MORT AUX VACHES !
Le Mondarrain est une "petite" montagne du Pays Basque en Labourd entre Espelette et Itxassou, culminant à 750 m d’altitude. Il fait face à l’Artzamendi et ses émetteurs hertziens qui se situe entre Itxassou et Bidarray. "La montagne de l’ours", mendi (montagne), hartza (ours) – mais celui-ci est absent de ces contrées – domine la vallée avec ses 924 m dépassant la Rhune de 24 m ! "Larrun", "lieu de pâtures", et son petit train bien connu.
Mais le Mondarrain, "la montagne des aigles", arrairo (aigle) héberge d’autres prédateurs que ces grands rapaces planeurs. Et après cette présentation géographique, venons-en au sujet scabreux qui nous préoccupe.
Contrebande et braconnage
Il y a environ trois semaines, un résidant d’Espelette a découvert les restes de trois betizu – les vaches sauvages du Pays Basque –, les têtes, les peaux et les pattes jonchaient le sol, découpes effectuées par des mains expertes. Quant à la viande, elle avait disparu. Le braconnage de ces vaches existe mais c’est la première fois qu’il se fait en évidence sur le bord d’une piste très fréquentée notamment par les randonneurs aux abords du col des Trois Croix.
Bizarre. Les betizu ne se laissent pas approcher facilement. « Les éleveurs, peut-être qu’ils savent entre eux qui a fait ça, mais je ne veux pas rentrer dans ces détails » glisse prudemment le maire d’Espelette. On se croirait rattrapés par le bon vieux temps de la contrebande connue de tous à une époque pas si lointaine. Il reconnaît qu’il y a « un intérêt économique derrière tout ça ». En effet, la viande de betizu est réputée entre connaisseurs, et certains la servent clandestinement.
Pourtant les communes d’Ainhoa, Espelette et Itxassou, qui gèrent en commun le massif du Mondarrain ont pris un arrêté pour interdire le braconnage de ces vaches : « La viande est très bonne mais il y a des règles vétérinaires », rappelle le maire. Les betizu considérés comme du gibier sauvage, ne sont pas soumis à un suivi vétérinaire.
Aux pays des taiseux : Pays Basque = Corse
Les coupables ne risquent pourtant pas d’être poursuivis : personne n’a rien vu !
« Je préfère la transparence mais il y a la loi de l’omerta à Espelette et dans tout le Pays Basque d’ailleurs. On ne veut pas balancer les collègues » rajoute l’élu qui affirme : « Il faut relativiser, c’est pas une affaire d’État, on va pas porter plainte ».
Ben voyons, si le maire le dit…
Par contre si le dépeçage avait été perpétré par un ours – absent du massif, je le répète – il y aurait eu un branle-bas de combat de tous les diables et une volée de bérets !
Une race en voie d’extinction
En 2015, l’association Iparraldeko Betizuak – les betizu du Nord – (Iparralde = Pays Basque du Nord ; Hegoalde = Pays Basque du Sud), a été dissoute afin de mettre l’État et les collectivités face à leurs responsabilités.
Cette race sauvage qui broute en liberté sur les flancs du Mondarrain et de la Rhune a failli s’éteindre dans les années 20, car ces bovins ont été quasiment exterminés lors de la construction de la voie pour le train de la Rhune. Selon les relevés, la population des betizu ne dépasserait pas les 100 têtes au nord des Pyrénées.
Avant 2015, tout le monde se déchargeait sur l’association : les élus locaux, l’état et les particuliers. Quand une personne était blessée ou que des barrières étaient cassées, on demandait réparation à l’association. Mais clairement, ces bêtes sont sauvages et n’appartiennent à personne.
Pourtant, et contrairement aux loups et aux ours, les betizu ne sont pas administrativement considérés comme des animaux sauvages. Ils ne sont pas, non plus, classés dans la catégorie des bovidés domestiques ! Voici un no man’s land administratif.
Cette espèce non protégée pourrait disparaître. Le betizu est sans équivalent en Europe et il a besoin d’un plan de gestion durable et d’un vrai statut, statut devant protéger ces gardiennes des montagnes, des braconniers amateurs de chuletones.
Depuis la nuit des temps
On trouve sa représentation dans l’art pariétal pyrénéen datant de 15 000 ans. Il serait, ce betizu, issu d’une population d’aurochs de taille réduite. La race offre une grande rusticité, plus légère que la vache domestique et ces vaches (300kg) et taureaux (400kg) sont susceptibles de réactions imprévisibles, voire de nuisances pour les fermiers. Les betizu circulent par petits groupes et se déplacent, selon les périodes de l’année, entre les milieux ouverts et les couverts forestiers. Leur robe est brun rouge, les cornes sont évasées, relevées et en arrière. Les mâles vivent au sein ou en marge des groupes de femelles et de veaux. Ces animaux participent à l’entretien des espaces de montagne.
En Heogalde, le gouvernement de Navarre élabore un programme écologique pour la conservation de cette race autochtone sur une propriété de 80 hectares où on maintient une moyenne de quelque 45 animaux.
En Espagne, la population de betizu vit en Guipuzcoa, en Biscaye ainsi qu’en Navarre.
On compte environ 100 têtes en France, un peu plus de 200 en Espagne.
Dans la culture
Pour les anciens Vascons, les betizu sont des animaux mythiques connus sous les noms de zezen gorri, "taureau rouge" et behi gorri, "vache rouge", gardiens de la grotte où vivait la déesse Mari.
Mari est la divinité féminine qui incarne la nature, la déesse mère. C’est sur cette divinité que la religion basque originelle est centrée. Étymologiquement, son nom signifie "celle qui donne", il est formé par le radical ma signifiant donner et le suffixe ari qui indique une activité (ex. lanari = travailleur). Elle est la maîtresse de tous les génies telluriques, elle est la créatrice, la Grande Mère qui enfanta le monde.
Mari divinité connue des Basques bien avant la Chrétienté et Marie.
Cette vache a été récemment popularisée au Pays Basque grâce au nom d’un programme pour enfants en langue basque à la télévision publique basque (ETB) où le personnage principal représente un animal de cette vaillante race. L’émission essaye de faire connaître l’existence de cette espèce et de favoriser sa connaissance et sa protection.
Basque et Marine
La vache Betizu est inscrite parmi les races du Conservatoire des races d’Aquitaine au même titre que la vache Marine vivant en liberté dans les marais du littoral aquitain du sud Gironde et du nord des Landes dont le cheptel est encore plus réduit que celui des betizu. Mais cette Marine bénéficie d’un programme génétique de conservation et de développement animé par le Conservatoire et la SEPANSO qui en sont les gestionnaires.
Et pour la Betizu, qu’en sera-t’il ? Cette délicate "gestion" par les élus locaux va-t’elle perdurer jusqu’à l’extinction ? À croire que le Pays Basque est indépendant !
À propos : betizu se prononce bétissou qui vient du basque behi izua, behi signifiant vache et izu, farouche, intraitable, sauvage et fuyante. Ceci vous l’aviez compris.
Gilbert Lamarque