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hephemeride

Sommeil paradoxal ?

Publié le par Cositas de toros

 

 

Rainer Maria Rilke, acrylique d'après photo de Frédéric Reverte (2018)

         

              Le grand poète Rainer Maria Rilke, né à Prague en Bohème le 4 décembre 1875, a écrit en 1907, un troublant poème intitulé Corrida, alors qu’à cette époque, il n’avait jamais vu un tel spectacle. Il ne franchira les Pyrénées que quelques années plus tard.

Ce poème décrit la lutte et l’union du torero avec le toro où l’on voit celui-ci comme fasciné par l’homme. Il a dédié ces vers à Francisco Montes "Paquiro" né à Chiclana plus de cent ans auparavant, en janvier 1805 qui meurt dans la misère le 4 avril 1851. Rilke a composé ce poème, résultante d’un rêve éveillé après, certainement, les lectures des souvenirs de certains écrivains. Le poète n’était peut être pas partisan de la corrida, il est même dit qu’il n’aurait jamais assisté à ce spectacle. Par contre, lors d’un voyage à travers l’Espagne, Rainer Maria Rilke s’est arrêté à Ronda à la mi-décembre 1912 et y resta beaucoup plus longtemps que prévu. Il ne repartit que le 19 février 1913. Il passa donc tout un hiver dans le sud de l’Andalousie. Très prolifique, de nombreux poèmes y ont été écrits.

 

Corrida

     In memoriam. Montes 1830

 

Depuis qu’il s’est, presque petit, hors du toril,

précipité, l’œil et l’oreille effarouchés,

considérant les fantaisies du picador

et les crochets des banderilles comme un jeu,

 

sa forme a pris, tempétueuse, de l’ampleur

- regarde : devenue une masse amassée,

énorme, résultant de vieille haine noire,

et la tête, compacte, est un poing qui se serre,

 

qui ne veut plus jouer contre n’importe qui,

non : redressant les dards qui saignent sur sa nuque,

derrière le baisser de ses cornes, sachant

de toute éternité devoir charger celui-ci

 

qui dans son habit d’or, de rose mauve soie,

tout à coup se retourne et, comme il le ferait

d’abeilles en essaim, comme s’il eût pitié,

laisse aller sous son bras l’animal éperdu

 

qui y passe, - pendant que ses regards, brûlants,

s’élèvent derechef, légèrement obliques,

comme si au-dehors se déposait ce cercle

que leur éclat compose et leur obscurité

avec chacun des battements de ses paupières,

 

avant qu’imperturbable et sans rien d’une haine,

à lui-même appuyé, placide, nonchalant,

parmi la houle forte et venant de nouveau

s’enrouler au-dessus de la vaine poussée,

il plonge son épée, avec presque douceur.

 

     Lettres à un jeune poète d’où est issu ces vers est un recueil publié pour la première fois en 1929, un peu moins de trois ans après sa mort, recueil riche de lumineuses leçons de vie.

Il meurt après une vie de voyages et de nombreux séjours parisiens, en Suisse à Montreux, où il soignait une leucémie, le 29 décembre 1926.

 

Francisco Montes "Paquiro"

     Rilke a probablement lu Théophile Gautier qui trouvait Paquiro « souple » et qui écrivait « seuls ses yeux semblaient vivre dans son masque impassible ». Gautier, dès 1840, eut l’occasion d’assister à des corridas à Madrid puis Malaga. Et il se souviendra surtout des prestations de Francisco Montes "Paquiro". Ses premiers textes taurins parurent en 1843 et en 1845, ils prirent leur titre définitif : Voyage en Espagne (après Tra los montes).

     Prosper Mérimée, lui, dit : « Tous les toros lui sont bons. Il les fascine, il les transforme et il les tue quand et comme il veut ». Il découvrait la tauromachie à Madrid en 1830 et écrivit Les courses de toros. Grand amoureux de l’Espagne, l’auteur de Carmen explique dans ses lettres écrites entre 1830 et 1840, divers aspects de la vie espagnole ; outre les corridas, nous trouvons : les femmes, la peinture, les métiers, les sorcières,…

 

     Rilke écrivait : « Au fond, le seul courage qui nous est demandé est de faire face à l’étrange, au merveilleux, à l’inexplicable que nous rencontrons ».

