NOTES DE LECTURE
"Des animaux et des hommes"
sous la direction d’Alain Finkielkraut. Stock / France Culture. 300 p. 20 €.

A. Finkielkraut, philosophe, membre de l’Académie française et producteur de l’émission Répliques sur France Culture a rédigé Des animaux et des hommes, ouvrage dans lequel on retrouve des transcriptions d’entretiens consacrés à la condition animale à l’ère industrielle, entretiens réalisés au cours de l’émission Répliques.
"Aujourd’hui, notre pitié ne s’arrête plus à l’humanité. Elle continue sur sa lancée. Elle repousse les frontières. Elle élargit le cercle du semblable. Quand un coin du voile est levé sur l’invivable existence des poules, des vaches ou des cochons dans les espaces concentrationnaires qui ont succédé aux fermes d’autrefois, l’imagination se met aussitôt à la place de ces bêtes et souffre avec elles.
L’homme moderne est tiraillé entre une ambition immense et une compassion sans limite. Il veut être le Seigneur de la Création et il découvre progressivement en lui la faculté de s’identifier à toutes les créatures. Ainsi s’explique l’irruption récente de la cause animale sur la scène politique.
La nouvelle sensibilité aux animaux aura-t-elle le pouvoir de changer la donne ou l’impératif de rentabilité continuera-t-il à faire la loi, en dépit de tous les cris du cœur ? "
A.F. 4e de couverture.
"Je ne crois pas qu’il faille faire table rase de toutes les traditions au nom des nouvelles sensibilités. Je suis favorable à un compromis entre chasseurs et écologistes…
Les écologistes ont une prédilection pour les animaux sauvages comme le loup ou l’ours… et un mépris pour les animaux d’élevage : ce n’est pas leur problème."
- Les problèmes que posent la cause animale.
"Certains partisans de la cause animale ne mesurent pas la gravité du problème, ils veulent libérer l’animal sans faire de distinction entre élevage industriel et élevage fermier."
- Ne pas rompre le rapport de collaboration entre vaches et hommes.
"Si le rapport de collaboration entre les vaches et les hommes est rompu, il n’y aura plus de vaches. On peut libérer les hommes d’une condition d’oppression ou d’asservissement mais plaquer ce schéma sur les animaux de rente, c’est préconiser en guise de libération, la disparition de ces espèces qui ne subsisteront que dans quelques parcs à thème, dans des zoos pour les enfants."
"Je suis très hostile à l’antispécisme*. Peter Singer parle d’une responsabilité morale envers les animaux. Mais les animaux n’ont aucune responsabilité envers les hommes. Le lion n’aura jamais une responsabilité envers l’antilope."
Nous nous arrêterons uniquement sur le premier chapitre dédié à la corrida, intitulé Face à la corrida (pages 13 à 39) avec Elisabeth de Fontenay et Francis Wolff, tous les deux opposés à l’élevage industriel mais qui divergent sur la corrida, échanges animés par A. Finkielkraut.

E. de Fontenay
est maître de conférences émérite de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur du Silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité. 1998.

Francis Wolff
est philosophe et professeur émérite à l’École Normale Supérieure (rue d’Ulm), auteur en 2007 de Philosophie de la corrida.
FW - "Il n’est pas question de réduire l’animal à une chose.
Il y a une autre distinction qu’il faut établir entre la personne et l’animal : l’affrontement entre le toro et le torero est pratiquement le seul lieu où c’est encore possible, un rapport réel avec un risque pour l’humain et un respect de l’animalité. L’estocade est une minute de vérité."
AF - "L’estocade est pour moi un moment très pénible. C’est une cérémonie mais ce n’est pas de l’art."
EF-(avec une mauvaise foi évidente, elle étale quelques mensonges et déclare: "Nous nous querellons, parce que les faits que nous rapportons l’un et l’autre proviennent de sources antagonistes. C’est parole contre parole, et pourquoi celle de l’aficionado l’emporterait-elle sur celle de l’homme sensible."
Vous remarquerez que l’aficionado n’est donc pas un être sensible...
…
FW conclue ainsi : "Que restera-t-il pour peupler les rêves de l’humanité, de son autre qui est l’animal, de son autre parfois redoutable, parfois nuisible, parfois admirable, lorsqu’il ne restera plus pour peupler ses rêves que des chats sur des moquettes à qui on aura coupé les ongles et coupé les couilles, en tout cas dans nos chaumières, pas en Afrique, pas là où l’on sait encore ce que c’est que l’animal redouté ou l’animal nuisible, que restera-t-il des rêves de l’humanité ? Nous les aurons, et, je le crains, vous les aurez appauvris. La corrida est un des lieux où se joue encore un rapport réel, risqué, humain avec l’animalité."
…
En pleine promotion pour ce livre, A. Finkielkraut s’est rendu sur le plateau TV de On n’est pas couché, diffusé le samedi 15 septembre. Il n’a pas hésité à violemment s’en prendre aux végans** .
"Ce mouvement s’inscrit dans une perspective de libération animale sur le modèle même de la libération des Noirs opprimés alors que cela n’a rien à voir. Qu’est-ce que ça voudrait dire de libérer des animaux domestiques, des vaches ou des poules ? […] Le véganisme est un mouvement citadin qui s’enchante de sa propre supériorité morale."

