HISTOIRE OU LÉGENDE ?
La légende raconte que le torero Ramón Ortega, qui, selon Joseph Kessel, correspondant français de la guerre civile pour le quotidien Le Matin, fut condamné à mort par la République mais contraint de combattre dans une corrida de charité à Valence. Il toréa avec tant de panache, tuant six toros sans frémir qu'il fut "gracié" par le public, ce qui a incité les autorités à lui permettre d'entrer dans la zone nationaliste, "chez Franco". Selon Kessel, en plus d'être libéré, il reçut une somme d'argent substantielle. Il resta ensuite du côté républicain, se rendit à Madrid comme chauffeur de taxi et accompagna Kessel pendant son "séjour" madrilène. (!!!)
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Durant les premiers mois de l'année 1936, le nombre de corridas diminua sensiblement. Le chômage, la misère marquaient la situation sociale et économique du pays. Quant aux jeunes, profondément politisés à gauche et à droite, pris dans un militantisme actif, ils étaient déjà bien occupés. Par ailleurs, une partie du public subissait l'influence de la campagne d'extrême gauche tendant à obtenir la suppression des spectacles taurins "dénigrant l'Espagne aux yeux des étrangers". Il y aura également cette opposition d'intérêts professionnels menée par Marcial Lalanda, qui aura pour conséquence d'éloigner durant quelques temps les toreros mexicains, des arènes européennes, le fameux "pleito" qui débuta au printemps 1936.
La temporada 1936 compta 76 corridas jusqu'au déclenchement du conflit. Á Madrid, le dernier paseo du temps de la paix eut lieu le 5 juillet avec Chicuelo, Maravilla et Valencia II et les toros de l'élevage de López Cobo. Le 12 juillet à El Ferrol - cité natale de Franco - les frères Bienvenida estoquaient un encierro de la Viuda de Felix Gómez ... les ruedos se vidèrent car les chefs nationalistes décrétèrent la suspension de tous les spectacles taurins et autres dans la zone qu'ils contrôlaient. Côté républicain, l'interdiction interviendra plus tard, le 4 juillet 1937, lorsque le gouvernement se sera replié de Madrid à Valence. Tous ces derniers spectacles se déroulent dans un climat particulier, dans un but patriotique, les toreros y participant, la plupart du temps, bénévolement. Á Barcelone, le 16 août 1936, les toreros défilèrent coiffés du calot de milicien portant l'étoile rouge à 5 boucles et ils saluèrent le poing levé au son de l'Internationale. Le même jour, à Madrid, les hommes en piste avancèrent de même, avec la Bandera roja.
1937 verra les quatre dernières corridas se dérouler du côté républicain, une à Valence, trois à Barcelone dont la dernière, le 12 septembre et la Fiesta brava disparut totalement de l'Espagne républicaine.
Durant cette année, de nombreux matadors ont pris le chemin de l'Amérique : Manolo Martínez, Cagancho, Victoriano de la Serna, Carnicerito de Málaga, Jaime Noaim et Domingo Ortega. Ils vont chercher l'intérêt économique qu'ils ne trouvent plus en Espagne.
Ces années auront donc vu l'extermination d'une grande partie de l'élevage de bravos. Outre les vengeances, la haine, l'anarchie régnantes, se rajoutaient le problème alimentaire et la pénurie de viande. On a estimé à 12 000, le nombre de bêtes abattues durant le conflit. Domingo Ortega, né en 1908 à Borox (Tolède) vit le massacre de son élevage par les "rouges" au début de la guerre civile, élevage qu'il avait acheté au duc de Veragua en 1931.
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Dans un tel contexte et "pleito" oblige, la présence du mexicain Ramón Ortega, né en 1927 à Chihuahua, il a 9 ans au déclenchement du conflit ! Sachant qu'il ne prit l'alternative que le 1er janvier 1956 à Ciudad Delicias, il est bien difficile de s'imaginer le mexicain en corrida à Valence !
Alors, Ramón ou Domingo ?
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Bien sûr, le nom du torero n'était pas Ramón mais Domingo Ortega qui combattit à Valence en 1936, "forcé à combattre" et qui partit ensuite en France et de là rejoignit le camp nationaliste avant, finalement de voguer vers les Amériques.
Fin de la fable
La réalité est que rien de tout cela ne s'est produit. Le Chauffeur de taxi s'est probablement "moqué" du reporter. Kessel s'est fait raconter une mauvaise histoire. Une infox, une fake news, cela existait déjà !
Gilbert Lamarque