     Pour le poète, la tauromachie qu’il "rêva", lui, né sur les bords de la Vltava, portait quelques caractères relevant de l’étrange, de l’inexplicable. Était-ce vraiment un "rêve éveillé", le fameux sommeil paradoxal ?

                                                                    Gilbert Lamarque

 

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"Le Sévillan au coeur castillan"

Publié le par Cositas de toros

   

     

                C’est ainsi que le qualifiait Claude Popelin. Diego Puerta Diánez, enfant du quartier sévillan de San Bernardo où il naquit en 1941, apporta à la tauromachie des après-midi rayonnantes. Son père était responsable de l’abattoir. Il fait ses débuts à Aracena (Huelva) le 16 septembre 1955, il a 14 ans avec à l’affiche, Riañito et Jarrillo. Le 7 octobre 1956, il débute avec picadors aux arènes de Vistalegre à Madrid devant des novillos de Bernaldo de Quirós (5) et de Santiago Pelayo (1). Il reçoit sa première cornada le 8 septembre 1957 à…  Marseille – de 1770 à 1962, sans jamais égaler Nîmes ou Arles, Marseille a comptabilisé 18 arènes fixes ou démontables jusqu’à la dernière corrida le 1er juillet 1962. L’arène emblématique fut celle du Rond-Point du Prado (1887-1950) où le matador barcelonais Pedrucho II meurt à 28 ans d’une corne en plein cœur.
     Il est le diestro qui a reçu le plus de coups de corne durant sa carrière, cinquante-huit exactement ! 
     Il se présente à Las Ventas, le 28 mai 1958, "lidiant" du bétail de Sánchez Fabrès et coupe une oreille de chacun de ses novillos, accompagné d’Emilio Redondo et Miguel Mateo "Miguelín".  
Après 56 novilladas, il prend l’alternative à la Feria de San Miguel à Séville le 29 septembre 1958. Luis Miguel Dominguín lui confère avec le toro "Zambombero" de Ricardo Arellano en présence de Gregorio Sánchez. Cette année-là, il a déjà subi deux cornadas, le 22 mai à Saragosse et le 7 septembre à Séville.
     Lors de la temporada 1959 (28 paseos), il subit encore trois sérieuses blessures : la première le 12 avril à Barcelone dans l’aine droite, la deuxième, le 2 août à La Corogne, où un toro de Fermín Bohórquez l’atteint une nouvelle fois dans l’aine. Mais le coup le plus grave, il le reçoit à Vistalegre (Bilbao), touché au foie par un bicho de Salvador Guardiola. 
     En 1960, le 20 mai, il fait sa présentation à Madrid à la San Isidro, toro "Malagueño" de Bernabé Fernández. Après une vuelta, il y coupe ses deux premiers trophées, toro "Voluntito". Deux nouvelles blessures lui sont infligées le 8 et le 29 mai à Barcelone, puis le 25 juillet à Tudela, toro de Francisco Galache et enfin à la Feria de Murcie, le 8 septembre, bicho de Pablo Romero.
     En 1961, il participe à 73 corridas et est blessé à trois reprises. En 1962, avec 79 corridas, il est premier de l’escalafón avec Jaime Ostos. Cette année encore, il n’est pas épargné par les mésaventures. Blessé au scrotum à Barcelone, puis deux semaines plus tard à Saint-Sébastien. Il s’enferme avec six toros d’Antonio Pérez de San Fernando à la Feria de San Lucas à Jaén.
     En 1963, Il acquiert le bétail de Sancho Dávila. Il ajoutera 71 corridas mais le 21 avril, à la Monumental de Barcelone, un toro d’Alipio Pérez Tabernero Sanchón lui inflige une cornada très grave dans la fosse iliaque pénétrant l’abdomen provocant quatre perforations intestinales. Santiago Martín "El Viti" et Paco Camino en furent les témoins.
     En 1964, 71 paseos de nouveau puis en 1965, 63, où il triomphe le 29 août à El Puerto de Santa María en coupant quatre oreilles et une queue aux toros de José Benitez Cubero. Le 10 septembre, il est blessé à la cuisse gauche dans les arènes d’Albacete.
     Le 10 avril 1966, il remporte un beau succès à Barcelone en s’attribuant les deux oreilles de "Nueve Cosechas" du Conde de la Corte. À l’été de la même année, il est nommé président du Montepío de Toreros (caisse de secours des toreros). Il termine avec 71 paseos, subissant trois autres blessures, le 25 juillet à Santander, le 15 août à Tolède et le 23 septembre à Talavera de la Reina. 

