En Espagne, "avant-hier", c’était la révolution créée dans le toreo par Juan Belmonte qui paraissait détruire tout ce qui constituait les règles fondamentales du toreo. Elle était basée sur les qualités morales du toro qui permettait ou non, ce "nouveau toreo". Et cela consistait à ce que pris dans le leurre, manié au rythme de la charge, l’animal ne voyait que la flanelle et ne pouvait suivre d’autre chemin que celui qui lui était indiqué.
Belmonte (à droite) et Joselito
Belmonte, pour l’appliquer, se trouva aux prises avec d’énormes difficultés ; puis, aux côtés de son jeune confrère José Gómez Ortega Gallito, Joselito – dont nous honorons, cette année, la mémoire cent ans après sa disparition –, ayant appris à dominer, il toréa "à sa manière" quand les toros le permettaient ou quand il avait pu les réduire.
Le bétail n’était déjà plus celui du début du siècle (XXe) ; la région de Salamanque faisait à la corrida un apport massif mais la zootechnie n’avait pas encore réalisé les progrès qui permirent la création du toro "presque régulièrement facile".
Aussi, la période qui fut celle des belles années tauromachiques, "l’Âge d’or" du toreo, celle de l’après-guerre de 1918 jusqu’à la Guerre civile espagnole de 1936, permit de voir une majorité de toros de poids et de respect, "toréés" par une majorité de toreros qui savaient dominer, réduire et profiter de toutes les qualités morales de leurs adversaires. Ils avaient pour nom : Chicuelo, Granero, Marquez, Lalanda, Barrera, Armillita, Manolo Bienvenida, Domingo Ortega. Joselito avait quitté la planète en 1920, Belmonte débutant dans les années 1910, déserta les ruedos en 1936.
Mais pour certains aficionados, cette période fut celle de la monotonie, monotonie que l’on peut appeler "régularité taurine". Ces toreros étaient de qualité relativement égale, ils avaient simplement un genre de toreo différent, soit artistique, soit dominateur dont la confrontation maintenait élevé le niveau de l’afición.
Les toros étaient braves, souvent nobles et leur présentation entretenait l’émotion qui est à la base de la corrida.
Bien sûr, tout n’était pas parfait et la critique s’en donnait à cœur joie. Dans les années 1920, étaient apparus la nouvelle pique, la raie blanche, le caparaçon, la sortie des picadors après la suerte, la suppression des banderilles de feu… la révolution !
De 1936 à 1945, les évènements, les conflits privèrent l’aficionado de son spectacle favori. Lorsqu’il revint aux arènes, la corrida lui avait réservé de grandes surprises.
Ici, nous pénétrons dans le monde d’"hier".
L’aficionado se trouvait devant un toreo différent, moderne qu’avait créé Manolete. La révolution n’était qu’une nouveauté, un toreo fait de quiétude, statisme et une certaine froideur.
Pour révolutionner un art, vous en conviendrez, il faut, après avoir ébranlé les fondations, faire tomber l’édifice qui reposait dessus et reconstruire sur les ruines. Manolete avait seulement ébranlé l’édifice et ce toreo nouveau comportant une part d’habileté et de facilité, était favorisé par la diminution sans cesse croissante de la taille, du poids, de l’âge et de l’armure de l’animal.
La Guerre civile venait de s’achever et les ganaderias qui survécurent au conflit, n’avaient qu’un maigre choix à offrir. Et les novillos furent vendus comme toros, le guarismo n’était même pas encore en gestation.
Cette marque visible sur l’épaule droite du toro correspond au dernier chiffre de l’"année de l’éleveur" – año ganadero – du 1er juillet de l’année en cours au 30 juin de la suivante. C’est à partir de 1969 que l’on marqua de leur année de naissance les jeunes becerros et becceras. Donc, c’est à partir de 1973 qu’apparut le guarismo "9" des premiers toros de quatre ans.
Imaginez toutes les tricheries auparavant ! Le toro, comme la star défraîchie, cachait son âge à ses fans, mais ici, l’animal se vieillissait !
… Et malgré tout, Manolete mourut dans l’arène, victime de la seule suerte qui n’avait pas évolué, celle du "moment de vérité" !
Les vieux aficionados, un moment intéressé, se reprirent mais à quoi bon s’indigner et protester, l’évolution se poursuivit et ceux qui auraient pu la ramener à de plus justes proportions ne faisaient rien pour cela. On s’éloignait de plus en plus de l’art orthodoxe de Joselito, de l’art "dissident" de Belmonte et du combat qui leur imposait des qualités exceptionnelles où l’intelligence était opposée à la brutalité.
Quittons le monde d’"hier".
"Aujourd’hui", nous trouvons encore quelques toreros largos et dominateurs. Par contre à propos des toritos, le campo en vomit des torrents, androïdes producteurs d’oreillettes et d’indultos.
Nous n’allons pas y revenir, sujet sans cesse rabâché. Contentons-nous d’avaler nos rations de guimauve.
Qu’en sera t’il de "demain" ?
Nous souhaitons vraiment avec force et obstination, un retour aux normes décentes de l’art tauromachique. Les peones courant le toro à une seule main ; les picadors bons cavaliers et vertueux ; le torero redevenu maestro dans sa lidia sérieuse, dominant, exécutant La faena juste, liée, efficace, de longueur soutenable devant un adversaire puissant et pegajoso par excès de bravoure.
Une faena de torero à un toro de combat.
En fait, nous demandons peu, seulement le retour aux sources.
Mais cette requête ressemble plus à une lettre au Père Noël… Noël n’a jamais été si proche !
Dijon, capitale administrative de la Bourgogne, est appréciée comme ambassadrice de la gastronomie. En dehors des vins et de la moutarde – qui monte souvent au nez ses aficionados – nous pouvons également apprécier les escargots, le pain d’épices, la crème de cassis, la potée et le bœuf bourguignons, l’apéritif cher au chanoine Félix Kir et bien d’autres gourmandises.
Mais saviez-vous qu’aux alentours du 14 juillet à la jonction des XIXe et XXe siècles, Dijon avait une autre spécialité, récréative celle-la : la "corrida" ? La corrida dans tous ses états, nouvelle recette, le taureau bourguignon, un dérivé du bœuf !
Pendant quelques années, la capitale historique du duché de Bourgogne, "la ville aux cent clochers", tout comme ces villes d’un autre climat, ces villes du nord… de la Garonne, Paris comme Le Havre, Roubaix ou Limoges,… a eu droit aux combats de taureaux.
