UNE HISTOIRE DE L’AFICIÓN EN ESPAGNE
Deuxième partie.
Aujourd’hui le monde taurin est devenu un milieu très lucratif, que ce soit pour les directeurs d’arènes, les empresas et les agents, les apoderados, ainsi que pour certains acteurs, toreros ou ganaderos.

Et ce système est en grand danger. Les récentes fluctuations négatives pour le pays sur les marchés économiques et financiers ont frappé de plein fouet la tauromachie. Les raisons de cette chute libre sont nombreuses et les maux profonds. Plusieurs facteurs s’ajoutent à l’équation, tels que l’indifférence sociale, les tensions politiques et lobbyistes mais aussi le manque d’unité des milieux taurins.

Pourtant selon les chiffres du ministère espagnol de la Culture, plus de 45 millions d’euros ont été versés au fisc espagnol, soit quatre fois plus que les chiffres du cinéma. Une enquête explique qu’environ 6 millions de personnes ont assisté à un spectacle taurin en 2014, ce qui en fait le plus grand évènement de masse derrière la Liga de football et ses 13 millions d’entrées.

Mais nous sommes en 2019 et le manque de nouvelles personnalités du toreo et de nouvelles générations d’aficionados intensifie cette chute vertigineuse.

Après le succès des partis d’extrême gauche comme Podemos et de centre-droit comme Ciudadanos lors des élections régionales et municipales, on cristallise toutes les appréhensions des partisans taurins face à une vague dite anti taurine. Certaines régions se sont déclarées en faveur d’un arrêt des subventions, en évoquant la nécessité de coupes budgétaires et la cause animale pour premiers arguments.
Dans la capitale, le sujet est explosif où la maire, Manuela Carmena, coupe net les subventions des écoles taurines. Soutenue par Podemos, elle souhaite faire de Madrid, "la ville des animaux".
¡ Cuidado, perros peligrosos !
Les traditions taurines sont donc devenues un enjeu politique de taille.
Le caractère et l’aspect traditionnel de la tauromachie sont critiqués pour leur conservatisme. Le mouvement animalier PACMA (Partido Animalista Contra el Maltreto Animal) dénonce les corridas comme "spectacle à caractère barbare et anachronique, impropre d’une Espagne civilisée au XXIe siècle". Des choix forts ont déjà été pris par certaines communautés autonomes, à l’instar de l’archipel des Canaries, qui a interdit la corrida dès 1991 et la Catalogne en 2010 pour des raisons "anti-espagnolistes". Aujourd’hui, des fêtes traditionnelles de villages sont aussi en danger dans plusieurs provinces, comme les "carrebous" dans les régions de Valence et de Barcelone et le "toro de la Vega" pratiqué depuis 1453 à Tordesillas dans la Communauté de Castille et Léon s’est vu fortement mutilé.

Depuis des années, el Toro de la Vega était brocardé comme une séquelle de l’"Espagne barbare". Chaque mois de septembre, écologistes et journalistes (les uns pour s’opposer à la "fête", les autres pour la couvrir) étaient reçus avec violence par la majorité des habitants, qui ne supportaient pas que des étrangers aient voulu leur imposer l’interdiction d’une telle tradition.
C’est pourtant ce qui a été décidé en 2016. Le gouvernement régional de Castille et Léon, paradoxalement dominé par les conservateurs du Partido Popular, après de longs atermoiements, a approuvé un décret qui proscrit non seulement la mise à mort du taureau, mais aussi la possibilité de le piquer avec des lances. Mais la "fête" en elle-même est maintenue. "Au fond, nous n’avions que deux solutions, a précisé le président de la région José Antonio Sánchez-Juarez. Ou bien protéger la tradition ou bien l’éliminer. Et je crois que les traditions doivent s’adapter à la sensibilité et à la culture de l’époque." Tout est dit.
Avec el Toro de la Vega, ce n’est pas le coup de grâce, mais une nouvelle pique qui affaiblit tout un secteur culturel.
Mais les régions liées historiquement à la tauromachie semblent loin d’être prêtes à vouloir stopper la tradition comme en témoignent l’Andalousie, l’Estrémadure, la Castille-La Mancha, la Castille et Léon, la Communauté de Madrid, la Rioja, la Navarre et le Pays Basque. A San Sebastian eut lieu une petite victoire. En effet, la ville basque déclarée tout d’abord anti taurine en 2012, a autorisé à nouveau les corridas dans les arènes d’Illumbe en raison d’un changement à la tête de la municipalité !

