, 103p. (ISBN 9782-7555-0576-4)

- Philosophie de la corrida, éditions Fayard, coll. "Histoire de la pensée",2007, reed.avec une préface inédite, Hachette Pluriel, 2011.

- L’appel de Séville. Discours de philosophie taurine à l’usage de tous, éd Au Diable Vauvert, 2011.

 

...

Il a suffi qu’une vidéo anti corrida sponsorisée par le chanteur Renaud soit interdite par le BVP et qu’une soixantaine de militants abolitionnistes (chiffre des organisateurs) manifestent pendant la récente feria de Dax, où les cinq corridas se déroulaient à guichets fermés, pour que Libération, après d’autres, en fasse «l’événement» de l’été. Soit. Qu’on n’aime pas la corrida, qu’on préfère une vie de porc à celle du taureau de combat (toro bravo) et la mort d’un bœuf dans le silence des abattoirs à celle d’un taureau dans la lumière d’un dernier combat, c’est le droit de chacun. Mais qu’on ose qualifier de "torture" le périlleux face-à-face de l’arène, c’est une insulte à tous les suppliciés de la terre. C’est aussi un piètre service rendu aux défenseurs de la condition animale qui luttent contre certaines formes d’expérimentation menées sur des bêtes impuissantes. C’est enfin une pierre dans le jardin des écologistes : car il faudrait bientôt, si l’on écoutait les abolitionnistes, compter les taureaux de combat au nombre des espèces menacées et remplacer les vastes territoires où ils grandissent, sauvages et insoumis, par des usines d’élevage industriel. Qu’il faille s’indigner de la marchandisation du vivant, lutter pour une amélioration des conditions de vie, de transport et d’abattage de certaines espèces, on en conviendra aisément : aucun animal n’est une chose. Mais si la corrida devait être un jour interdite là où elle est aujourd’hui autorisée, ce serait bien sûr une perte culturelle pour toutes ces régions de France - et du monde - qui en ont fait une part déterminante de leur humanité ; ce serait aussi une perte esthétique (qu’on songe seulement à tous ces artistes, écrivains, penseurs qui, en deux siècles d’existence de la corrida, y ont puisé une part essentielle de leur inspiration), mais ce serait peut-être surtout une perte morale. Doublement : une dimension essentielle de "l’être-homme" et de "l’être-animal" disparaîtraient avec la corrida. L’interdire, ce serait non seulement condamner à l’extinction immédiate l’espèce animale qui en est le protagoniste, ce serait aussi priver les hommes de la forme la plus universelle de tauromachie - qui est elle-même une constante anthropologique. Ce serait enfin céder à un dangereux appauvrissement du raisonnement moral : réduction de toutes les espèces animales à l’"animal", réduction de l’animal à la victime (et de l’homme au bourreau), réduction de l’animalité à sa disneylandisation, réduction de la "nature" au règne de l’harmonie des peuples et de la tranquillité bourgeoise, réduction des sentiments moraux à la pitié, réduction de la valeur de la vie pour le vivant à l’absence de douleur, assimilation de la douleur de l’animal, essentielle à sa survie, à la souffrance humaine et au mal absolu dans la nature. Et pourtant, oui, nous avons des devoirs vis-à-vis des espèces animales, et d’abord celui de ne pas les confondre sous un nom cache-misère d’animal, qui ne fait qu’entretenir la confusion : qui voudrait traiter son chien comme la vipère, qui voudrait qu’on réserve aux dauphins le sort promis aux criquets pèlerins qui ravagent les récoltes africaines, qui voudrait qu’on traite les taureaux de combat comme les paisibles ruminants qui peuplent nos campagnes ? Mais nous avons aussi bien d’autres devoirs vis-à-vis des animaux, et la corrida, loin de les transgresser, en est la démonstration par excellence. Le premier est de les respecter comme l’"autre" de l’homme mais non comme son semblable. La corrida montre le toro comme un être qu’on honore en le combattant et non comme un être qu’on avilit en l’abattant ; mais en même temps elle ne traite pas le toro en égal de l’homme, et c’est pourquoi celui-ci doit en triompher - à condition d’avoir le courage et l’intelligence d’en affronter la redoutable puissance. Un autre devoir que nous avons vis-à-vis des animaux est de respecter leur nature propre : considérer le chat comme un animal affectueux, le chien comme un compagnon fidèle, et le toro bravo comme un être- bravo, c’est-à-dire comme un être qui doit vivre librement et mourir en combattant, parce qu’il est naturellement agressif et indomptable. L’éthique à laquelle répond la mort du toro bravo se résume donc à la formule : "mieux vaut mourir en combattant que de ­vivre à genoux". C’est la formule de la bravura - celle du toro donc, même si c’est aussi celle que le ­torero doit, d’une certaine façon, faire ­sienne pour avoir le droit de l’affronter. Le troisième devoir est de respecter les relations affectives et contractuelles que l’homme a vis-à-vis des différentes espèces. Lorsqu’il n’y en a pas (dans le cas des espèces "sauvages"), nous avons un devoir de protection des espèces menacées, dans le respect des équilibres écologiques. Lorsqu’il y en a (dans le cas des espèces "domestiques"), nous devons respecter loyalement ces rapports, par exemple respecter dans le chien le "meilleur ami de l’homme" ou dans le mouton la relation d’échange, pâturage contre laine, nourriture aujourd’hui contre nourriture demain. L’espèce "taureau de combat" n’est ni domestique ni sauvage, mais entretenu dans une sorte d’"hostilité familière". Ni ami puisqu’on le combat ni ennemi puisque l’homme se mesure à lui : c’est l’adversaire. Cette ambiguïté de la personnalité du toro bravo pour l’homme (à la fois son meilleur ami et son meilleur ennemi) révèle le double sens de l’éthique de la corrida : d’un côté lutte tragique avec l’antagoniste, d’un autre côté duel ludique avec le partenaire. Car enfin, les autoproclamés défenseurs des animaux compatissent peut-être aux souffrances de certains, mais aiment-ils vraiment ce que sont les animaux, ce qu’ils font, ce qu’ils incarnent ? Qui aime les chiens sait qu’ils n’"aiment" pas la liberté individuelle, au sens humain du terme, mais l’obéissance à un maître. Qui aime les taureaux de combat sait qu’ils n’"aiment" guère qu’on les cajole comme des bêtes de compagnie ; il sait aussi que, plus encore que d’autres espèces "sauvages", le pire mal pour eux est le stress lié à la contention ou à la menace, plus que la "douleur", qui est anesthésiée par le combat et transformée en combativité : le soldat - ou le torero ! - "oublie" ses blessures dans l’ardeur de la bataille, elles sont absorbées par l’action et transformées en actes. Et puisque, défenseurs ou adversaires de la corrida, il faut forcément que nous puisions notre argumentation dans notre identification au taureau, faisons en commun cette expérience de pensée. Que préférons-nous ? Une vie enchaînée de boeuf de labour qui s’achève passivement à l’abattoir ou une vie libre de taureau qui se prolonge en vingt minutes de combat vaillant ? Peut-être hésitez-vous ... Mais alors, si seulement vous hésitez, ne jetez pas l’opprobre sur ceux qui préfèrent la vie, le combat et la mort du toro bravo, ceux qui pensent qu’il a un des sorts les plus enviables de toutes les espèces animales que l’homme s’est appropriées pour servir ses fins et qui peuplent son imagination. Ne mettez pas à mort la corrida et les taureaux de combat, respectez ceux qui les aiment.

Francis Wolff

 

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