UNE HISTOIRE DE L’AFICIÓN EN ESPAGNE
Première partie.

Lorsque Philippe V monta sur le trône d’Espagne, il apporta avec lui dans la péninsule, les idées, les mœurs et les préjugés au milieu desquels le duc d’Anjou avait été élevé. Aussi, éprouva-t-il et manifesta-t-il une vive répulsion pour les combats de taureaux. Durant les quarante six années que dura son règne, sans le défendre officiellement, il fit tous ses efforts pour abolir ce spectacle. Il n’y assistait jamais volontairement et ne l’autorisait à la cour que lorsque l’usage ne lui permettait pas de faire autrement. Ses courtisans, pour la plupart étrangers comme lui, n’eurent pas beaucoup de peine à renoncer à cet exercice vers lequel ils étaient peu portés, et les représentants de la noblesse espagnole qui avaient déjà fort à faire pour rester bien en cour, furent obligés de faire au caprice de nouveau roi, le sacrifice de leur jeu favori.

En effet, Philippe de France, duc d’Anjou était né à Versailles en 1863 issu de la dynastie des Bourbon. Papa n’était autre que Louis de France dit Monseigneur ou le Grand Dauphin. Ainsi, à Madrid, il installa des Français aux postes importants, orientant de façon nouvelle la politique espagnole.
Là où Isabelle la Catholique et le Saint-Siège avaient échoués, Philippe V ne pouvait réussir, et les faits ne tardèrent pas à confirmer une fois de plus la vérité de cet aphorisme ignoré des taurophobes : Combattre l’afición, c’est la développer. On aimerait aujourd’hui que la chose soit vraie !
Comprimée chez la noblesse, l’afición déborda chez le peuple où il devait être impossible de l’atteindre et où elle acquit vite une vigueur extraordinaire.
Par un heureux contraste, autant Philippe V s’était montré hostile aux courses de taureaux, autant son fils Ferdinand VI qui lui succéda, se prit à les aimer.

Le prince fit pour la tauromachie ce que Philippe IV avait fait pour les beaux-arts et pour les lettres. Il favorisa l’organisation des courses de taureaux, fit bâtir des arènes, dota Madrid d’une plaza où se donnaient des funciones au bénéfice de l’hôpital général, et obtint enfin du Saint-Siège l’annulation de la bulle de Pie V, et la suppression des peines très graves que l’Église infligeait aux toreros.
L’élan était donné et il n’était plus au pouvoir de personne de l’arrêter.

Charles III l’essaya en vain en 1785. Par un article de sa royale décision, il interdit les courses de taureaux. Le décret resta lettre morte et fut bientôt annulé.
C’est sous son règne que commença à émerger l’idée de l’Espagne comme nation, qui se dota de symboles identitaires : un hymne, un drapeau et une capitale digne de ce nom.
Mal conseillé par Godoy, Charles IV en l’honneur de qui, - l’ingrat ! - avait été donnée lors de son mariage, l’une des plus belles courses qui se soient vues en Espagne, veut à son tour supprimer ce spectacle. Cette mesure impolitique ne fut pas de celles qui contribuèrent le moins à provoquer cette explosion de colère contre le roi et de haine contre le ministre qui fit trembler tout le pays et jeta sur le Prince de la Paix, les insurgés d’Aranjuez…
… Le soulèvement d’Aranjuez, motín de Aranjuez, fut un soulèvement populaire qui s’est déroulé le 17 mars 1808. Sachez que les troupes françaises sont présentes en Espagne et que les opposants au roi Charles IV et à son ministre Godoy, sont favorables au Prince des Asturies, le futur Ferdinand VII.

Au mois de mars, craignant le pire, la famille royale se retira à Aranjuez pour pouvoir, en cas de nécessité, prendre le chemin vers le sud, vers Séville et embarquer pour l’Amérique.
Le 17 mars après que la rumeur sur le voyage de la famille royale se fut répandue, la foule se réunissant devant le palais royal d’Aranjuez, le prit d’assaut. Devant la crainte d’un véritable lynchage, le prince Ferdinand intervint en véritable maître de la situation ; son père abdiqua, et il devint le roi Ferdinand VII. Voici pour l’histoire.
Ces évènements furent les premiers râles de l’Ancien Régime en Espagne.

La longue acclamation d’amour et de joie qui accueillit le retour de Ferdinand VII, - il fut remplacé sur le trône en juin 1808, par Joseph, le frère de Napoléon - se changea vite en murmures de mécontentement quand on vit ce prince traiter l’Espagne en terre conquise, méprisant ses souffrances et restreignant ses libertés. Lui aussi tenta de supprimer les courses. Cette politique faillit lui coûter cher et il fallut rien moins que l’intervention de la France pour le maintenir sur son trône. La leçon cependant lui profita ; il comprit que "la petite promenade militaire" du duc d’Angoulême ne pouvait se renouveler indéfiniment et qu’il valait mieux gouverner l’Espagne par l’amour que par la crainte. Louis Antoine d’Artois, duc d’Angoulême, Dauphin de France (de 1824 à 1830) , fils de Charles X, conduisit en 1823, la victorieuse expédition d’Espagne et gagna la bataille du fort du Trocadero et s’empara de Cadix.

Il restaura, en monarque absolu, Ferdinand VII.
Celui-ci rendit donc ses libertés et accorda aux villes le droit d’organiser des courses. Il alla plus loin, fit du zèle en ordonnant la fondation d’une école officielle de tauromachie !
Donc, soucieux de raviver une tradition populaire qui avait souffert de cette guerre avec la France, il créa l’école taurine de Séville. Il en confia, en 1830, la direction au matador Jerónimo José Candido, beau-frère de Pedro Romero qui avait alors soixante treize ans et qui finit par obtenir la direction tandis que Candido devenait son adjoint !

L’école ferma quatre ans plus tard par décret le 15 mars 1834. Des figuras passèrent par cette école, tels Paquiro, Cúchares…
Il serait puéril et grotesque de prétendre que la suppression des corridas a été la cause efficiente des troubles qui agitèrent l’Espagne au commencement. Mais ce fut assurément une mesure maladroite, et la goutte de sangria fit déborder el jarro. On n’assagit pas un peuple en l’empêchant de se distraire comme il l’entend, et il vaut mieux qu’il dépense dans les "jeux du cirque", Panem et circenses, l’exubérance d’activité, de force et de courage qu’il pourrait employer à soutenir des luttes intestines. ¿ No ?
Après Ferdinand VII, vinrent les Régences de Marie-Christine de Bourbon-Sicile et de Baldomero Espartero, puis les règnes d’Isabelle II, Amédée 1er , Alphonse XII, son fils Alphonse XIII.
En 1929, on célébrait environ 300 corridas. La Seconde République fut proclamée le 14 avril 1931, et juste avant la Guerre Civile, en 1935, la crise avait réduit le chiffre à une centaine.

L’État espagnol de Francisco Franco suivra avec l’âge d’or de la corrida et la manipulation du peuple par le Caudillo, puis les différents gouvernements avec Juan Carlos 1er, roi le 22 novembre 1975, Philippe VI depuis 2014, perpétuant la dynastie… Rien de nouveau sous le soleil.
A suivre…
Gilbert LAMARQUE