L'entrée du Vélodrome du Parc et le tramway
Les Dijonnais en étaient devenus passionnés avant leur interdiction au tournant du XXe siècle. 5 000 personnes vibraient dans l’ancien Vélodrome du Parc qui fut détruit à la fin des années 1920. Dans l’imaginaire collectif, draps rouges, costumes à paillettes, bêtes à cornes évoquent avant tout l’Espagne, Nîmes, Arles ou encore Dax et Mont-de-Marsan. Mais qui aurait pu imaginer qu’en Bourgogne, dans la cité des Ducs, ce genre d’évènement ait pu avoir lieu et rassembler autant de spectateurs ?
Ce fut en effet le cas de 1896 à 1902 – 7 ans tout de même ! – lorsqu’une cuadrilla de "toreros" eut l’idée de proposer ce genre de spectacle à l’occasion des Fêtes du 14 juillet.
En bas à droite, l'éventail et une scène de corrida
L’Exposition Universelle et Internationale de juin à octobre 1898 avait inclus divers spectacles taurins.
Le Vélodrome dédié aux évènements populaires pouvait accueillir plusieurs milliers de personnes et bénéficiait de son propre arrêt de tramway. Voilà un endroit idéal pour attirer la curiosité et la soif d’exotisme de la population locale. Dès 1897, la presse de l’époque relate que plus de 5 000 billets de tribune à 1 franc seulement ont été vendus pour assister aux courses de taureaux, soit 15 % de la population ! A Angers, autre ville "taurine", le 10 juillet 1898, le prix des places étaient de 5 et 10 francs. Ces prix ont laissé de nombreux vides dans les tribunes. Ce jour-là, à Dijon, Félix Robert mettait à mort deux toros de Carreros, les chevaux étaient caparaçonnés.
Dans Le Progrès de Côte-d’Or, le 13 juillet 1897, le journaliste se fait même promoteur de l’évènement dijonnais :
« Les courses de taureaux, sont une fête pour les yeux, et nul ami de l’esthétique aspect des choses ne saurait se soustraire au charme intense de la corrida. »
En voila un qui a touché la propina !…
Une parade était organisée à travers les rues du centre-ville, et les costumes des matadors étaient exposés dans les vitrines du Bazar de la Ménagère, rue de la Liberté. Puis, dès 15h30 précises, le spectacle se déployait. Par la suite, les amateurs du cru pouvaient descendre dans l’arène et tenter de décrocher la cocarde rouge fixée sur la tête d’une vachette.
Récompense promise : 30 francs. En 1897, c’est le garçon-boulanger de la rue Monge André Vaillant, 22 ans, qui eut droit aux honneurs. L’année suivante, son excès de témérité lui coûta la rubrique des faits-divers et un aller simple vers l’hôpital, le visage ensanglanté, sérieusement blessé à la tête.
Du pain, des jeux et… du sang.
Soyons honnêtes, au-delà du simple exotisme, c’est bien le spectacle sanguinaire qui fascinait la foule. Lorsque le combat était dangereux ou que le taureau était mis à mort, les Dijonnais hurlaient leur joie.
Voici, résumé comment la presse locale relatait le spectacle dès le lendemain.
« Après une dizaine de passes de muleta, Félix Robert, d’un coup bien dirigé, plante l’épée presque jusqu’à la garde, l’animal arrête son élan, balance son corps, chancelle à peine une minute et s’abat sur le flanc droit. On applaudit à tout rompre. »
Sauf que le taureau n’est pas toujours abattu à chaque combat, ce qui avait le don de provoquer la colère de la foule.
En 1898 et 1899, les résumés des spectacles suivent l’avis du public, qualifiant de peu intéressant un combat où l’issue n’est pas fatale pour l’animal.
Au bout de quelques années seulement, l’évènement qui se voulait populaire a dégénéré. Jusqu’à ce fameux 6 juillet 1902 où Le Progrès titre : « Emeutes au Vélodrome – Courses interdites. »… Avant d’ajouter, non sans une pointe d’ironie : « Deux matadors ont été blessés – l’un assez grièvement – non par le taureau, mais par les spectateurs qui n’en avaient pas eu pour leur argent. »
Ayant eu écho de l’évènement, la presse parisienne s’en mêle, dénonce – déjà à l’époque – la barbarie de la tradition tauromachique et insulte largement le caractère primaire de la population dijonnaise. Dès le lendemain, des mesures sont prises : l’administration du Vélodrome annonce l’annulation des spectacles du 14 juillet 1902, remplacés au pied levé par des courses vélocipédiques et une réunion de course d’ânes !
Dans le même temps, le maire Auguste Fournier fait interdire définitivement les courses de taureaux sur le territoire de Dijon dès le 8 juillet 1902 au motif que « ce genre de spectacles à Dijon est de nature à troubler l’ordre public et peut causer des accidents. »
Et la presse locale de conclure, en dessous de l’arrêté municipal : « C’en est fait de notre naissante réputation de sanguinaire sauvagerie. Nous n’aurons plus l’occasion de nous faire qualifier de cannibales par les journaux parisiens. »
L’humour était sauf.
L’essor de la "corrida" avait donc gagné la patrie de Bossuet et de Gustave Eiffel ainsi que le territoire, et le taureau devint omniprésent entre spectacles et personnalités, accidents et dramatisation, humour et folklore, arène politique et détournement patriotique.
Revenons ici à l’aspect purement "tauromachique".
Pour l’année 1897, Félix Robert effectua les trois paseos.
Le dimanche 12 juillet, après sauts et écarts et simulacres, à la huitième "course", « la grande, celle de muerte », F. Robert "brinde" : « A la ville de Dijon, à nos libertés tauromachiques, et vive la République ! ».
« Il rate son premier coup d’épée puis réussit une entière. Le fauve chancelle et s’abat très vite. Le tour de piste du Landais est triomphal. La foule saute en piste, ainsi que le commissaire Pelatan qui dresse un procès-verbal ».
On tuait malgré l’interdiction et on dressait procès-verbal en application de la loi du 2 juillet 1850. Le public "sanguinaire" était comblé, et l’amende payée.
Le 14 juillet à 15h, c’est encore le plein. « Robert à la "moustache victorieuse" accompagné du sobresaliente Alarcón, "brinde" aux « Dames de Dijon ».
Le dimanche 18 juillet, « Gran corrida espagnole et landaise ». Le temps est lourd et orageux. Officient avec Félix Robert, Manuel Figueras Gallego "Picador de Madrid", le sobresaliente Juan Alarcón et les banderilleros, Eugenio Fernández et Manuel Izquierdo. La cuadrilla landaise était composée de A. Nassiet et Jean-Marie, premiers sauteurs et Navès, Mathieu et Ponty, écarteurs.
Dans la revue bordelaise Toros-Revue du jeudi 13 juillet 1899, un dénommé Rouard signait une reseña-sauce moutarde.