Le gouvernement Rajoy (2011-2018) s’est lui positionné en faveur de la cause, soutenant par la voie du Parlement en mai 2014, une loi qui incluait la tauromachie dans le patrimoine immatériel. Le but étant de créer un cadre législatif autour de cette pratique culturelle.
Le Partido Popular avait pourtant lui-même voté d’un commun accord avec le PSOE, l’arrêt des retransmissions télévisées sur les chaînes publiques. Celles-ci, stoppées fin 2006, ont repris depuis 2013.
Exit Mariano Rajoy, le titulaire actuel est le socialiste Pedro Sánchez depuis juin 2018. Il a été contraint de provoquer des élections législatives anticipées qui se sont déroulées le 28 avril.
Ses préoccupations actuelles ne sont certainement pas taurines.
… Et l’ombre du dictateur flotte toujours au-dessus de El Valle de los Caídos, vestige de la honte !
Devenue un sujet de débat, lors des dernières élections régionales en Andalousie, le dirigent de Podemos, Pablo Iglesias, avait proposé un référendum sur l’abolition des corridas.
Selon les derniers chiffres publiés par le ministère espagnol de la Culture, dans son "statistique annuel", le nombre de spectacles taurins est en baisse de 16 % sur les quatre dernières années. Sur dix ans, les places taurines perdent près de 20 % de leur public.
En 2013, le ministère comptabilise 428 corridas sur l’ensemble du pays, contre 398 en 2014, 387 en 2017 et 369 en 2018 (voir chiffres plus bas). Les autres types de spectacles liés à la tauromachie sans forcément de mise à mort, sont également en diminution. Il y avait eu 953 corridas en 2007 !
Et le record avant la chute, est détenu par l’année 2003 : 983 .
L’estocade finale à une industrie tauromachique maintenue sous perfusion est en constante recherche d’un second souffle. Au delà de l’augmentation des coûts d’organisation et de sécurité, qui compliquent la mise en place de ces spectacles, le public n’est plus au rendez-vous. La corrida n’a probablement pas encore dit son dernier mot, mais le mal le plus profond ne viendrait-il pas de l’Espagnol lui-même, de moins en moins aficionado ? ¿ No ?

Gilbert LAMARQUE
Quelques chiffres de la Tauromachie en Espagne.
Le ministère de la Culture et des Sports espagnol a publié les statistiques pour l'année 2018 (sur le Net : estadistica-de-asuntos-taurinos).
Voici quelques chiffres :
1521 spectacles dont,
- 369 corridas (24,30%) dont 93 en arènes de 1ère catégorie. 387 en 2017.
- 169 corridas à cheval (11,10%).
- 217 novilladas avec picadors (14,30%). 220 en 2017.
- 267 novilladas non piquées (17,80%).
- 118 spectacles mixtes.
- 381 spectacles mineurs.
Chez les professionnels inscrits au ministère ayant toréé ou pas durant l'année 2018 :
- 751 matadors, 733 en 2017.
- 319 rejoneadors.
- 2573 novilleros (piquée et non piquée).
- 603 picadors.
- 1897 banderilleros.
- 3406 mozos de espada.
- 62 écoles taurines, 58 en 2017.
- 1337 élevages de toros de combat, 1329 en 2017, 1341 en 2015...