L’ART DE LA PIQUE (3)
LE DÉROULEMENT
DU TERCIO
Le tercio de piques occupe dans la corrida un rôle important.
Il se situe en début de corrida, lorsque le toro est en pleine possession de toutes ses facultés. C’est un moment fort de la corrida, où le toro s’exprime seul. Sans être le collaborateur de l’homme ou lui servant de faire valoir. Face au cavalier qui le meurtrit avec sa puya, il déploie sa force et extériorise son instinct offensif.
Par excellence, c’est le tercio du toro.
Le rôle primordial de ce tercio est de tester l’agressivité de l’animal : sa bravoure.
Sur le plan physique, son rôle est d’amenuiser la puissance, la force brutale du toro pour le rendre plus malléable par une blessure qui doit saigner abondamment.
Les picadors à la fin du XVIIIème siècle étaient très populaires. Leurs noms apparaissaient en aussi gros caractères sur les affiches que ceux des matadors, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Leurs costumes étaient brodés d’argent alors que ceux des matadors étaient brodés de fil blanc. Ils jouissaient d’une grande considération qui était due à leur façon de manœuvrer en piste en toute liberté et à leur guise. Ils avaient pris la relève des nobles, qui, au cours des siècles précédents étaient les prédécesseurs de cette forme de toreo. Pour la plupart d’entre eux, ils étaient d’anciens bouviers (vaqueros) se servant de leur outil de travail : une pique (garrocha) qui se transformera plus tard en la pique que l’on connait actuellement.
Avant 1927, trois picadors étaient en piste à la sortie du toro. Ils se tenaient à la gauche du toril et se plaçaient perpendiculairement à la barrière, à trois pas de cette dernière. Le plus près de la porte du toril était le picador le plus jeune dans la profession, il devait assurer la première rencontre. Par ordre d’ancienneté, les deux autres picadors se plaçaient après lui, le plus ancien étant le plus éloigné.
De nos jours, deux picadors seulement sortent en piste, alors que le toro s’y trouve déjà « passé » de cape par les toreros à pied.
Les picadors défilent au paseo avec la même convention qui régit les subalternes à pied. Pour chaque « cuadrilla » le picador le plus ancien dans la profession est à droite lorsque l’on regarde le paseo de face. Généralement, six picadors font le paseo à Madrid, les deux picadors de réserve règlementaire engagés par l’empressa y figurent également.
Les raies concentriques tracées dans la piste servent à délimiter la distance minimale entre le toro et le cavalier avant leur rencontre, soit deux mètres. Ces deux lignes se situent : La première à 7 mètres des barrières, la seconde à 9 mètres. Le sens de déplacement dans la piste fut précisé dans les règlements antérieurs. Le picador doit longer les barrières dans les sens inverse des aiguilles d’une montre, c'est-à-dire, se déplacer vers la droite. L’usage est conservé, bien que le règlement de 1962, actuellement en vigueur, soit muet sur ce point.