Spectacle du 2 juillet :
« C’est sous un ciel idéalement bleu que s’est déroulée la corrida donnée par Canario et son quadrille qui devaient combattre cinq toros de la manade Benoys. »
Taureaux camarguais et les quatre premiers sont "tués" au simulacre. Le dernier est le seul a être piqué et tué.
« ... Le cinquième bicho doit être mis à mort, il sort du toril peu disposé à attaquer la cavalerie, il prend cependant quatre piques, toutes de refilon, dont une bonne d’Artillero et une bonne et deux mauvaises de Moreno. Adrada lui pose deux paires de banderilles al cuarteo, et Canario une al quiebro. Puis Emilio prend les trasteos, brinde à la ville de Dijon, et après une faena composée exclusivement de naturelles, se profile bien et envoie le bicho ad patres d’une superbe estocade, un peu contraire. L’oreille aurait dû lui être accordée. […] Canario, téméraire à l’excès se prodigue sans compter. C’est un matador d’avenir. Les picadores n’ont pu briller avec le dernier toro qui avait la volonté mais était trop faible. Madronal et Pajarero sont d’excellents peones. »
Le sieur Rouard semble avoir des connaissances et emploie nombre de termes taurins. Canario toréa presque exclusivement par naturelles, action très éloignée des faenas de nos toreros contemporains. Quant à la non attribution d’un trophée, cela semble curieux car on souhaitait caresser le public dans le sens du poil.
Le même signataire récidiva le jeudi 20 juillet dans les feuilles de Toros-Revue pour la deuxième corrida de la saison devant 5 000 spectateurs, 4 toros combattus au simulacre par Método et Canario et 2 autres mis à mort par Antonio Monito.
« … En résumé, toros bons, peones travailleurs mais pas obéissants, Método et Canario excellents, Monito bon à la muleta mais trop grande mobilité. Public très peu connaisseur, a sifflé injustement. »
Le 16 juillet, les 5 toros étaient de la manade Benoys. J’en conclue que ceux du 14 juillet, aussi.
« … Les matadors firent des faenas trop mobiles, presque tous les simulacres furent cloués de surprise. Método, passable à la muleta, bien à l’estocade ; Canario très bien à la cape. En résumé, bonne journée. Et maintenant à l’année prochaine. »
Et j’ai retrouvé dans le Toros-Revue du 12 juillet 1900, l’article de notre dévoué revistero pour la course provençale du 8 juillet.
« Au programme Bayard et Jules Arnaud devaient travailler 6 toros neufs de la manade Saurel d’Arles. La course a été d’une monotonie exaspérante, les toreros attaquant le moins que possible le bétail, qui lui, n’attaquait pas du tout. […] Somme toute, course frigide qu’une température plus froide encore n’a pas contribuer à animer. Messieurs les organisateurs, vous avez une belle revanche à prendre les 14 et 15 juillet. »
Toros-Revue du 25 juillet 1900. Courses provençales.
« Voilà deux journées néfastes pour l’aficion des Dijonnais, les toros qui les 8 et 14 avaient été mauvais, se sont montrés tout simplement déplorables le 15 ; à tel point que le dernier s’est planté au milieu de l’arène, n’a plus voulu en bouger malgré les efforts des toréadors et n’a pu être ni banderillé, ni travaillé de cape, on le fit rentrer au toril et la course finit de la sorte. Ce fut piteux. Si véritablement ce sont des toros neufs, je n’en fais pas compliment aux ganaderos MM. Saurel frères. […] Pour ce qui est des Administrateurs des arènes du vélodrome, je leur prédis une chose, c’est qu’en s’entêtant à nous donner de pareils spectacles, ils feront déserter leur établissement par les aficionados les plus convaincus.
De telles courses font plus de mal à la tauromachie que les attaques les plus virulentes des adeptes de la SPDA. »
Que rajouter à ceci ?
Par interdiction, le vélodrome retrouva en 1903 le calme de la petite reine et de ses adeptes.
La conduite de certains personnages, qui, sous le nom d'entrepreneurs de corridas et sous le fallacieux prétexte de répandre l'afición en France ne cessaient d'écumer les régions de l'Est et du Nord, où le public étant moins connaisseur était, par la suite, plus à même de se faire exploiter. Tous ces organisateurs avides de gains vite récoltés, ne se souciaient guère de la qualité des spectacles. C’était une véritable pétaudière avec courses hispano-françaises, landaises ou provençales, au simulacre avec souvent de tristes et piètres "toreros" – aucun de ceux cités plus haut n’a été matador d’alternative – , excepté le Landais Félix Robert. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, pour ne pas choquer le spectateur, on fit en sorte de protéger ces misérables chevaux de rebut lors des quelques courses avec mise à mort. C'était un genre de caparaçon fort court, un plastron qui protégeait l'avant du cheval car on craignait la blessure mortelle de face, droit au coeur. Mais ceci ne suffisait pas, le public, au fil des courses ne pouvait rester insensible devant la tripe de rosse fumante. Quant aux toros !!
On ne se souciait pas d’éduquer le public, il n’était comme aujourd’hui, qu’un cochon de payant ! On laissa la situation se gangrener.
Toutes ces arènes du "Nord" ont été très vite désertées par le spectateur et l’impresario n’y trouva plus, bien sûr, son compte. Il y eut outre le désintérêt, les interdictions se greffant sur le malade comme à Dijon.
Actuellement, le nouveau public est ignare ; les SPA, FLAC, CRAC, BOUM (non), HUE (non plus), etc. n’ont pas à s’inquiéter. Le sieur Rouard en 1900, le prédisait déjà « de telles courses font plus de mal à la tauromachie... »
Le Catalan Emilio Soler "Canario" fut l’un des premiers à fouler le sable des arènes en bois de Vic-Fezensac lors d’une novillada le 19 septembre 1904 devant des novillos camarguais. Avant la novillada évoluait "Don Tancredo", l’homme-statue. Quel fut la trajectoire de Canario ? On sait peu de choses. Toujours est-il qu’un Canario hijo, apodo d’un autre Emilio Soler sera tué à Marseille par un toro de Lescot, le 19 octobre 1941. Le fils du précédent ? Possible, les dates concordent.
Félix Robert assis à droite
Pierre Cazenabe dit "Félix Robert" né à Meilhan (Landes) en 1862 avait pris l’alternative à Valence en 1894, il confirma à Madrid le 2 mai 1899. Premier matador d’alternative français.
Eustasio Rodríguez Páramo "Método", ex-banderillero, "torero" très moyen, est né en 1864 dans la région de Tolède.
Le taureau de Saulieu.
Le Grand Taureau de François Pompon
Je me prends à rêver que le taureau de Saulieu était un brave…
Dans cette commune qui chaque année au 15 août fête sa majesté le charolais, l’emblème du terroir est de taille et de bronze. Sauf que, ne vous y trompez pas, le taureau de Pompon n’est pas un charolais !