 

© archives Hoy


     En 1967, il défilera en 69 occasions, 73, l’année suivante où il triomphe à la Feria de Grenade, le 13 juin, coupant quatre oreilles et une queue, bétail du Conde de la Corte, en compagnie de César Girón et Sebastián Palomo Linares.
     Le chiffre de l’année 1969 n’est que de 58, la faute à une grave blessure, le 7 septembre à la Feria de Murcie, un toro de Fermín Bohórquez lui inflige un coup dans la région rectale à la mise à mort. Les oreilles et la queue lui sont amenées à l’infirmerie.
     En 1970, il ajoute 68 corridas à son palmarès. À la San Isidro, il coupe trois oreilles, le 23 mai à deux toros d’Atanasio Fernández devant El Cordobès et Rafael Torres. En 1971, il combat 59 corridas et en 1972, 46, subissant deux blessures graves. La première à Jerez de la Frontera, le 6 mai avec un toro de J.P. Domecq, à la cuisse droite, et le 12 octobre à la Feria du Pilar (Saragosse), un toro du Conde de Mayalde, à la cuisse gauche.
     Au cours de la saison 1973, il termine avec 55 paseos malgré deux autres blessures reçues à Castellón le 14 juin et à la Feria d’Albacete.
     Arrive sa dernière temporada, 1974, au cours de laquelle il participera à 42 corridas et prendra l’ultime coup de corne dans les arènes de Saragosse le 9 octobre, d’un toro de Carlos Urquijo, à l’affiche avec Paco Alcalde et Paquirri. Trois jours plus tard seulement, il réapparaît avec les points encore frais dans la Maestranza pour un mano a mano avec son ami, compagnon de toujours et des grands après-midi, Paco Camino. Six toros de Carlos Urquijo auxquels il coupera les oreilles du dernier. Cette année-là après 16 temporadas, c’est la retraite à 33 ans.
     Le Sévillan a franchi à huit reprises la grande porte de Madrid. Il a participé à onze ferias de la San Isidro, il aura manqué : 1969, 1972, 1973 et 1974.
     Il fit neuf fois le paseo à Mont-de-Marsan, tout comme Dominguín et El Cordobés, et coupa 14 oreilles. Il y débuta le 19 juillet 1960. Je le vis pour l’unique fois, lors de sa dernière participation au Plumaçon, le 24 juillet 1973 avec Ruiz Miguel, présent pour la première fois et El Niño de la Capea, toros de Buendia ; il pleuvait.

 

© G. Lamarque mars 2015


     Il se consacre par la suite à son rôle d’éleveur. Il possédait deux fers : celui de Diego Puerta et celui de La Resnera, anciennement Puerta Hermanos. La finca "La Resnera Alta" se situe à Castiblanco de los Arroyos (Séville) sur 1 100 hectares.

 

Diego Puerta © G. Lamarque
La Resnera © G. Lamarque


   

 

 

 

 

 

   

 

 

     

 

     Il élimina toutes les vaches du bétail acheté en 1963, acquérant en 1975, une partie du cheptel de Juan Pedro Domecq y Díez. Du pur Domecq bien éloigné des "encastes" combattus par le Maestro.

Dolores © G. Lamarque

     Sa fille, Dolores, est au commande aujourd’hui avec son frère Pedro : d’un côté, les Juan Pedro, les toros du fer Diego Puerta, et de l’autre, les Salvador Domecq marqués La Resnera. Pas d’apport extérieur, les sementales sont issus de la ganaderia. Ce sont les toros que Diego Puerta aimait : ceux du Conte de la Corte, les J.P.D. originaux, issus du sang des "tamarones" du Comte – la marquise de Tamarón à l’origine de l’élevage en 1912.

 

© G. Lamarque
© G. Lamarque


     

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

"Peleón" (à droite), lidié et indulté par Emilio Muñoz à Villacarillo, le 15/09/1994. © G. Lamarque

     

     L’élevage des bravos, avec noblesse et transmission, l’autre passion de Diego Puerta transmise à ses enfants.

 

© G. Lamarque


      "Diego Valor" mourut à Séville, il y a 10 ans, le 30 novembre 2011, il avait 70 ans.

