Un coup de sabot dans la fourmilière
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Morante de la Puebla était invité par l’Asociación el Toro de Madrid, affichant un "No hay billetes" au restaurant Puerta Grande, répondant, entre autres, à de nombreuses questions posées par les membres du fameux Tendido 7. Il a offert un véritable traité de tauromachie secouant capes et muletas.
Plusieurs quotidiens et magazines ont reproduit questions et réponses et voici un extrait concernant le sort des novilladas que nous pouvons trouver en tête de l’éditorial de Marc Lavie dans Semana Grande daté du 7 décembre :
« Je suis très critique sur les Ligas de novilladas et les écoles taurines. L’argent que donnent les administrations publiques espagnoles aux écoles taurines devrait être davantage destiné aux spectacles taurins qu’au fonctionnement des écoles car il permettrait l’organisation de novilladas et ce serait bénéfique pour les ganaderos, les novilleros et les banderilleros. L’important est qu’il y ait des novilladas, pas des écoles ! On ne peut pas apprendre à toréer à quelqu’un. Chacun doit toréer selon son tempérament, selon son sentiment. Souvent, les professeurs des écoles taurines sont des toreros frustrés auxquels on attribue le rôle de maestros pour qu’ils s’occupent de la carrière de jeunes toreros alors qu’ils n’ont même pas réalisé la leur. J’ai de la miséricorde pour eux, mais dans le toreo, la miséricorde ne sert à rien. Ce qui est important dans le toreo, c’est qu’il y ait des spectacles, qu’il y ait des novilladas, qu’il y ait des toreros. La première école taurine qui fut inventée, fut celle de Ronda, sous la direction du maestro Pedro Romero, et elle ne dura que trois ans. Et maintenant, qu’est-ce qu’on va me dire ? Que Joselito et Belmonte, qui n’avaient pas été à l’école taurine, toréaient mal ? Il y a actuellement des novilladas sans picadors où un jeune qui n’est pas dans telle école taurine ne peut pas toréer ! Je suis totalement contre ce système. Il faut revenir à l’ancienne, que ceux qui veulent toréer puissent toréer et se former sur le tas. Moi, j’ai eu la chance de n’être dans aucune école taurine. Je m’entraînais avec les banderilleros, les novilleros, les matadors, et j’apprenais aussi bien de l’un que de l’autre. Aujourd’hui, un père met son fils à l’école taurine et ne s’en occupe plus. Ce n’est pas comme cela qu’on apprend à l’être humain à fonctionner dans la vie. Je crois davantage à la création de spectacles taurins. Plutôt que les écoles taurines, que ce soient des commissions, par exemple la commission taurine de Madrid, ou de Séville, qui repèrent les novilleros et qui organisent un certain nombre de novilladas avec l’argent qu’elles reçoivent. »
Amen.
Je sens que vous êtes en lévitation après que Morante ait secoué les tapis et fait voler la poussière.
Comme l’écrit Marc Lavie à la suite, dans son éditorial dans Semana Grande : « Si l’un d’entre nous, bien que le pensant tout bas, avait écrit la moitié de cela, il aurait sans doute subi une condamnation en règle. Mais quand c’est le meilleur torero actuel qui s’exprime, il mérite d’être écouté. »
À plusieurs reprises, Cositas a émis quelques réserves sur l’utilité parfois accessoire des écoles taurines. Certes, elles ont le mérite d’exister et d’apporter des points positifs, et nous n’irons pas jusqu’aux termes durs employés par Morante aux sujets des "professeurs"… Aujourd’hui, la novillada est en déliquescence, c’est indéniable. L’aficionado est découragé, démotivé, s’ennuyant sur les tendidos où il ne voit que des supposés clones de X ou de Y ! Et toujours les mêmes gestes, les mêmes passes, les mêmes faenas interminables, fades, le tout dégagé par de jeunes apprentis à la personnalité incertaine et embarrassée. Combien sont-ils à proposer la pause des banderilles ? La plupart est maîtresse dans l’art du brindis, du jeté de la montera ou d’un desplante – qui, ici peut se traduire véritablement par insolence – et chacun souhaitant ressembler à Ponce, Manzanares ou El Juli !