Ce monstre de bronze placide, domine tout à la fois la paisible bourgade de Saulieu, le département de la Côte-d’Or et les vertes solitudes du Morvan.
Fièrement dressé sur une boucle de l’ancienne Nationale 6, à 70 km de Dijon, cette œuvre de François Pompon, sculpteur animalier, né en 1855 ici même à Saulieu, a vu tous ceux qui, de plus en plus vite, fonçaient vers cette cité gastronomique, ce vieil antre où, bien longtemps triompha Alexandre Dumaine et où rayonna par la suite avant de brûler ses ailes, un certain Bernard Loiseau. Ce bel animal de cinq tonnes n’est en réalité qu’une réplique en bronze réalisée grâce à une souscription. L’original vit sa vie au Petit Palais à Paris. La réplique de Saulieu a été inaugurée en 1949 par le maire de l’époque, le chanoine Kir, maire de Dijon, Edouard Herriot, alors président de l’Assemblée nationale, ainsi que le ministre de la Communication venu inaugurer la nouvelle poste et qui n’était autre que François Mitterrand.
Le Grand Taureau fait partie des très nombreuses sculptures de l’artiste qui rejoignit Paris à 20 ans y rencontrant Auguste Rodin. Pompon connaîtra le succès tard, à 65 ans, lorsqu’en 1922, il présente au Salon d’Automne son fameux Ours Blanc, ayant abandonné la banquise pour le musée d’Orsay.
Son Grand Taureau, réalisé à l’échelle, retranscrit à la fois la puissance et la placidité de cet animal symbolique mais en aucune façon, le sculpteur n’avait envisagé un charolais, bête de trait devenue bête à viande, bête rustique et docile. Un concours de circonstance, entre un natif du pays et un pays où le charolais est roi. Ni toro bravo non plus…
Juin 2012, cyclotourisme.
« A vélo pour les taureaux »
La misérable FLAC ( Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas) avait organisé en juin 2012, le parcours reliant Paris à Chambéry pour dénoncer la tauromachie. L’objectif, obtenir un rendez-vous avec les élus de Chambéry et le Conseil général de Savoie – région taurine aux traditions bien ancrées – afin de présenter les méfaits de la corrida sur les enfants et arriver à ce que Chambéry devienne officiellement "Ville anti-corrida" !!! Il est vrai que de nombreux chambériens peuplaient l’été, nos tendidos !
Cinq villes ont été visitées avant Chambéry : Melun, Auxerre, Dijon, Mâcon et Bourg-en-Bresse.
… Je n’ai pas pris connaissance du dénouement de cette virée de cyclotourisme et je m’en bats les flancs !
Mais il est vrai que nos aficionados bourguignons nous manquent terriblement. Ils ne nous offrent plus pendant la merienda, le petit morceau de Chaource et son petit verre de Chablis.
Autres temps, autres mœurs.
Nationale 6.
Dans les années cinquante, cette route légendaire reliait Paris à l’Italie via Lyon et la Savoie traversant la Bourgogne.
Imaginez ces débiles de la FLAC descendant à vélo depuis Paris vers Chambéry, tombant nez à mufle sur le Grand Taureau ! Mais ils l’auraient coulé, le bronze !
Raoul Bériel entraîne ses taureaux le long du lac de Kir à l'entrée ouest de Dijon. Attention, M. Bériel, le joug : la SPA, le CRAC, la FLAC... ne vont pas apprécier !
Gilbert Lamarque
Jeudi 8 octobre. A l'instant où je termine cet article, l'Assemblée Nationale rejette les trois amendements anti corrida. Ce rejet constitue un message porteur d'espoir ; rejetés les trois amendements visant à interdire la corrida et l'accès aux arènes aux mineurs de moins de 16 ans ! La légitimité de notre culture sort renforcée, toujours plus profondément enracinée dans nos régions. Mais sachons rester vigilants.
Vendredi 9 octobre. "Et ça continue, d'accord, d'accord..." A Antequera, Finito de Córdoba venu remplacé S. Castella, a "indulté" son second toro, "Doctor" de Zalduendo, noble qui ne prit qu'une pique ! Vendredi 9 octobre, jour de la saint Denis. De Dionusios ou Dionysos, le dieu de la vigne, du vin mais aussi du délire extatique ! Voilà, le public en extase et le vin a certainement débordé. Mais attention, le délire peut s'avérer dangereux !
Alors que la marque de vins espagnols Tío Pepe était déjà connue pour son emblème publicitaire représentant une bouteille avec une guitare – dont on trouve encore une enseigne Puerta del Sol à Madrid – voir photo –, les Bodegas Osborne font appel à une agence de publicité pour promouvoir leur brandy Veterano. Le dessinateur Manuel Prieto propose alors la silhouette d’un taureau de combat au port altier, symbole selon lui de la culture méditerranéenne et de la virilité, que cherchait à incarner la marque. D'abord réticents, les propriétaires d'Osborne finissent par accepter. La silhouette du taureau apparaît désormais sur les étiquettes du brandy et sur toute sa publicité. Le premier "taureau de la route" est installé en 1957, sur la N1 reliant Madrid à Burgos.
Trois ans plus tard, l’Espagne compte plus de 500 toros de Osborne, certains atteignant 14 mètres de haut.
La polémique pour le maintien des taureaux.
En 1988 toutefois, le gouvernement interdit la publicité sur les routes, estimant qu’elle perturbe les automobilistes. Les Bodegas Osborne réussissent à garder leurs enseignes en enlevant leur logo et toute référence à leur brandy. La publicité reste efficace, vue la notoriété déjà acquise par la marque.
Mais le répit sera de courte durée et en 1994, le gouvernement ordonne de retirer tous les taureaux des routes d’Espagne. Suite à l’émotion populaire et l’attachement des Espagnols pour ce qu’ils considèrent désormais comme un symbole national, le Tribunal Suprême tranche pour le maintien du Toro de Osborne indiquant qu’il « avait dépassé son sens publicitaire initial et s’était intégré dans le paysage comme un élément de décoration détaché du message promotionnel. »
Il reste aujourd'hui 91 taureaux sur les routes espagnoles, principalement en Castille, en Andalousie et dans la communauté de Valence. La province la plus fournie est Cadix avec 10 exemplaires. Seules les communautés d’Ávila, Valladolid, Cantabrie, Gérone, Gipuzkoa, Vizcaya, Huelva, Murcie, Palencia, Castellón, Tarragone, Lérida, Barcelone et Teruel n’ont plus aucun taureau sur leurs routes.
Une soixantaine de taureaux sont également présents à l’étranger, notamment au Mexique, au… Danemark ou encore… au Japon !
Le taureau Osborne dans le monde.
