CORRIDA, OU PAS CORRIDA ?
Par Patrick SOUX
18h54, dimanche 12 août 2018, arènes du parc Théodore-Denis à DAX, cet instant restera gravé dans la mémoire de tous y compris celle des aficionados a los toros (pas pour les mêmes raisons).

Lebrero,
N°106, né en mars 2014, pensionnaire de la ganaderia de Santiago Domecq a, non pas épargné sa vie par son combat, mais sauvé sa peau grâce son extrême noblesse.
Indulto ou pas indulto ?
Il est un fait certain, c’est qu’au-delà de la question qui reste légitime, sur les réseaux sociaux, et toutes les dérives qu’ils engendrent, cet indulto a fait causer et pas toujours en termes choisis. Faut-il faire preuve d’agressivité, d’incorrection, d’impolitesse voire même d’obscurantisme lorsque votre interlocuteur n’est pas de votre avis ? L’homme est ainsi fait qu’il trouve le salut dans la violence lorsqu’il est à bout d’arguments.
Au vu de ce qui c’est passé dans ce ruedo dacquois, le débat indulto ou pas, est forcément stérile. L’indulto étant prononcé, ce débat ne change rien à l’histoire et il ne la réécrira certainement pas.
Il est nécessaire de le déplacer sur un autre plan.
Historiquement, un indulto doit se prononcer au vu d’un toro complet dans les trois tiers et, pour mémoire, je vous conseille de relire avec attention une publication que j’avais faite sur ce blog en décembre 2017 (lien ci-contre) :
http://www.cositas-de-toros.net/2017/12/retour-aux-sources.html.
Vous devez concéder que Lebrero en était à des années lumières… Ceci est un fait indiscutable par tous (sinon c’est de la mauvaise foi).
Dans une corrida, l’indulto est un acte d’une importance capitale et, à ce titre, doit rester un acte mûrement réfléchi, digne et respectueux. Il doit servir à laisser la vie sauve à un animal qui a fait preuve de sauvagerie, de race, de caste et pour terminer de noblesse.
J’entends bien les gens qui disent venir aux arènes pour avoir de l’émotion et qui, dans le "combat" de Lebrero ont trouvé leur compte. OK. Je n’ai absolument aucun souci avec ça et même, s’ils l’ont ressentie, cette émotion, je ne peux qu’en être satisfait pour eux. Cependant, faut-il encore qu’ils admettent que Lebrero a été absent du premier et même du deuxième tiers. Nous ne sommes donc plus dans la démarche originelle qui est celle de gracier un toro complet, mais un toro noble, un animal qui sert de faire valoir au torero. Certes le danger est toujours présent, mais peut on encore appeler ça Corrida ?
C’est sur cet axe là que doit se placer le débat.
La corrida, telle qu’elle a traversé les âges, a certes subit une grande évolution, mais elle est toujours restée ce combat entre la force, la caste animale et l’intelligence humaine. Si au travers de ce combat, l’intelligence humaine prend le dessus sur la sauvagerie, alors elle peut tendre vers l’art, mais si, et seulement si. La préservation de cette sauvagerie est à mon sens la seule chose qui permettra de sauvegarder la corrida dans son ensemble des trois tiers, à savoir, tercio de piques, de banderilles et la suerte suprême, la mise à mort.
La corrida n’est pas un spectacle comme les autres, dans les ruedos, a las seis de la tarde, c’est la vie et la mort qui se jouent, la mort mise en scène en public. Ce peut être choquant pour certains, mais pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit et, j’ai bien peur que si nous édulcorons ou supprimons cette notion de lutte, nous perdions la justification de la corrida.
Depuis un certain temps nous assistons à une aseptisation de ce spectacle, avec des toros qui font preuve de moins de sauvagerie, de moins de race et de caste, mais aussi avec une aficion qui change et qui vient aux arènes pour le troisième tiers. Elle veut voir des faenas à 80 passes, que celles ci soient belles, longues, lentes, que le toro mette le museau au ras du sable y nada mas, que la suerte suprême soit faite vite et bien, peu importe comment l’épée est portée ni où elle est portée. L’important étant qu’elle soit entière et que le toro tombe vite… Cette suerte, conclusion incontournable de la corrida, est galvaudée, peut être est elle-même devenue le mal nécessaire, le final imposé de ce spectacle ( !)
Les toreros, au moins pour les premiers de l’escalafon, n’affrontent plus que des animaux collaborateurs leur permettant de faire étalage de leur Art. Pourquoi pas ? Mais à se compte là, allons jusqu’au bout de cette idée et supprimons le premier et le deuxième tiers ainsi que la mise à mort, le tout accompagné d’une musique qui devra fatalement être Grande et alors nous assisterons à une vraie œuvre d’art.
Mais, pourra-t-on encore appeler ça Corrida ? Voilà le vrai débat.
Nous sommes ici très loin de Lebrero, indulto ou pas, débat parfaitement stérile à moins que nous n’ayons pu l’avoir avant que ne tombe du palco, le mouchoir orange.
Alors, Corrida, ou pas Corrida ?