Quand Morante dit que l’on ne peut pas apprendre à quelqu’un à toréer, l’école est présente malgré tout pour lui enseigner les bases, la technique. La suite est à prendre en main par le novice abandonnant le cocon. L’école peut lui permettre de trouver des opportunités et certaines de ces écoles ont une réputation plus établie d’où l’opportunité de faire partie de ses élèves.
Comment les commissions taurines repéreront les novilleros ? … vaste chantier.
Ah, la finance !
L’argent public versé aux écoles taurines devrait plutôt profiter aux spectacles taurins, dit-il. On peut être d’accord avec lui, appelant à ce que les écoles soient bénéficiaires des versements privés et des parents. Mais quels spectacles, quelles arènes, seraient choisis pour recevoir cette manne ? Et là où le bât blesse également, c’est la mise en place et l’organisation de tout ceci dans un mundillo, lui, plutôt obscur et hermétique.
Dans ce contexte chaotique, nous aimerions revenir aux choses normales, mais qu’est-ce la normalité aujourd’hui ?
Certains, les vilains, souhaitaient voir disparaître tout ce petit monde… le monde taurin et ses satellites demeurent malgré tout.
Lors de l’intervention de Morante, quelques autres sujets et déclarations parmi la multitude : « Il n’y a pas de taureau plus gros que celui de Madrid ; oui il y a plus moche, celui de Pampelune », réflexions sur le trapío et autres considérations sur la « véronique autoritaire », ou bien : « Je suis contre les vétérinaires dans les examens. Pas contre la profession, loin de là. », et puis sur les corridas "goyesques", la puya ou les encastes…
Enfin, Morante n’a pas fini de nous surprendre, tant mieux !
Quelques chiffres
En cinq ans de 2007 à 2011, la baisse du nombre de novilladas s’est fortement accentuée en Espagne, où on constatait une chute de 54 %. En France, en 2010, 39 novilladas étaient proposées ; en 2019, dernière année "normale", il n’en restait que 32 ; 252 de l’autre côté des Pyrénées.
En 2011, les novilleros se bousculaient, on en dénombrait 168, 136 à l’escalafón 2019 dont 44 n’ayant effectué qu’un seul paseo. Pour cette temporada 2021 tronquée, nous gravitons autour de 180 novilladas de six novillos, de quatre ou de deux (dans les spectacles mixtes). La France a donné 22 novilladas et 114 novilleros apparaissent sur l’échelle 2021, 33 n’ayant effectué qu’un seul paseo.
En 2011, l’infortuné Victor Barrio montait sur la plus haute marche avec 41 tardes. L’année suivante, en Espagne, on passe de 314 à 244 spectacles ; Javier Jiménez est premier effectuant 32 paseos.
En 2019, pour 284 novilladas, c’est le Rondeño Javier Orozco qui comptabilise le plus de contrats, 33.
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Aujourd’hui, pour cette saison achevée, nous trouvons Manuel Perera au sommet avec 28 paseos ; son dauphin, Isaac Fonseca, pointe avec 21 contrats.
Pour l’Histoire, Miguel Baez Espuny "Litri" toréa 114 novilladas en 1949 lorsqu’il formait la fameuse paire avec Julio Aparicio. Une pajera de novillos dont la renommée et le succès dépassèrent tout ce que l’on a pu enregistrer depuis. Aparicio, cette année-là, toréa 72 novilladas. L’année suivante, Litri compta 87 paseos, Aparicio 91. Tout ceci en attendant El Cordobés qui battra en 1970 un record qui semblait inaccessible, celui de 121 paseos mais ici dans l’échelon supérieur de la corrida ! Un certain Jesulín de Ubrique atteignit les sommets de l’escalafón en 1994, participant à 164 corridas, sachant que qualité et bon goût ne rivalisèrent pas avec quantité !
L’heure n’est plus aux records, la novillada souffre de la crise subie par la tauromachie en général, la pandémie n’étant qu’un élément perturbateur supplémentaire mais exceptionnel, souhaitons-le.
Gilbert Lamarque