Les grands symboles traversent les frontières, et ce taureau n’allait pas en être exempté. Il y a des représentations de lui sur les routes du Mexique et une autre à Copenhague, dans le Superkilen Park.
Copenhague
Enfin, il y a celui qui est placé dans la petite ville japonaise de Matsunoyama.
Matsunoyama
Le Japon, connu pour ses contrastes marqués entre tradition et technologie, a voulu ajouter le symbole lors d’une exposition d’art mondiale, avec l’intention de le supprimer lorsqu'elle se terminera. Cependant, devant l’immense succès – jusqu'à 5 500 000 personnes – il a été considéré comme faisant partie de la collection permanente, et il y reste, jusqu'à ce que le vent ou les ans l’anéantissent finalement !
Pois lourd de la culture populaire.
Un tel symbole, si immense et médiatique, a été le produit de l’art espagnol au fil des années. Au-delà des souvenirs touristiques, de nombreux artistes ont utilisé le taureau comme un moyen de justifier leurs idées.
L’artiste de Cáceres, Javier Figueredo a peint des taches blanches sur le taureau et y a placé des mamelles, pour protester contre le manque d’égalité entre les hommes et les femmes. Il a purgé deux jours d’assignation à résidence et le taureau a été nettoyé.
Il met également en évidence l’utilisation que lui a donnée l’artiste urbain Sam3, en le peignant avec des scènes du célèbre Guernica en signe de protestation anti-corrida… Même l’immortel Salvador Dali l’a utilisé comme source d’inspiration pour certaines de ses œuvres.
Les caves Osborne existent toujours. En plus de leurs vins et produits gastronomiques, elles commercialisent aussi depuis une dizaine d’années l’image du Toro de la carretera utilisée par des marques de mode, de montres, d’accessoires ou encore de casques de motos.
(Sources : Equinox Radio, la radio française de Barcelone et le quotidien La Razon).
José Luis Osborne, un empire.
Vins, liqueurs, jambons de bellota, restauration avec la chaîne Cinco Jotas – une adresse, calle Jorge Juan à Madrid non loin de la calle de Alcalá et le théâtre éponyme – … et des toros !
La dehesa Puerto Acebuche se situe à Castillo de las Guardas tout près des Juan Pedro dont ils sont issus.
C’est le grand-père José Luis Osborne Vázquez qui a créé la ganaderia en 1952 en achetant un lot de Pedro Domecq y Diez (Veragua-Parlade). Par la suite, José Luis Osborne Domecq, le fils, également ganadero reprend le flambeau jusqu'à son décès en mai 2005. C’est aujourd'hui Doña Rosario Osborne Domecq qui gère la ganaderia.
Les affaires ont été séparées des toros et ceux-ci ont été transférés au Puerto Acebuche, il y a plus de vingt ans.
Le fils unique, Emilio González de San Román Osborne – air de famille avec son grand-père – photos – se consacre aux toros de la casa et c’est avant tout pour maintenir la tradition et la réputation de ce fer.
L’occasion m’avait été donnée de visiter cette finca en retrouvant Stéphane Fernandez Meca et la Commission taurine de Riscle qui avaient fait leur choix sur les novillos de ce fer historique pour leur novillada du 1er août 2015 dont voici la reseña que je fis pour la Gacetilla dans le n°113 du 10 août 2015 :
« Et bien non, les pétards (vous voyez lesquels?) ne nous ont pas fait planer ! Personne ne prit vraiment son pied. Pourtant, le lot d’Osborne était superbement présenté, tous astifinos.
David de Miranda (oreille et deux oreilles), une pique. Brindis au public. Statuaires, bonnes séries des deux mains, torée de profil sur le pico. Entière décisive.
Robe superbe du 4 (berrendo en colorado, alunarado et autres caractéristiques qui dépassent mes compétences), une pique sérieuse et quite par tafalleras. Séries sur les deux rives, naturelles douces sans peser sur l’animal, superficiel. Musique ? ! … et les flonflons de la fête voisine. C’est propre, entière décisive. Tout ceci ne méritant pour ma part qu’un unique pavillon.
Louis Husson (silence et silence) : deux rencontres avec la cavalerie pour une pique. Banderilles applaudies d’El Santo. Brindis à tous et voltereta sans mal me sembla t’il. Des efforts, l'Osborne violent, ne collabore pas, trasteo non abouti. Pinchazo suivi de 2/3 de lame.
Le 5 colorado se blesse dès l’entame, mouchoir vert. Le bicho est "puntillé" aux barrières : instant particulièrement pénible. Le Turquay, sobrero, prend deux piques peu orthodoxes devant un Louis laxiste. Le Landais instrumenta une faena appliquée uniquement droitière, la mayo tourne par cette chaleur. Coups multiples de rapière, deux avis.
Joaquin Galdos (oreille et silence), une rencontre pour le castaño, brindis au public. Début arrodillado bousculé, s’ensuivent moult séries des deux mains sur un novillo qui me parut parfois absent. Passes à genoux (bis) comme au calvaire. Mete y saca puis entière.
Avec l'Osborne fermant la tarde, Joaquin exécute de bons capotazos. Par la suite, le novillo tapa fort le burladero. Il en résulta le piton droit cassé à la base mais restant en place. La faena qui en découla fut uniquement gauchère. Ce fut de peu d’intérêt sur ce bicho noble malgré tout. Mete y saca (bis), pinchazo, entière, un avis. »
Osborne possède "peu" de bétail – cinq cents têtes malgré tout dont cent soixante vaches et onze sementales – et Emilio déclare de faire en sorte que les toros sortent bien. Manqué ! … les vins et autres produits maison sont meilleurs que les "produits" servis ce 1er août !
La corrida d’Aignan en 2003 avait été d’un autre tonneau, S. Fernandez Meca avait coupé quatre oreilles, « une corrida qui était sortie extraordinaire. »
Comme l’écrivit L.F. Céline dans D’un château l’autre (1957), « L’Histoire ne repasse pas les plats. »
Les Osborne ont parcouru les arènes avec un franc succès pendant plusieurs décennies, se mettant en évidence à Madrid, Séville, Pampelune, Valence, Cordoue, Barcelone, Malaga, Arles, Béziers.
Nous avons bien conscience que ceci ne relève aujourd'hui que du passé, la caste et la classe se sont évaporées, seule la noblesse se maintient : une page est, hélas, tournée.
« Luego entraron en un bache grande. »
Je lève tout de même mon verre de brandy – à consommer avec modération – au passé et aux souvenirs plus glorieux.