                                                                Gilbert Lamarque

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Une vache pour l'éternité

Publié le par Cositas de toros

 

 

            La mort d’Antonio Bienvenida, le torero au sourire éternel, fait partie de l’imaginaire populaire et sentimental de toute une génération sous le choc provoqué par la disparition tragique du torero, le 7 octobre 1975, il y a 46 ans, après avoir été pris trois jours plus tôt par une jeune vache lors d’un tentadero dans la finca d’Amelia Pérez Tabernero à El Escorial.

Quand il décéda, Antonio Mejías Jiménez "Bienvenida" avait quitté la profession depuis un an. Son frère, Ángel Luis avait reçu le "brindis" du dernier toro qu’il avait tué en habit de lumières, le 5 octobre 1974 sur l’ancienne plaza de Vista Alegre à Carabanchel après avoir alterné avec Curro Romero et Antoñete.

 

     Antonio n’avait pas interrompu l’activité tauromachique et il continuait à porter le traje corto participant à des festivals caritatifs. Son dernier eut lieu dans la ville du Campo Charro, Tamames de la Sierra, le 30 septembre 1975.

Quelques jours plus tard, le 4 octobre, c’était l’anniversaire de la mort de son père, le mythique Papa Negro, et Antonio avait assisté avec une partie de sa famille à la messe organisée par la Confrérie de San Roque dans la ville madrilène de Colmenar de Oreja, qui tissait des liens étroits depuis que les frères Bienvenida, avec leur père en tête, ont accepté de participer aux différents festivals pour payer la reconstruction de l’ermitage du saint, dévasté pendant la guerre civile.

À midi, une visite champêtre allait être organisée dans laquelle se présentèrent Antonio, son frère Ángel Luis et leurs familles et aussi le jeune Miguel Mejías, le dernier des Bienvenida qui s’habillera de lumières au milieu des années 80 sans pouvoir prendre l’alternative.

La destination était les champs de l’Escurial. Certaines becerras avaient été enfermées dans la ferme Puerta Verde, propriété d’Amelia Pérez Tabernero. Antonio avait combattu, sans encombres, une vache nommée "Conocida", d’excellente reata.

Miguel et Álvaro, autre neveu du maestro, ont participé à la fin du tentadero et l’animal quitta la placita par la porte vers les champs. Une autre vache attendait dans les corrales servant à Antonio à l’apprentissage de son neveu Miguel, avant de la laisser partir.

L’ouverture de la porte était gérée par Ángel Luis qui n’avait pas remarqué que "Conocida" était restée accroupie à côté du mur. Sans que personne ne s’y attende, l’animal fit irruption dans le ruedo. Antonio, de dos, n’a pas pu esquiver l’assaut violent et inattendu, le renversant de façon dramatique.

Le maestro était retombé sur les vertèbres cervicales mais personne ne pensa à un accident fatal. Transporté à la finca, il a eu froid dans l’automne chaud de la montagne, enveloppé dans des couvertures. Une ambulance attendait.

La victime a été admise à Madrid, à l’hôpital La Paz. Les espoirs ont été complètement anéantis le lendemain. Antonio Bienvenida avait été plongé dans un coma profond qui ne se résoudra qu’avec la mort au coucher du soleil, le 7 octobre.

     Il sera enterré, accompagné par une foule immense, le cercueil recouvert d’une cape de soie écarlate et de broderies d’or.

Cette mort secoua l’Espagne taurine, comme neuf ans plus tard, la tragédie de la disparition de Paquirri à Pozoblanco.

                                                                  Gilbert Lamarque

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De la vache laitière au toro bravo

Publié le par Cositas de toros

                 Dámaso González

 

            Dámaso González Carrasco, décédé le samedi 26 août 2017, voici 4 ans, était l’une des grandes figuras de la tauromachie des années 1970/80 avec Manzanares, Paquirri et El Niño de la Capea.

 

1994

 

     Albacete s’est réveillé ce samedi 26 août sous la rumeur qui, bientôt, est devenue une bien triste nouvelle : Dámaso est mort. Dámaso avait 68 ans, González Carrasco avait consacré sa vie au toro. C’était EL TORERO, au singulier et en majuscules, de la capitale de la Mancha.

Un cancer des os rapide l’a emporté. Le jour même de sa mort, la sculpture que Pedro Requejo avait réalisée pour lui devant les arènes "La Chata" était remplie de fleurs en hommage à l’un des siens.