Alain Finkielkraut
continue… "Je suis allé une seule fois à la corrida en traînant les pieds. Le spectacle de cette violence ne m’attirait pas. C’était le 12 septembre 2012, il y avait José Tomás, une des plus grandes corridas de l’histoire, m’a t-on dit, il a même gracié un toro.
Un spectacle inouï, et j’ai confessé que j’avais été ébloui, d’ailleurs tellement ébloui que je ne retournerai pas à une corrida, je ne suis pas un aficionado.
Ce que je n’aime pas c’est que les opposants à la corrida traitent les toreros de truqueurs ou de tricheurs et fassent de la corrida, un crime. José Tomás a reçu l’extrême onction 2 fois, il prend des risques insensés. Il dit ceci : "En partant, je laisse mon corps à l’hôtel" et c’est totalement contre nature si vous voulez, un toro vous charge et vous ne bougez pas, c’est inimaginable !"
Par cette déclaration déjà révélée auparavant, il a reçu des centaines de lettres. Des gens ont écrit : "un cruel, un pervers, un esthète dégénéré… "
… "Simplement, ce que je trouve révoltant c'est que l'on déduise de ce spectacle que la corrida est un crime, rien qu'un crime, et qu'au mépris de la règle qui oblige le torero à se mettre sérieusement en danger, on fasse de celui-ci un tortionnaire, et de ceux qui apprécient ses exploits des êtres à la sexualité dérangée. C'est ainsi qu'en dépit de Goya, en dépit de Picasso, en dépit de Garcia Lorca, on en vient à rejeter la tauromachie hors de la culture et même hors de l'humanité." (chapitre II : Culture humaine et cause animale, page 45).
Voici un livre intelligent où A. Finkielkraut invite de nombreuses personnes à débattre du rapport aux animaux. En effet, quatorze invités livrent leurs propos sur l’inquiétude qui traverse ces pages : "La nouvelle sensibilité à la question animale aura-t-elle le pouvoir de changer la donne, ou l’impératif de rentabilité allié aux avancées de la technique continuera-t-il à faire la loi, en dépit de tous les cris du cœur ? "
Les prises de position d’Alain Finkielkraut ont parfois fait l’objet de vives controverses mais reconnaissons lui son ouverture d’esprit, ici, au sujet de ce matériau brûlant qu’est la corrida.
L’écoterrorisme n’est encore qu’une éventualité, l’antispécisme est sans merci et la rhétorique animaliste s’éclaire d’une apparente violence.
Défendre coûte que coûte la cause des bêtes ne saurait être réduit à une seule sensiblerie autoritaire.
Allons-nous avoir honte d’être des hommes ?
Gilbert LAMARQUE
* L’antispécisme est un courant de pensée qui refuse la notion d’espèce. Les antispécistes combattent les critères prédéterminés qui seraient liés à l’appartenance à une espèce, et notamment à la domination de l’Homme sur l’animal. Ils refusent le droit de mort de l’être humain sur l’animal mais sont conscients que l’égalité entre les espèces est impossible, leurs capacités et intelligences étant très variables. Les défenseurs de l’antispécisme ne consomment généralement pas de produits alimentaires provenant d’animaux.
** Le véganisme ou végétalisme intégral, est un mode de vie consistant à ne consommer aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation.
Le véganisme s’inscrit souvent dans une action pour la défense des droits des animaux.