Gilbert Lamarque
IN MEMORIAM
Une pensée pour Jean-Pierre Vidal, "le Poète", qui s’est éteint le 29 août des suites d’une longue maladie. De 1983 aux années 2000, ce Gardois tenait une bodega incontournable de la feria nîmoise au 8 de la rue Thoumayne entre les arènes et la Maison Carrée. La bodega du Poète eut son heure de gloire à l’époque où le maire Jean Bousquet souhaitait donner une autre dimension à la feria avec un petit côté people. Musique, sévillanes, champagne au programme et public composite du showbiz aux plus modestes, se pressait dans le local étroit de la bodega. Il avait créé le club taurin Emilio Muñoz au début des années 80.
Cet aficionado nous a quitté à 77 ans. Certains amis de la peña la Suerte du Houga doivent se souvenir d’instants mémorables dans cette bodega chaleureuse.
Après tant de corridas, il serait bon de gracier Jacques Durand
par Jean-Marcel Bouguerau, rédacteur en chef de Libération de 1981 à 1987. (article faisant suite à celui de mercredi 26/08).
13 août 2012
« Depuis le 1er juillet, les lecteurs de Libération sont privés de trois rubriques : les mots croisés, les échecs et une page que, depuis quelques années, ne connaissaient que les lecteurs du sud de la Loire, la page tauromachique, et avec elle la plume d’un écrivain, Jacques Durand, que tous les aficionados vénèrent autant que les connaisseurs de la petite reine vénéraient Antoine Blondin. Car c’est le talent du journaliste-écrivain de vous entraîner derrière les personnages des sportifs, des jockeys, des toreros et, à travers eux, dans leurs mythologies, leurs histoires. Lorsqu'en 1986, avec Gérard Dupuy, j’ai embauché Jacques à Libération, je ne lui ai donné qu’un conseil : « Il faut que la mercière de Roubaix comprenne la tauromachie. »
Il a fait beaucoup mieux. Si la mercière lit Jacques Durand, elle y a trouvé, grâce à la sensualité imagée de son écriture foisonnante, baroque, pleine d’images surprenantes, quelque chose qui pourra la rapprocher des meilleures évocations de l’art tauromachique. Car Durand écrit de manière gourmande, avec un plaisir d’écriture qui transpire de chacun de ses papiers.
Lorsqu'il parle du torero gitan Rafael de Paula, il raconte que, même lors de ses pires prestations, il avait « quelque chose » en plus qui faisait que ses admirateurs les lui pardonnaient, espérant qu’un jour il montrerait le meilleur. Ce qu’il fit, en signant, il y a trente ans, l’une des plus belles faenas du XXe siècle qui, comme le rapporte Jacques Durand, fut « déchirante, profonde, infinie et inénarrable ». Ou sur le stoïcisme des toreros. Exemple : José Tomás, l’un des plus grands, qui, le 9 avril 2000 à Saragosse : reçoit un grand coup de corne en haut de la cuisse droite. Diamètre de la blessure : 5 centimètres. Longueur totale des 3 trajectoires : 47 centimètres avec dissection du nerf sciatique. Tomás, comme si de rien n’était. Rien n’est. Il ne jette pas un œil à sa blessure, interdit à quiconque de la regarder, repart au combat sans boiter, renonce aux démonstrations de douleur, comme le lacédomien, la poitrine dévorée par le renard caché sous sa tunique, tue son toro, va à la barrière, se lave lentement les mains, reçoit une oreille, salue au centre de la piste et part à l’infirmerie. » Comme le joueur de flûte de Hamelin qui charmait les bêtes de son seul instrument, le torero crée de la beauté à partir de la charge brute d’un taureau sauvage et meurtrier. Il s’agit de dévier cette charge, de la domestiquer, de la ralentir jusqu'à ce que l’homme, le corps dans le berceau des cornes, lui impose son rythme. L’aficionado est celui qui peut attendre des heures ce moment magique.
Les lecteurs de Libération vont donc être privés de trois rubriques dont l’une était, depuis plus d’un quart de siècle, l’un des marqueurs de l’originalité de ce journal. Imagine-t’on l’Équipe virer le hussard Blondin, l’Obs se séparant de Robert Scipion ou le Point de Georges Pérec et de leurs mots croisés ? Il est étrange, au moment où la presse pâtit de la concurrence d’Internet, que Libération se prive de ces rubriques, d’autant plus étrange, s’agissant des mots croisés, que celle-ci est l’une des dernières qui ne peut exister sans le papier ! Car on n’est pas obligé d’aimer la corrida pour goûter la prose de Durand comme on pouvait détester le tiercé et aimer Hatzfeld*, ne jamais regarder un match de tennis et adorer Daney*.
Voici un ultime échantillon de cette prose unique : ce jour-là Jacques Durand rend compte du dernier livre d’un ancien torero, Alain Montcouquiol, le Fumeur de souvenirs (éditions Verdier), un titre qui, d’après Durand, « indique la liberté zigzagante du récit ». L’auteur comme les Indiens, communique par la fumée et d’ailleurs, joli signe, son premier habit de lumières, offert par le torero Chacarte, portait déjà la présence de cette nicotine mémorielle. Il était tabac et or. Sa mémoire Marlboro dépose donc, non sans mélancolie, ses fines cendres dans ces pages où il ressuscite ses fantômes. On ne s’en plaindra pas. On ne lui conseillera pas d’aller fumer dehors sur le trottoir. Avec ces cibiches du souvenir, son voyage par tafs. En vagabondant. On en grille une, par exemple, dans la canicule à Valdepeñas où une main, sortie par la vitre d’une voiture de torero filant vers les toros, semble, par jeu, toréer l’air torride.
Un jeu ? Au même moment, au passage de la voiture, des femmes en noir se signent. La peur referme l’enfantillage. On en grille une autre au buffet de la gare de Floirac, attablé avec Manolo Chopera et Antonio Ordoñez, et une « phrase éblouissante » d'Ordoñez en fait rougeoyer une de Sartre, comme on allume une clope à une autre : « L’émotion est une intuition de l’absolu. » Comme Rafael de Paula, Jacques Durand avait « quelque chose » en plus dont on risque de nous priver. Il n’est pas trop tard pour revenir sur cette décision. Après tant de corridas et d’oreilles méritées, il serait judicieux de gracier Jacques Durand. »
En vain.
* Jean Hatzfeld, journaliste et écrivain, prix Médicis en 2007, prix de Littérature sportive en 2011, a reçu de nombreuses autres distinctions, collabora à Libération, L’Équipe magazine, Autrement, LeMonde, Actuel…
** Serge Daney, critique de cinéma et journaliste. Il fut rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, et travailla dix ans pour Libération.
Jacques Grignon-Dumoulin est mort le 13 novembre 2001 à l’âge de soixante-douze ans. André Fontaine écrivait dans Le Monde, le 16 novembre : « Jacques Grignon-Dumoulin avait la fougue et la silhouette trapue d’un bicho, d’un petit taureau, et une passion pour les corridas et le monde hispanique, dont il parlait et écrivait couramment la langue. »
Ce "petit taureau" était né à Hanoï – quelle incongruité ! , – d’un père administrateur des services civils d’Indochine. Il était entré au service étranger du journal Le Monde en 1956 pour s’y occuper, précisément, des questions ibéro-américaines. Il vécut à ce poste les années chaudes de la chute du dictateur cubain Trujillo et de l’avènement de Fidel Castro.