     Dámaso est né le 11 septembre 1948 en pleine Feria de la Virgen de los Llanos, dont il a combattu de nombreuses tardes – 87 fois lors de la Feria –, et quitte cette terre moins de deux semaines avant la célébration du centenaire de la plaza lors de la prochaine feria.*

Il a porté son premier costume de lumières le 27 août 1966 et il a combattu en public pour la dernière fois à Albacete, le 16 septembre 2003. En octobre 2011, il torée, alors spectateur durant un festival au profit de la famille du subalterne Manuel Montoya.

Durant sa vie de torero, celui qui fut connu au tout début sous le nom d’El Lechero, issu d’une famille éleveuse de vaches laitières – il travaillait dans la laiterie familiale –, n’a cessé de se battre pour que la course caritative d’Asprona et le festival de Cotolengo soient une réalité.

     Dans la chronique de sa confirmation d’alternative, le 14 mai 1970, Antonio Díaz-Cañabate le jugeait ainsi : « Le sixième est un toro de Galache, réservé et tardo. Vous devez le combattre. Dámaso s’expose avec courage, mêlé de courage. Le courage triomphe et le torero emmène le toro où il ne veut pas aller. »

 

     En 1969, après avoir réussi à Barcelone et à Madrid, il prend l’alternative à Alicante des mains de Miguelín, Paquirri étant le témoin. Il confirme l’année suivante, le 14 mai. Les graves coups qu’il a subis à Almansa, Castellón et Málaga, ne l’ont pas empêché de gravir les échelons. Il est sorti a hombros de Las Ventas en 1979 et 1981. Il a pris sa retraite, pour la première fois, à Valladolid, le 20 septembre 1988. L’insistance de son compatriote Manuel Caballero le fait revenir dans les ruedos pour lui donner l’alternative à Nîmes, le 20 septembre 1991. Encouragé par le succès, il repart au combat.

 

     En 1993, il gracie à Valence, le toro "Gitanito" de Torrestrella ; à Tarazona de la Mancha, "Pestillito" de Samuel Flores.

     En son temps, l’écrivain Fernando Claramunt a écrit qu’en 1956, il y avait un torero à Albacete pour 286 habitants. Tous, sans aucun doute, regardaient la calle de la Feria et rêvaient de combattre un jour dans "La Chata", les arènes de la capitale de la Mancha, plaza centenaire en cette année 2017. Seuls certains l’ont fait, bien sûr. Dans les années 50, les aficionados étaient divisés entre les locaux Juan Montero et Pedro Martínez "Pedrés", ce dernier avec une carrière plus longue. Mais la grande idole sera Dámaso González détenant le record à "La Chata" avec 102 paseos (données par le magazine 6Toros6) suivi de Manuel Caballero avec 51.

Albacete © Manuel Podio

     Malgré son courage, il n’avait pas la faveur de la foule comme il l’aurait méritée, public d’Albacete mis à part. Petit, visage souffreteux, il n’avait rien de comparable physiquement avec L.M. Domínguin ! Avec la gueule et la plastique du "número uno", il aurait été adulé par tous les aficionados de toutes régions, lui, le courageux, le dominateur, venant à bout des tíos, toujours sur le fil de la corne, la muleta en balancier et dans un mouchoir de poche, et jamais vulgaire comme certains le prétendirent. Ojeda ou Tomás n’ont rien inventé !

     Dámaso débuta à Mont-de-Marsan le 19 juillet 1970 combattant des Cuadri et fit 13 fois le paseo, coupant 13 oreilles ; dernière apparition, le 20 juillet 1993 lors d’une corrida-concours : Murube et Cebada Gago. Triomphateur de la Madeleine 86, deux pavillons à son second Miura.

     À Bilbao, il défila à 29 occasions tout comme Rafael Gómez "El Gallo". La première fois, le 23 août 1969 accompagné d’El Viti et Paco Camino ; despedida dans les arènes de Vista Alegre, le 18 août 1993, toros de Baltasar Ibán.

     Il a combattu plus de 1 200 toros tels que Miura, Victorino Martín, Pablo Romero, Guardiola, Cuadri, Nuñez, Torrestrella, Jandilla ou Atanasio, Buendia Murteira Grave…

 

     Le 15 septembre 2015, sa statue a été inaugurée devant la plaza de su tierra.