Pour une bonne exécution de la suerte, le picador doit se tenir un peu éloigné des barrières, sans dépasser la ligne.
Il doit présenter son cheval de face, légèrement de biais par rapport à la charge du toro. Le cite, qui consiste à provoquer le toro peut s’effectuer par la voix ou le geste, en soulevant la pique ou bien en faisant tinter l’étrier.
Au moment du cite par le picador, le règlement stipule qu’aucune personne ne pourra avancer plus loin que l’étrier gauche. Interdiction formelle également à quiconque de se trouver du côté droit.
Dans le cas d’une corrida de trois toreros, l’on peut se trouver en piste à gauche du cheval : le torero qui doit lidier le toro, deux subalternes de sa cuadrilla et les deux autres toreros du cartel.Le troisième subalterne de la cuadrilla sera aux côtés du deuxième picador en piste, généralement prés de la porte des chevaux.
Le toro charge donc en ligne droite ; autrefois, le toro n’avait pas toujours une charge rectiligne car le picador était mobile ( A noter que de nos jours le picador est immobile lorsqu’il cite). Quand le toro fonce et arrive à bonne distance, le picador place sa pique à la base du morillo en appuyant de tout son poids (puyazo). Au cours de cette manœuvre il doit manier la bride du cheval vers la gauche afin de le faire pivoter, pour éviter d’enfermer le toro et pouvoir ainsi juger du caractère de celui-ci sous le châtiment. Il peut repiquer le toro pour défendre sa monture si celui-ci recharge, même s’il n’y a pas eu de quite permettant de replacer les deux protagonistes. Par contre il ne doit pas faire pivoter sa monture vers la droite afin de couper la retraite du taureau (carioca), ni s’adosser aux planches, ni piquer en arrière ou sur le côté, ne pas attendre aussi que le toro soit collé au peto pour le piquer. Toutes ces manœuvres donnant un châtiment excessif, auraient des conséquences fâcheuses pour la suite du combat (lidia).
Le picador ne doit pas abandonner son cheval, ni en changer au cours du premier tiers. Interdiction est faite au « monosabio » de tenir le cheval par la bride et aux toreros ou à quiconque de tirer le toro par la queue (quite coleando), à moins d’un danger extrême, c'est-à-dire pour sauver quelqu’un d’un coup de corne.

La bravoure d’un toro, (son instinct offensif) sera jugée par rapport à la manière dont il se comportera face au picador.
L’archétype du toro bravo est celui qui accepte plusieurs piques (trois et plus) dans le même terrain et avec détermination, attaque le groupe équestre immobile dès qu’il l’aperçoit ou à la moindre sollicitation, le cherchant même parfois. Au contact du cavalier, il pousse de toutes ses forces, en appui sur le train arrière, la tête basse non mobile sur le flanc ou le poitrail de la monture. Le terrain idéal pour provoquer le toro, mettre en évidence et apprécier sa qualité d’attaque est celui qui se trouve à l’opposé du toril.
Il y a une gradation dans l’appréciation de la bravoure exprimée. Diverses appellations sont employées pour en indiquer le degré : Bravucon, Bravito, De Bandera.
A l’inverse du toro bravo, il y a le manso (couard) qui refuse de s’attaquer au picador ou le fait dans un style incertain, par à coups, donnant des coups de tête pour se défendre et désarmer le piquero dont la pique le blesse. La mansedumbre comme la bravoure est aussi graduée par des qualificatifs : Mansote, Mansurron, Manso Perdido.
La corrida, concours de ganaderias, est celle où le toro doit être mis en valeur. Le tercio de piques s’y déroule avec beaucoup de sérieux pour permettre de juger la bravoure du toro, bravoure qui est le critère de valeur le plus important pour désigner les meilleurs toros. Certaines règles régissent les corridas concours : Outre les deux cercles concentriques habituels, on trace à l’opposé du toril deux lignes radiales aux barrières, ce qui permet de délimiter l’emplacement idéal pour le bon déroulement du tercio et apprécier la bravoure intrinsèque des toros en compétition.
Plusieurs piques prises dans le même terrain éloigné du toril sont une preuve de la qualité de la bravoure exprimée.

De même, lorsque le châtiment subi sera suffisant compte tenu des conditions physiques de l’animal, pour augmenter le nombre de piques possibles (autre critère de bravoure pure) acceptées par un toro, le tercio peut se prolonger en piquant avec le « regaton » (bout de hampe opposée au fer), rencontres supplémentaires sans trop de dommage pour le toro, mais probantes pour mettre en valeur son agressivité face au picador.
Cette suerte n’est utilisée qu’en corrida concours, ou dans des cas très exeptionnels.
Dans ce type de corrida, les éleveurs présentent en général des toros dont ils estiment que le comportement sera excellent, se basant exclusivement sur leur filiation. Si le comportement du toro est exemplaire, grâce de la vie leur est faite : C’est L’indulto.
Après guérison des blessures occasionnées par la pique, le toro restera dans l’élevage et servira de reproducteur.
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Prochaine parution : Conclusion vendredi 26/01