Il quitta en 1964 Le Monde pour l’ORTF, qui en fit quatre ans plus tard son directeur adjoint pour l’Amérique latine et bien plus tard, un grand reporter au service de la première chaîne de télévision.
C’est à l’antenne de cette première chaîne que – certains d’entre nous s’en souviennent certainement, et nous avons eu l’occasion de revoir à maintes reprises, cet extrait du journal télévisé – Jacques Grignon-Dumoulin a poussé un coup de gueule mémorable "en direct et en stéréo" :
« - Arrêtez le retour !
(Pas facile de garder son calme quand les conditions d’enregistrement ne sont pas toutes réunies et que les problèmes de son s’en mêlent).
- Vous enregistrez ? Est ce que je peux enregistrer ?
- Arrêtez le retour, bon Dieu !
(Quand ce ne sont pas les problèmes de son, c’est un désaccord avec son rédacteur en chef qui peut provoquer un problème).
- Laisse-moi travailler !
- On travaille à plusieurs.
- Tu m’emmerdes ! Tu me fais chier !
...
Gilles Bouleau disait de lui que c’était un homme délicieux et parfois un peu ronchon. On le surnommait Jacques Grognon-Dèslematin.
Le petit taureau avait du caractère !
Pourquoi donc un article en souvenir de ce Jacques grognon ?
Tout simplement parce que cet homme, journaliste, publiait de temps en temps, des articles tauromachiques dans le journal qui l’employait, le quotidien Le Monde.
Le 27 août 1957, il titrait :
« Une saison tauromachique rassurante. » dont voici un extrait :
« Déjà fortement avancée, la saison tauromachique 1957 restera sans aucun doute, par comparaison avec celles des années précédentes, une "temporada" heureuse, aussi bien pour les plus sévères connaisseurs que pour les simples "sympathisants", dont le flot grossissant voit les effets de rénovation poursuivis depuis la crise de 1953 par quelques grandes figures taurines et l’action de certains clubs (telle la fameuse Peña 7) n’ont pas été vains : un coup d’arrêt semble avoir été donné à la décadence progressive du spectacle tauromachique.
Les règles traditionnelles et essentielles de la corrida restent, jusqu'à présent au moins, en grande partie sauvegardées. La course "moderne", quelque peu défigurée certes par rapport à l’ancienne, n’est pas encore devenue, comme le laissent entendre les éternels mécontents, un "inutile massacre", une "ignoble farce".
À travers le drame des arènes, un mystère de très ancienne tradition populaire continue, malgré de graves manquements au rituel, à se dérouler chaque fois sous les yeux des spectateurs du vingtième siècle : un jeu de mort entre le courage, l’intelligence, l’adresse d’une part, et la force aveugle de l’autre, mystère auquel, il est vrai, le public est et a toujours été moins directement sensible qu’à la suavité d’une "véronique" savamment "distillée" ou à la lenteur déchirante d’une "naturelle" inspirée, toutes deux créations de l’artiste.
La bataille de San Isidro
Préparée dès la fin de l’hiver par un important remaniement des dirigeants des associations et clubs taurins accompagné d’énergiques appels à l’application du règlement actuel, la saison tauromachique 1957 s’est tout de suite annoncée fertile en événements de toute sorte.
Les premières courses passées, un conflit qui couvait depuis plus de deux ans a éclaté au grand jour. C’est à l’occasion de la fête madrilène de San Isidro, patron de la capitale, dont la célébration marque le véritable début de la "temporada" espagnole, que la sourde lutte entamée contre l’influence croissante et les prétentions du "trust" Camara – le tout-puissant "apoderado" (manager) – a dégénéré en bataille ouverte. »…
Gregorio Sánchez était, cette année-là, en haut de l’escalafón avec 73 corridas.
Autre pépite retrouvée dans les archives du journal en date du 21 août 1958 :
« Roquefort-des-Landes et la "fiesta de los toros". », extrait :
« C’est une sorte de pèlerinage aux sources de la tauromachie que de nombreux aficionados consacrent leur 15 août, malgré les "tentations" offertes par les grandes corridas de Bayonne et de Saint-Sébastien, en se rendant à Roquefort, petite bourgade enfouie au milieu de la forêt landaise. Non que ses traditions taurines y soient particulièrement anciennes – ses arènes de trois mille cinq cents places ont à peine six ans d’âge – ou que de grands maestros du "Ruedo" en aient jamais fait le théâtre de leurs prouesses.
"La Monumental des Pins" inscrite aux Monuments historiques
Ce qu’on sait voir en place de Roquefort, ce sont ces toros que les habitants et leur maire ont coutume de "s’offrir" une fois l’an et qu’ils choisissent régulièrement dans les élevages andalous réputés les plus "difficiles", souvent même mis à l’index chez les jeunes toreros "arrivés" comme chez les jeunes novilleros "d’avenir". C’est dire les difficultés rencontrées par le syndicat d’initiative pour décider des hommes à affronter des novillos-toros comme les Isaias et Tulio Vasquez (sic), élevage très "style 1900", à l’honneur à Roquefort depuis trois ans.Vendredi dernier cependant Miguelin, Soares et Luis Ortego (sic), riche de l’enthousiasme de ses dix-sept ans, se présentaient au paseo réglementaire devant des gradins combles, inondés de soleil.
Quoique assez inégal, le lot des frères Vasquez (sic) était impressionnant : des "brutes" rustiques, âgées dans l’ensemble de près de quatre ans, faisant très largement le poids (263 kilos en canal en moyenne) et coiffées de larges pitons.
Le physique des pensionnaires de Vasquez (sic) allait de pair avec leur "moral" ; pleins d’allant, puissants (quatre chutes des uhlans), durs de pattes et (arrivant à l’estocade la bouche cousue), ils furent dans l’ensemble d’une noblesse moyenne et accusèrent une caste plutôt relative. Devant de tels adversaires, les trois jeunes toreros n’étaient évidemment pas de taille… Miguelin ne "consentit" aucun de ses "bichos", dont le premier se prêtait pourtant à la lidia. Il s’en débarrassa au plus vite, du bout des doigts, de deux vilains coups de rapière de côté. Soares toréa honorablement de cape, traçant d’allègres "chicuelinas", et fut même excellent aux bâtonnets (dans une paire de banderilles au "sesgo por dentro"). Mais, hésitant et électrique avec la flanelle (muleta), il dut s’y prendre à de nombreuses reprises pour dépêcher – malproprement – ses novillos. Luis Ortego (sic) sauva heureusement l’après-midi devant son premier ennemi, qu’il accueillit par véroniques et toréa avec courage et décision de la droite et de la gauche. Sa franche entrée "a matar", pour une estocade tombée suivie d’un descabello, lui valut deux oreilles et les ovations d’un public touché par l’émouvant combat mené par ce frêle gamin. »…
Le cartel de ce vendredi 15 août était donc : 6 novillos de Isaïas y Tulio Vázquez pour Miguel Mateo "Miguelin", Armando Soares et Luis Ortega. Ortega n’obtint qu’une oreille et le 3èmenovillo fit la vuelta.
