LA COURSE AU BUZZ
Faudra-t’il qu’un jour, les comités organisateurs de corridas ou novilladas intègrent dans leurs staffs des spécialistes de l’évènementiel tels que scénaristes, publicitaires, diplômés d’école de commerce, chœurs et autres sopranos ?
A l’annonce des premiers carteles de 2020, il semblerait que certains organisateurs, à l’instar des réseaux sociaux, fassent la course au « buzz »…
La tendance a été donnée dans une ville du quart Sud-Est de notre hexagone avec une corrida en tenue de soirée et quelques affiches racoleuses. Cette année, sa voisine organise sa feria en annonçant des «corridas évènement» :
- Un seul contre six toros de ganaderias différentes (à cheval).
- Un mamo a mano avec le retour d’une vedette face à un jeune du terroir, un valiente. Cette opposition de style peut être intéressante, reste à savoir quelles seront les ganaderias choisies, ou imposées…
- Une alternative inédite face à des toros de Miura, pour un torero qui sera le premier de l'histoire à la prendre avec ce fer en France. En Espagne, il faut remonter au 21 Avril 1957 et l'alternative de Fermín Murillo à Saragosse face à "Bonito" colorado ojo de perdiz pour trouver trace de ce défi.
- Une dernière «corrida évènement» avec cartelazo de lujo, mise en scène, chœurs, soprano, et toros collaborateurs, bref, un spectacle musico-taurin.
Les montages de ces carteles autour de mano a mano ou de solo sensés rendre l’affiche «attractive» ont l’inconvénient de supprimer autant de postes à d’autres toreros qui ne demandent qu’à s’exprimer. Nous n’avons jamais eu autant de toreros français en exercice et, paradoxalement, force est de constater qu’ils sont bien trop souvent absents de ces ferias. Seraient-ils considérés comme insuffisamment taquileros pour ces empresas ?
Certains de ces organisateurs ont en charge de la feria montoise. Si la commission taurine et notamment les représentants des peñas montoises n’arrivent pas à se faire entendre, nous avons quelques motifs d’être raisonnablement inquiets.
Comme le jeune becceriste copie son torero vedette, l’exemple donné par ces grandes empresas, est suivi par les petites. Et l’on voit, dans notre quart Sud-Ouest, certaines arènes de troisième catégorie y aller de leurs cartelazo de lujo, voir même des corridas concours ! Dans le même temps, d’autres restent fidèles à leur éthique et sont à la limite de la rupture financière.
En est-on rendu au stade où il faut faire le « buzz » pour que l’aficionado, pardon, le spectateur vienne poser son séant sur les tendidos ? Je ne veux pas le croire. Il en résulte que, de plus en plus, nous sont proposées deux versions de la tauromachie, (corridas toristas ou toreristas), nous obligeant à effectuer le grand écart ce qui, vous l’avouerez, n’est plus tout à fait de nos âges ! D’un côté, des spectacles artistiques pour vedettes, et de l’autre, des novilladas «terrorifiques» pour des gamins en manque de métier.
La corrida, dans son esprit, est une et indivisible, un toro, un vrai, face à un torero. Le reste n’est qu’interprétation opportuniste.
Comme souvent, la vérité est au milieu.
En cette année 2020, 100ème anniversaire de la mort de "Gallito", je ne résiste pas à l’envie de soumettre à votre connaissance et à votre réflexion, l’introduction de l’éditorial de la revue Toros n° 2112 du 17 janvier 2020, sous la plume de Francis Fabre.
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« Le 16 mai 1920, il va donc y avoir cent ans, à Talavera de la Reina, le toro « Bailaor » de la veuve Ortega infligeait, à celui que beaucoup considèrent comme le plus grand torero de l’Histoire, une cornada mortelle. A vingt-cinq ans, José Miguel Isidro del Sagrado Corazón de Jesus Gomez Ortega, "Joselito el Gallo", "Gallito", entrait dans la légende.
Neuf ans après son alternative, à vingt-cinq ans, il avait déjà toréé 680 corridas !
Et, contrairement à nos figuras actuelles, il se faisait un honneur de combattre les élevages les plus réputés car les plus craints : Miura, Pablo Romero, Veragua…
"Gallito" fut un torero complet, d’un grand répertoire à la cape, dominateur à la muleta grâce à une connaissance incomparable du toro et des terrains. Et c’est à lui que l’on doit cette liaison entre les passes qui allait faire changer le toreo d’ère. »
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L’honneur aurait-il disparu ?
Autres temps, autres mœurs.
Patrick Soux