     Il a reçu, à titre posthume, la Médaille d’or du Mérite des Beaux-Arts 2017. C’est bien trop souvent que les médaillés de tout poil reçoivent la décoration postmortem… Ils doivent pourtant en avoir besoin pour s’acquitter du droit de passage sur le Styx, Charon veille au grain !

 

* La plaza, propriété municipale, a été construite à l’initiative du maire, Francisco Fontecha. En 1916, il considérait que l’ancienne arène inaugurée en 1829 réclamait un remplacement. À cet effet, une société anonyme a été créée pour la construction et l’exploitation du nouveau ruedo, sur le terrain de l’ancien. Les travaux débutent le 17 février et moins de neuf mois plus tard, le 9 septembre, "La Chata" est inaugurée. À l’affiche, des toros de Fernando Villalón pour le Mexicain Rodolfo Gaona, Joselito "El Gallo" et Saleri II. El Gallo, grande figure de l’époque avec Juan Belmonte, a coupé les deux premières oreilles.

     La plaza est considérée d'architecture de type mudéjar, classée en 2e catégorie, hébergeant 10 000 spectateurs.

                                                                Gilbert Lamarque

 

 

                                                              

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Au plus que parfait de l'objectif* : Francisco Cano

Publié le par Cositas de toros

 

                   Paco Cano "Canito", né Francisco Cano Lorenza le 18 décembre 1912 à Alicante, nous surprit par sa disparition, le 27 juillet 2016 à Llíria (Valence), tant nous l’avions cru éternel. Il n’avait que 103 ans !

     Le temps semblait s’être arrêté sur ce petit bonhomme à l’éternelle casquette blanche vissée sur le chef. Combien fit-il de photos ? Il sortit – cela semble crédible – plus de deux millions de photos qu’il développait lui-même, roi resté longtemps fidèle à l’argentique, photos d’Espagne, de France et d’Amérique du Sud. Photos publiées dans El Ruedo, ABC, Dígame, Aplausos ou la revue nîmoise Toros. Il disait : «  Si je ne fais pas de photo, je meurs ». Il a dû oublier, le 27 juillet 2016, d’appuyer sur le déclencheur, la mémoire nous joue des tours, parfois.

 

Bilbao © G. Lamarque

     Mais le légendaire photographe Cano naquit une seconde fois, le 28 août 1947 à Linares. Un photographe "naissait", un maestro mourrait. "Islero" envoya à jamais dans l’obscurité, semblable à celle de la chambre noire, Manolete.

 

 

     Canito témoin de ce drame qu’il fixa à travers les 135 millimètres du téléobjectif de son Leica modèle Contax. Il en résulta un reportage de quelques 200 photos qu’il négociera entre 1 000 et 3 000 pesetas chacune, mais le photographe ne sait plus très bien. Canito, seul et unique photographe en cette tarde néfaste, deviendra par la suite, le photographe aussi des "vivants" et quelles fringantes personnalités ! Seront à son tableau de chasse, les stars Rita Hayworth, Gary Cooper, Ava Gardner, Orson Welles, Hemingway, of course, présenté par Antonio Ordoñez… Dans les dernières années de sa vie, Francisco était passé au numérique. Il reçut en 2014, le Prix National de Tauromachie par le ministère de la culture après 75 ans de carrière, il était temps ! Cette reconnaissance était dotée de 30 000 euros pour avoir constitué une « véritable anthologie graphique de toutes les manifestations de la tauromachie, jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme une source documentaire et historique », a souligné le jury. 30 000 euros, la valeur de quelques mètres carrés à Madrid, aujourd’hui !

 

El Pipo, son fidèle Guillermo et Teodoro Matilla

     Le photographe a reconnu en 1950 qu’on lui avait proposé 200 000 pesetas pour les clichés sur la mort de Manolete à Linares et le reportage complet. À Madrid, en 1950, 200 000 pesetas correspondaient au prix de deux appartements de 120 mètres carrés ! Mais Canito ne vendit rien, ni la série complète ni une seule photo pour laquelle on lui offrait 40 000 pesetas. «  Je ne voulais donner ni l’album ni la photo. Je ne vendrais ces souvenirs auxquels je suis attaché que par nécessité ».