Le dimanche 12 août 1951, les arènes avaient été inaugurées lors d’une non piquée avec des erales de Mme veuve Lescot.
En 1959, le dimanche 9 août, défila un certain Paco Camino combattant des novillos de l’élevage de Juan Belmonte.
Jacques Grignon-Dumoulin avait privilégié la placita en pins de Roquefort laissant à d’autres revisteros les plazas plus huppées.
Il faisait partie de ce cercle très apprécié qui comptait dans ses rangs plusieurs illustres plumes.
Jean Cau, écrivain et journaliste à l’Express, à France Observateur, à Paris Match, natif de Bram dans l’Aude – terre d’ovalie, patrie des Spanghero et d’Henri Rancoule où l’accent roule tel les cailloux dans le torrent – dont les périples de ferias espagnoles en ferias françaises lui inspirèrent, notamment, Les oreilles et la queue, Sévillanes ou bien La folie corrida.
Jean Lacouture passionné de rugby et de tauromachie, aimait à rappeler que son père était chirurgien des arènes de Bordeaux et que, enfant, ses parents n’hésitaient pas à parler devant lui de leur "afición" pour la corrida. Peu de temps après la Libération, il publia dans les colonnes de Combat ses premières chroniques taurines. Par la suite, il en rédigera plusieurs pour le Nouvel Observateur. « La tauromachie, disait-il, c’est le double sentiment de la beauté et de l’angoisse. »
Nous lui devons Signes du taureau (1979), Corridas (1988).
Puis Pierre Veilletet né à Momuy (Landes) à deux pas des Pyrénées-Atlantiques béarnaises, reçut en 1973, le prix Albert-Londres. Journaliste au quotidien Sud Ouest dont il fut le rédacteur en chef jusqu'en 2000, il participa en 1979 au lancement des Cahiers de la corrida. La tauromachie le passionnait, il est l’auteur de belles pages de chroniques pour le journal ainsi que Afición (2005), album réunissant des photographies réalisées sur plus de trente ans par Michel Dieuzaide, sur les grandes figures de la tauromachie et les plazas françaises et espagnoles. En 1986, était édité Le peuple du toro sous sa direction et celle de Véronique Flanet, « un grand dossier » qui réunissait de belles plumes ainsi que des photographes talentueux. Il nous a quitté en janvier 2013.
Ces quatre figuras étaient avant tout des journalistes et reporters qui ajoutèrent à leur activité, le plaisir d’écrire sur cette passion commune, la tauromachie. Ils ont tous quitté aujourd'hui, la planète des toros.
J’ajouterai à cette courte mais éclatante énumération trois contemporains :
Jacques Durand, journaliste et écrivain, lui, se consacre pour la grande part à la tauromachie.
C’est Le matin de Paris qui imprima son premier article sur la corrida. Puis Serge July, directeur de la publication de Libération depuis 1974, le charge d’une page entière dans le journal. Jacques Durand en était le rédacteur et le reporter. Cette page ne changea pas durant toutes ces années : un article principal, une photo noir et blanc et une colonne d’actualités. C’est sous Nicolas Demorand codirecteur autocrate depuis le 1er mars 2011 qu’il en a été congédié le 1er juillet 2012 ; la direction du journal jugeant la chose taurine futile, d’un autre temps pouvant faire perdre des lecteurs. Il publie désormais la page hebdomadaire du jeudi aux éditions Atelier Baie, page appréciée des aficionados et autres littéraires. N’oublions pas qu’il a été aussi rédacteur en chef des émissions taurines de Canal + à l’époque dorée et il collabora également au magazine télévisé sur France 3 : Face au Toril. Jacques Durand possède la plus belle écriture des plumitifs taurins, franche et lumineuse. Il écrit sur la corrida de façon originale comme le fit avant lui Jean Lacouture. Au début des années quatre-vingt, la presse s’intéressait à la corrida comme à un sport avec un vocabulaire souvent impénétrable, de scores et de victoires. Ces deux journalistes amenèrent une langue qui fit briller l’objet tauromachique. Durand en est aujourd'hui le prolongateur et c’est un plaisir que de lire ses Chroniques de sable (2000), ou ses Chroniques taurines (2003) parmi environ les deux douzaines de ses ouvrages taurins.
Le très éclectique bayonnais, Francis Marmande qui collabore au Monde depuis 1977, écrivain, critique littéraire, critique (Jazz Magazine, 1971 à 2000) et musicien de jazz, aficionado et revistero, donne régulièrement au journal des articles traitant de jazz, de littérature et… de tauromachie à l’occasion de grands événements. À lire aux éditions Verdier : Curro, Romero y Curro Romero (2001), À partir du lapin (2002) et Rocío (2003).
Enfin, sur les pas de Pierre Veilletet, le Saint-Sevérin Yves Harté, cet autre landais, rédacteur en chef et directeur adjoint de l’information au quotidien régional Sud Ouest, qui reçut lui aussi en 1990, le prix Albert-Londres pour sa série de reportages sur la chute du mur de Berlin (mars 1989), imprégné depuis son enfance de la tradition taurine, écrivit pour le journal de nombreuses chroniques. Il faut lire La huitième couleur, « petit bijou serti de tendresse et de mélancolie ». De son Sud-Ouest natal, il en extrait un usage du monde, rêveur autant que précis, des taureaux et de la littérature.
Combien sont-ils les quotidiens et les hebdomadaires aujourd'hui à nous proposer de telles chroniques ou la moindre reseña ? Sud Ouest, La Dépêche du Midi, Midi Libre, La Provence, L’Indépendant, tous des quotidiens régionaux...
Jacques Grignon-Dumoulin est sorti de l’ombre le temps de cet article.
PS. Quelques textes de Pierre Veilletet et d’Yves Harté sont à déguster dans le livre de Marc Lavie, Un siècle de corridas aux éditions Sud Ouest.
La semaine prochaine, nous publierons la "Tribune" de Jean-Marcel Bouguereau, rédacteur en chef de Libération, de 1981 à 1987, datée du 13 août 2012 où il demande le retour de J. Durand à ce même journal.