     Dans une interview publiée par le magazine El Ruedo, Cano dit qu’il ne travaillait à cette époque dans la photographie que depuis 5 ans, qu’avant il était professeur de natation, footballeur, boxeur… mais plus que toute autre chose, il voulait être torero étant issu d’une famille de toreros. Son père, Vicente fut un novillero modeste sous l'apodo de "Rejillas". Sa famille est relativement aisée : ses parents exploitent les plages d'Alicante à une époque où la médecine préconise les bains de mer. Il a 14 ans lorsqu'il se jette comme espontáneo dans les arènes d'Alicante avant de débuter comme remplaçant des soeurs toreras Palmeno... La guerre civile finie, il va toréer une trentaine de novilladas, parfois avec la troupe des Bomberos Toreros, puis abandonne pour se consacrer à la photographie taurine, initié par son parrain Gonzalo Guerra.

     De toutes ces facettes, celle de photographe était celle qui avait été la meilleure financièrement. Et il argumente : « Et je pourrais obtenir plus d’argent si je voulais, car j’ai des collections importantes qui rapporteraient beaucoup », et ici, la référence aux 200 000 pesetas de l’époque qu’il laissa filer…

     Alors qu’il était depuis peu derrière l’objectif, 5 ans, il se souvenait déjà de ses meilleurs reportages, une corrida d’Antonio Bienvenida à Saragosse, une autre de Pepe Luis à Séville, et deux après-midi de Manolo Vázquez à Madrid. Une carrière prolifique s’annonçait, plus de 70 ans d’histoire de la tauromachie, à l’intérieur comme à l’extérieur des ruedos. Canito ironise sur les photos dans lesquelles sont rassemblés les pires moments des diestros devant le toro. « Je les leur envoie généralement avec une note dans laquelle je leur dis de ne pas récidiver », et il assure : « Ils rient beaucoup et certains me les rendent généralement dédicacées. J’ai l’intention de faire un album intime avec chacun d’eux ».

     L’a-t’il fait ? Il semble que non.

© G. Lamarque

     Le 25 août 2012, aux arènes de Vista Alegre de Bilbao, le sitio de Canito au callejón resta désespérément inoccupé. Le doyen des photographes taurins fut transporté à l’hôpital Basurto, victime d’une fracture de la hanche droite à la suite d’une chute en sortant de l’hôtel Ercilla. Nous n’avons plus jamais revu le petit homme à la casquette blanche aux Corridas Generales dans la capitale viscayenne. Ce 25 août, El Juli coupa les deux oreilles de son premier toro et sortit a hombros.

     L’histoire de Francisco Cano s’est fondue avec l’histoire de la tauromachie. Son ultime tour d’honneur, il le fera dans le ruedo des arènes de Valence, le jour des ses obsèques, son cercueil porté a hombros.

      « Qu’est-ce qu’un bon photographe ? C’est quelqu’un qui cherche ce qui est significatif dans un visage et qui réussit la tâche difficile de résumer dans une seule photo toute une personnalité. » Ce sont les mots de Gisèle Freund, photographe, sociologue et écrivaine résumant l’œuvre de celle qui a marqué le XXe siècle par ses clichés des plus grandes personnalités intellectuelles et littéraires de son époque. Elle signa nombre de reportages inspirés par sa formation de sociologue. Cano, lui, sans formation particulière, ce pionnier de l’image taurine dont le regard aiguisé a su saisir les bouleversements, les drames, les grands moments de la tauromachie ainsi qu’un échantillon luxueux de personnalités proches de la corrida, nous a offert un album empreint de sa sensibilité et de son audace.

 

© G. Lamarque

   

      Sur son inséparable casquette, il avait écrit en noir : « Cano, Alicante 1912 – al... », l’œil de la corrida s’est refermé à perpétuité à Llíria, le 27 juillet 2016 après un "temps d’exposition" exceptionnel de 103 ans ! La photographie, c'est le présent qui dure, des secondes volées à l'éternité. Pour Canito, ce fut des années dérobées, voilà son secret.

 

        « J’ai tenu Ava Gardner plusieurs fois dans mes bras ». Paroles de Francisco qui rajoute : « J’ai toujours affirmé que les deux plus belles femmes sont Ava et la Vierge Marie ».

     Que rajouter après cela ?

*Au plus que parfait de l'objectif, titre largement inspiré du titre du livre de Robert Doisneau, A l'imparfait de l'objectif, titre lui-même largement inspiré de cette citation de Jacques Prévert : " C'est toujours à l'imparfait de l'objectif que tu conjugues le verbe photographier".

                                                    Gilbert Lamarque

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